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dimanche 3 février 2019

Généralisation radicale et finale


Le procédé de la généralisation, par lequel la géométrie de Riemann a résorbé celle d'Euclide et la physique relativiste celle de Newton en les admettant comme cas particuliers d'une synthèse plus compréhensive, indique au suicidé philosophique la voie à suivre : il doit se généraliser jusqu'à ce que mort s'ensuive.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

mardi 21 août 2018

Bonheur de soldat (Tobias Wolff)


Le vendredi, Hooper fut désigné chauffeur de garde pour la troisième fois de la semaine. Il avait récemment été à nouveau dégradé, cette fois de caporal à première classe, et le sergent-chef avait décidé d'occuper ses nuits afin qu'il n'ait pas le loisir de ruminer. C'est ce qu'il lui avait dit quand Hooper était venu se plaindre à la salle de rapport.
« C'est pour ton bien, dit le sergent-chef. Mais je ne m'attendais pas à ce que tu me remercies. » Il se carra dans son fauteuil. « Hooper, j'ai développé une théorie de la connaissance, dit-il. Ça t'intéresse ?
— Vas-y, je t'écoute, Top », dit Hooper.
Le sergent-chef posa ses bottes sur le bureau et son regard alla se perdre par la fenêtre qui était sur sa gauche.
« Selon moi, toute connaissance est une reconnaissance fondée sur une comparaison entre des représentations intuitives ou des représentations conceptuelles. Ma théorie a ainsi pour objectif d'expliquer le maximum de phénomènes avec le minimum de principes : elle détermine la coordination univoque entre le système des jugements et le système des faits que constitue la réalité et qu'étudie la physique. Qu'est-ce que tu en dis ?

— Ma foi, fit Hooper, il me semble que ta théorie rassemble et confronte plusieurs héritages : celui, bien connu et revendiqué par le Cercle de Vienne, d'un empirisme vérificationniste qui irait de Hume à Mach et Russell, voire Wittgenstein, et celui, moins connu mais aussi important, d'un kantisme qui irait de Kant à, par exemple, Helmholtz, Husserl, Cassirer et, surtout, Einstein.
— Petit salopiot ! aboya le sergent-chef. Qu'est-ce que tu me parles de Kant ? Tu ne vois pas que je refuse le synthétisme a priori ?
— Désolé, fit Hooper. J'ai sûrement été victime d'un horrible malentendu. »


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

vendredi 3 août 2018

Heidegger « fait l'hélicoptère »


Dans la leçon inaugurale que donne Heidegger le 27 juillet 1915 à l'Université de Fribourg, intitulée Le concept de temps dans la science historique, il essaie de dégager une conception fondamentalement qualitative du temps, capable de s'appliquer au vécu et non pas seulement aux événements de l'histoire monumentale.

Il fait apparaître la spécificité du temps historique en lui opposant le concept de temps en physique. Citant Einstein selon lequel, pour « décrire le mouvement d'un point matériel », il faut donner la « valeur de ses coordonnées en fonction du temps », Heidegger montre que la théorie de la relativité confirme le caractère quantitatif du temps : réduit à un paramètre dont la fonction est de rendre possible la mesure, il est pensé comme homogène et uniforme. Ce « temps newtonien », composé d'une « succession d'instants autonomes dont chacun n'est en relation immédiate qu'avec son successeur et son prédécesseur », courrouce Heidegger au plus haut point. « La continuité ne se limite pas à la contiguïté, sacré nom d'une pipe ! », s'écrie-t-il devant son auditoire médusé. La face congestionnée et la moustache hérissée, il arpente l'amphithéâtre « à grands pas, tel un prophète hébreu » (d'après le témoignage de Walter Benjamin) et les appariteurs ont le plus grand mal à lui faire regagner sa chaire.

Le lendemain, il se sent honteux et confus, « comme après une bordée où l'on a montré son fondement de l'historialité du Dasein aux passants », selon un aveu qu'il fera plus tard à Max Horkheimer.


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

mercredi 27 juin 2018

Répétitions angoissantes


Quoique bon élève, Heidegger n'aime pas aller à l'école. Chaque matin, devant son bol de cacao et sa tartine beurrée, il a la boule au ventre ou, comme il dit, « la barre » (ich habe die Bar).

Difficile de ne pas voir dans ces spasmes quotidiens comme des prémices des « répétitions angoissantes » analysées dans Sein und Zeit, à partir desquelles le Dasein s'ouvre à son être-vers-la-mort.

Heidegger apprendra plus tard qu'à peu près au même âge, Albert Einstein souffrait du même genre d'angoisse — mais devant un bol de ricoré.


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

mercredi 6 juin 2018

Relativité générale


Médusés, les témoins de la scène qui s'est déroulée ce jeudi, vers 13 heures, rue Chaussée, une artère piétonne en plein centre-ville de Verdun. « Vous vous rendez compte ? », lance cette dame, ahurie, en décrivant ce qu'elle vient de voir. « Elle était là, tranquille, en train de marcher, son sandwich à la main, quand tout à coup il lui est tombé dessus. »

« Il », c'est un habitant d'un immeuble de la rue, âgé de 49 ans, qui s'est jeté sur la chaussée dans un acte désespéré, depuis la fenêtre de son appartement situé au 2e étage de la rue Chaussée. La passante, une habitante de Dugny-sur-Meuse de 36 ans, s'est retrouvée à terre. Tout comme le suicidaire.

À la terrasse du café d'en face se trouvent deux infirmières, qui interviennent immédiatement pour porter les premiers secours.

Tout de suite, les pompiers de Verdun ainsi que le Samu se rendent sur les lieux. L'homme qui a sauté est inconscient : il est transporté à l'hôpital de Verdun. La femme, consciente, rejoint également les urgences de la cité de la Paix. Les examens médicaux montrent qu'elle souffre d'un tassement des vertèbres. Mais la vie de ces deux personnes n'est pas en danger.

D'après la lettre laissée par le désespéré, ce dernier voulait, avant de mourir, vérifier expérimentalement un principe de la théorie de la relativité générale, selon lequel la gravitation n'est pas une force mais une « déformation riemannienne de l'espace-temps » ; dans cette interprétation, un objet en chute libre décrit simplement une géodésique de l'espace-temps. (L'Est Républicain, 18 octobre 2012)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)