lundi 10 septembre 2018

Un « pue des pieds » : le reclus Abraam


« Parmi les privations que s'imposaient quelques solitaires, saint Épiphane signale l'abstention des bains... Il y en eut qui allaient plus loin encore, en se refusant les soins de la propreté la plus élémentaire. De ce nombre furent saint Hilarion et le reclus Abraam, qui ne se lava jamais les pieds ni le visage. » (Dom J.-M. Besse, Les moines d'Orient antérieurs au concile de Chalcédoine, H. Oudin, Paris, 1900)

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Hydre


Rébecca, s'adressant au Bohémien, lui dit : « Lorsqu'on est venu vous interrompre, vous nous disiez, je crois, que les deux dames, s'étant assurées de n'être point vues, traversèrent la rue pour entrer dans la maison du chevalier de Tolède ». Le chef bohémien, voyant que l'on désirait avoir la suite de son histoire, en reprit le fil en ces termes :

« L'hydre ou polype d'eau douce est un pluricellulaire complexe d'apparence végétale. Les savants considèrent que ce polype est quasi immortel, du fait de ses capacités régénératrices. Il possède six à dix tentacules urticants qui entourent, révérence parler, la bouche-anus, et reconstitue rapidement les parties qui lui sont enlevées. Un polype s'accroche généralement par son pied au milieu environnant mais il peut aussi migrer et se suspendre à la surface de l'eau par tension superficielle. Sans point d'accroche, le polype ne nage pas et coule lentement dans l'eau, semblable en cela au suicidé philosophique. »

Comme le Bohémien en était à cet endroit de son récit, on le vint interrompre ; il fut obligé de nous quitter et l'on se sépara.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Interlude

Jeune fille lisant les Pensées rancies et cramoisies de Johannes Zimmerschmühl

Principe vital


Dans un corps souffrant, le principe vital est le même que dans les autres corps ; mais si les organes, fatigués du tintamarre de l'existence, ne sont plus désireux de recevoir ce principe, comme c'est le cas chez le suicidé philosophique, la mort ne tarde guère à arriver, avec son cortège de mouches bleues de la viande (Calliphora vomitoria Lin.) et de mouches grises (Sarcophaga carnaria Lin.). Et malgré le bourdonnement importun de ces diptères, le désespéré trouve enfin le calme.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Un affreux rogomme


« C'est de l'étant, n'est-ce pas?... La seule fois que j'en aie goûté, j'en ai pris trois jours de migraine, des vomissements de bile verte, un dévoiement sans pareil. »

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Une figure d'épouvante


Comme le cruel martichoras, cette bête anthropophage à la triple rangée de dents décrite par Pline, l'haeccéité ne justifie que trop la haine et la terreur qu'elle inspire à tous. Des cachots, des oubliettes, des cages de fer, des échafauds et des chaînes, voilà les monuments de son règne sur l'étant existant.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Pointes punji


La pensée est une fosse subreptice, garnie de pals sécants.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Interlude

Beauté slave lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Muge


Le Juif errant, étant arrivé près de nous, en fut quitte pour quelques reproches assez vifs que le cabaliste lui fit dans une langue que je n'entendais pas. Ensuite, il lui ordonna de se tenir près de mon cheval et de reprendre son histoire à l'endroit où il l'avait laissée. L'infortuné vagabond ne répliqua pas et commença en ces termes :

« Le muge est un poisson des mers tempérées appelé aussi mulet, se nourrissant de matières organiques en décomposition dans la vase des fleuves, et dont la chair est très estimée. Œufs de muge séchés. »


Je ne sais quel bruit dans la caravane interrompit le récit du Juif errant. Il en profita pour s'évader, et bientôt nous arrivâmes au gîte. Notre repas était préparé et même servi. Nous mangeâmes avec l'appétit ordinaire aux voyageurs, et lorsqu'on eut ôté la nappe, nous allâmes nous coucher.

(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Déboires de l'étant existant


D'après l'ontologue Martin Heidegger, le Dasein est, dès l'origine, immergé dans une situation dont il n'a pas la maîtrise et qui détermine un horizon de contraintes auquel il ne peut se soustraire.  Il est « exposé aux maléfices de puissances occultes ; à l'aide de batteries cachées, on lui envoie des secousses, des décharges électriques ; on fait passer des courants contraires à travers sa personne ; on aimante ses cheveux, ses yeux, ses dents et sa langue ; on galvanise tout son système circulatoire ; on lui fait respirer des poudres invisibles et des "atmosphères Lafarge" ; on lui subtilise sa salive; on le dessèche intérieurement au moyen d'un feu concentré ; on le place pendant son sommeil sous une grande machine pneumatique ; on le fait vivre au milieu d'odeurs malsaines ; on contamine son linge de corps, etc. »

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Dormir


Quand l'homme du nihil n'est pas occupé à dilacérer son Moi, il passe son temps à dormir (ou à s'y efforcer). Comme le poëte Baudelaire, il pourrait s'exclamer : « Je veux dormir ! Dormir plutôt que vivre ! » Car dans le sommeil, il dépouille sa pâteuse redingote d'haeccéité pour se vautrer avec délices dans le Grand Indéfini d'Anaximandre, et cette voluptueuse fusion avec l'Un lui ferait presque voir « la vie en beau ».

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Grands moyens


En Angleterre, dans le grand arsenal de Woolwich, M. Rennie, célèbre philosophe de la famille des empiristes logiques, a construit une forge destinée à la fabrication des gros concepts, où les machines sont mues par un récepteur à vapeur.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)