dimanche 2 septembre 2018

Une étendue désolée


La plaine caillouteuse qui s'étend au sud de l'Atlas passe à juste titre pour être très dangereuse, mais le plus redoutable de tous les déserts est sans conteste le désert de Gobi de l'existence.

Il n'oppose pas seulement aux voyageurs ses sables arides et ses chaleurs excessives ; mais les animaux les plus féroces le parcourent, ainsi que de hideux anthropopithèques en survêtement. La seule végétation qui s'y développe est la pensée de l'homicide de soi-même.


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Ésaïe, chapitre 53


« Tel un rejeton qui sort d'une terre desséchée, l'excrément n'avait ni beauté, ni éclat pour attirer nos regards. Et son aspect n'avait rien pour nous plaire. Méprisé et abandonné des hommes, créature de douleur et habituée à la souffrance, semblable à celui dont on détourne le visage, nous l'avons dédaigné, nous n'avons fait de lui aucun cas. Cependant, ce sont nos souffrances qu'il a portées. C'est de nos douleurs qu'il s'est chargé ; et nous l'avons considéré comme puni, frappé de Dieu et humilié. On a mis son sépulcre parmi les méchants, quoiqu'il n'eût point commis de violence et qu'il n'y eût point de fraude dans sa bouche. »

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Interlude

Jeune fille asiatique lisant la Mélancolie bourboulienne de Léon Glapusz

Du cas


Jadis, le vocable « cas » avait, parmi d'autres, le sens de déjection, d'excrément. Il a fait son cas au pied d'un mur. Mais il pouvait aussi désigner le fondement ou les parties sexuelles. On trouve ainsi chez Huysmans, dans Là-bas : « ... il [le diable] donnait à mâcher ces dégoûtantes espèces aux fidèles qui lui avaient préalablement baisé la main gauche, le cas et le croupion. »

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

À cent à l'heure


Les suicidés philosophiques vieillissent rapidement et meurent avant l'époque ordinaire de la caducité.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Un radical quinquet


L'homme n'a de lumière que celle qu'il emprunte du Rien, affirme l'évêque Théophane le Reclus dans l'une de ses Lettres de direction spirituelle. Et il est de fait, comme peut en témoigner l'homme du nihil, que le Rien est la lumière universelle, il est le flambeau qui éclaire tout homme qui vient dans le monde. Illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Détestation exhaustive


L'homme du nihil, excédé qu'il est par les mauvaises manières du monstre bipède, appelle l'exécration sur le genre humain tout entier, se montrant en cela plus radical que le sévère et consciencieux Tacite qui ne l'appelait que sur les Néron et les Tibère, non sur le peuple romain dans son ensemble.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Interlude

Jeune femme lisant Forcipressure d'Étienne-Marcel Dussap

Une figure de carême


À tout moment, le suicidé philosophique se croit au terme de sa vie d'ici-bas, au seuil de la mort et de la vérité suprême, et l'examen de conscience qu'il fait incessamment l'affuble d'un rictus qui épouvante les foules. Charles Du Bos, qui l'a rencontré en mai 1923, à Londres, au congrès du Pen-Club, en esquisse dans son Journal ce portrait dépourvu d'aménité : « Le suicidé philosophique, dans la coupe du visage, le teint, le regard, relève du régime de pain et d'eau d'une prison qui doit être située près de Genève. » (T. I, p. 273)

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Vivre


Lorsque je vis que le monde s'assemblait à la grotte, je m'y rendis aussi. L'on se pressa de déjeuner et Rébecca fut la première à demander au chef Bohémien de reprendre son histoire. Il ne se fit pas prier et commença en ces termes :

« Quand j'entends le mot "vivre", je sors mon revolver ou du poison. »

Comme le chef bohémien en était à cet endroit de son récit, un Bohémien vint lui parler d'affaires. Il se leva et nous demanda la permission de remettre au lendemain la suite de son histoire.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Vocation


Chez certains individus, la pachyméninge ne connaît jamais de calme plat et c'est en permanence que la pensée de se détruire « siffle et souffle dans la mâture ». L'écrivain italien Cesare Pavese était de ceux-là.

Dans son journal intime, découvert après sa mort et publié sous le titre Il mestiere di vivere (Le métier de vivre), il affirme avoir eu de tout temps une vocation suicidaire : « C'est seulement ainsi que s'explique mon actuelle vie de suicidé. Et je sais que je suis pour toujours condamné à penser au suicide devant n'importe quel ennui ou douleur. C'est cela qui me terrifie : mon principe est le suicide, jamais consommé, que je ne consommerai jamais, mais qui caresse ma sensibilité. » Le 27 août 1950, dans une chambre d'hôtel de Turin, Pavese met pourtant fin à ses jours en absorbant une vingtaine de cachets de somnifère. Il laisse sur sa table un dernier texte, La mort viendra et elle aura tes yeux, terminé par « Assez de mots. Un acte ! »

Selon Gragerfis, ce seraient « une sensibilité morale exacerbée » et « une capacité d'autoanalyse sans complaisance et sans concession sur le plan esthétique » qui auraient porté Pavese à son geste ultime.


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Capharnaüm


Ses hontes, ses faiblesses, sa crainte clairvoyante de lui-même, l'homme du nihil les conserve dans un musée secret toujours gardé par un molosse aux babines saignantes — son Moi —, et ce musée renferme aussi « la pensée de la mort, les heures mélancoliques et le sombre jardin » 1. C'est là le lieu de toutes les ombres et de toutes les vagues certitudes que seule l'idée du Rien parvient à dissiper ou à déplacer dans l'âme du moment.

1. Il n'y manque que la chaise percée du dalaï-lama !

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Interlude

Jeune fille lisant l'Appel du nihil de Martial Pollosson

Un original


« L'Inde a une multitude de santons ou fakirs, c'est-à-dire de gens qui se sont retirés du monde, et elle en a de toutes les couleurs. Le nombre des fakirs mahométans qu'on y trouve s'élève à huit cent mille, et celui des païens à douze cent mille », nous dit le médecin, botaniste et philosophe suisse Johann Georg Zimmermann dans son livre De la solitude paru en 1756.

Le fakir Cipaçalouvishni est l'un de ces excentriques « santons ». Il semble défier la douleur. Rien ne lui fait peur : ni le verre brisé sur lequel il saute avec entrain, ni les lames aiguisées qui lui percent le corps, ni même la terrifiante haeccéité dont, comme tant d'autres, il doit porter le joug.


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)