jeudi 18 octobre 2018

Interlude

Jeune femme lisant l'Apothéose du décervellement de Francis Muflier

Modèle de Kolmogorov


Un bon moyen de se familiariser avec le modèle probabiliste de Kolmogorov — qui trouve son fondement, faut-il le rappeler, dans la théorie mathématique de la mesure — est, en quelque sorte, de le construire soi-même, par exemple en s'enfonçant le crâne à la région frontale par une pierre lancée avec violence afin de vérifier statistiquement l'hypothèse d'un rapport intime entre la perte plus ou moins absolue de la parole et l'altération plus ou moins profonde des lobules antérieurs du cerveau.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Dangers de la procrastination


Pour de multiples raisons, il arrive que l'homme du nihil repousse le moment de se supprimer, préférant ignorer sa conscience qui lui commande de quitter sans rouspétance l'indigeste « banquet de la vie ». Différer l'homicide de soi-même est pourtant chose risquée. Bientôt la caducité commence ; la décrépitude la suit : le corps s'affaisse ; les forces des muscles ne sont plus proportionnées les unes aux autres ; la tête chancelle ; la main tremble et n'est plus capable de manier avec assez de précision le revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe... Il est trop tard : les jeux sont faits ; « rien ne va plus ».

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Invocation


Ô coruscant vocable ! Crématoire du Tout !

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Pente savonneuse


L'homme du nihil, qui souffre de naissance d'une « fêlure » à la Scott Fitzgerald, tente d'abord de se raccommoder en expérimentant le retrait jusqu'à l'extrême de la sécession. Après quelques années de vagabondage solitaire dans le désert de Gobi de l'existence, il se jette dans une union fichtéenne de l'humain et du divin, qui échoue à son tour. En désespoir de cause, il se tourne alors, soit vers le muscadet, les huîtres et les bigorneaux, soit vers le taupicide, selon que sa nature est épicurienne ou que son tempérament le porte à la mélancolie. Dans les deux cas, il passe aux yeux de l'omnitude pour un « homme perdu ».

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

Jeunes filles lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Noirceur


Dans son poëme Obsession, Baudelaire confesse qu'il « cherche le vide, et le noir, et le nu ». Ceci, à certains égards, ne laisse pas d'être obscur, mais est assurément le sombre aveu d'une sombre tristesse et montre que le poëte partageait quelques penchants avec le suicidé philosophique !

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Dans le miroir


Une larve éruciforme.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Un être de cauchemar


« C'est dans les brumes de la froide et austère Allemagne, nous dit Cuvier, qu'on trouve l'idéaliste transcendantal, cet être tellement hideux que l'imagination a peine à concevoir que son image ne soit pas le résultat des divagations d'un fou bien plutôt que la scrupuleuse copie de la nature. On n'a guère de détails sur les habitudes de ce monstre. On sait seulement, par les débris qu'on a retrouvés dans son estomac, qu'il se nourrit de concepts, et qu'il professe — ironie suprême pour une créature qu'on croirait sortie de la célèbre Tentation de Callot — un amour immodéré du beau et du sublime. »

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

Jeune fille lisant les Scènes de la vie de Heidegger de Jean-René Vif

Kikajon


On trouve dans le Livre de Jonas la surprenante narration suivante : « L'Éternel Dieu apprêta un kikajon, et le fit monter au-dessus de Jonas, afin qu'il fût pour ombre sur sa tête, et qu'il le délivrât de son mal. Jonas se réjouit de grande joie à cause du kikajon. Puis Dieu prépara un ver, pour quand l'aube monteroit le lendemain : lequel frappa le kikajon, dont il se sécha.
Et ainsi quand le soleil fut levé, Dieu prépara un vent oriental, qu'on n'apercevoit point, et le soleil frappa sur la tête de Jonas : dont s'évanouissant, il requit pour son âme, qu'il peut mourir, et dit : Meilleure m'est la mort que la vie. Et Dieu dit à Jonas : Est-ce bien fait à toi, que tu te sois ainsi courroucé pour ce kikajon ? Et il répondit : C'est bien fait à moi, que je me sois ainsi courroucé, voire jusqu'à la mort. Et l'Éternel dit : Tu voudrois qu'on eût épargné le kikajon, pour lequel tu n'as point travaillé, ni ne l'as fait croître : car il est venu en une nuit, et en une nuit est péri. Et moi, n'épargnerois-je point Ninive cette grande ville, en laquelle il y a plus de six vingts mille créatures humaines, qui ne savent point ce qu'il y a à dire entre leur main droite et leur main gauche, et aussi plusieurs bêtes ? »


De nombreux érudits ont cherché à percer le mystère de ce kikajon et ont soupçonné tout à tour la coloquinte, la courge, et même le lierre. Mais selon Gragerfis, l'énigmatique kikajon ne serait rien autre chose que... le ricin ! Mais oui !

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Pensée vivante


La pensée libre, vivante, du nihil s'oppose aussi bien à la pensée pétrifiée du préjugé qu'à la catalepsie conceptuelle de la philosophie dogmatique. Elle est vivante en ce qu'elle perçoit la « réalité mouvante de l'instant » et ne peut être sclérosée par le passé — qu'elle observe comme un froid régolite —, ni taraudée par l'incertitude de l'avenir — qu'elle envisage en toute sérénité puisqu'il ne peut lui apporter qu'une infusion éternelle dans le Rien.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)