« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
mercredi 11 juillet 2018
Théorème de Jung
Le théorème de Jung exprime une inégalité entre le diamètre d'un ensemble de points dans un espace euclidien et le rayon de la boule englobante minimale de cet ensemble. Jung nomme cette boule le Soi et la définit comme étant « la donnée existant a priori dont naît le Moi, et qui préforme en quelque sorte le Moi ».
Comme le Soi intervient dans le processus d'individuation, qu'il en est le moteur et l'organisateur, il est en butte à l'exécration de l'homme du nihil et ce dernier s'est plus d'une fois juré de le détruire.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Priorité au boyau
« Tiraillé entre l'envie de me détruire et les douleurs causées par une constipation tenace, entre le Smith & Wesson et le purgatif, je donnai finalement la préférence à l'huile de ricin, à la dose de trente grammes, avec une goutte d'huile de croton et édulcorée par du sirop de mûres. Deux heures après son administration, l'effet désiré fut obtenu, et je rendis une selle compacte, noire. Curieusement, le fardeau de l'haeccéité me parut aussitôt plus léger et je décidai de remettre à plus tard mon anéantissement. »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Et ça, qu'est-ce que tu en dis ? (Raymond Carver)
Il ne restait plus trace en lui de l'optimisme qui avait teinté sa fuite de la ville. Il s'était évaporé au soir du premier jour, tandis qu'ils roulaient vers le nord entre deux rangées ténébreuses de séquoias géants. Désormais, les pâturages de l'ouest du Washington, leurs vaches, leurs corps de ferme épars, ne semblaient plus rien promettre, rien en tout cas de ce qu'il désirait vraiment. Et à mesure qu'il avançait, un sentiment de révolte et de désespoir grandissait en lui. Une citation du philosophe Albert Camus lui revint en mémoire : « Dans l'épreuve quotidienne qui est la nôtre, la révolte joue le même rôle que le "cogito" dans l'ordre de la pensée : elle est la première évidence. Mais cette évidence tire l'individu de sa solitude. Elle est un lieu commun qui fonde sur tous les hommes la première valeur : Je me révolte donc nous sommes. » Oui, décidément, Camus avait raison : la révolte métaphysique est le mouvement par lequel un homme se dresse contre sa condition et la création toute entière. Il eut un haussement d'épaule et il sortit une cigarette. Ensuite il se lécha les lèvres, se tourna vers Emily et se força à sourire.
— Eh bien nous y voilà, dit-il. Chez Camus, l'homme a une nature humaine, et c'est un point de fracture avec l'ontologie de Sartre.
— Tu ne veux pas te taire un peu, dis ?
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
Mieux vaut mourir
Une femme âgée de 59 ans s'est immolée par le feu à son domicile, lundi 3 avril, chemin de Saint-Hippolyte à Castres. Les faits se sont produits vers 19 heures. Pompiers de Castres, Smur et police se sont rendus sur les lieux. La victime, qui a été évacuée vers le centre hospitalier universitaire de Rangueil à Toulouse et plongée dans un coma artificiel, est dans un état critique.
Selon les premières informations, cette dame rencontrait des « difficultés existentielles », sans qu'un lien formel ait pu être établi par les enquêteurs avec l'ontologue allemand Martin Heidegger. Pas plus tard que le 31 mars, elle était sortie de l'hôpital après une tentative de suicide.
La police aurait retrouvé sur place une lettre se terminant par cette phrase : « Mieux vaut mourir ».
La malheureuse se serait versée de l'essence sur la tête avant de mettre le feu. C'est semble-t-il son époux, âgé de 72 ans et qu'elle avait rencontré dans un établissement psychiatrique, qui a donné l'alerte. Il est également brûlé aux mains et aux cuisses et a été transporté à l'hôpital de Castres.
L'enquête de police se poursuit, notamment auprès du voisinage, pour faire toute la lumière sur ce terrible fait divers. (Le Tarn Libre, 4 avril 2017)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
De dicto et de re
À l'évidence, la phrase « Kierkegaard croit que quelqu'un va tenter de le détruire en lui administrant des médicaments dangereux » peut être comprise de deux façons. Dans la première interprétation, ce « quelqu'un » est inconnu et Kierkegaard souffre de paranoïa 1 ; dans ce cas, son affirmation est peut-être vraie, mais elle ne concerne personne en particulier. L'assertion du penseur privé, « quelqu'un veut me détruire en m'administrant des médicaments dangereux », est alors vue comme une proposition de dicto. En revanche, dans la modalité de re, « quelqu'un » désigne une personne particulière que Kierkegaard connaît — exempli gratia, le pharmacien Labrunie ou l'ex-notaire Bernard — et qui est prête à l'empoisonner.
La distinction entre de dicto et de re permet de comprendre comment le Dasein peut soutenir des croyances en apparence contradictoires. Posons par exemple : « Kierkegaard croit que le Rien est plus bénin que le nihil ». Comme le Rien et le nihil sont une seule et même chose, la croyance de Kierkegaard est fausse de re. Cependant, de dicto, cette affirmation est acceptable, dans la mesure où Kierkegaard ne sait pas que le Rien ne fait qu'un avec le nihil (rappelons qu'en danois néant se dit intetheden).
1. Ce qui est tout de même difficilement croyable de la part de l'auteur du Post-scriptum aux miettes philosophiques !
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Style
Sans doute le caractère principal du suicidé philosophique n'est pas cette mélodie pure qu'on admire avec tant de raison dans Pétrarque ; sans doute la dureté, l'âpreté de sa manière choque souvent les oreilles sensibles à l'harmonie ; mais c'est qu'il ne se pique pas de beau style — pour lui, seul le résultat compte : l'écrasement du « sinistre polichinelle », de l'« odieux Moi ».
(Marcel banquine, Exercices de lypémanie)
Les clients d'Avrenos (Georges Simenon)
On n'attendait pas encore de clients, bien qu'un étudiant qui venait pour Sadjidé fût déjà accoudé au bar. Mais ce n'était pas la peine de le servir, car il ne commandait que des bocks et ne les buvait pas.
Seule la grosse Lola, harnachée de soie rose et de grosses perles, était à son poste, à la première table, et regardait devant elle en esquissant le vague sourire qui ne la quitterait pas de la nuit. Ou plutôt si ! Pendant les quelques minutes de son numéro de danse, elle froncerait les sourcils, pincerait les lèvres en épiant ses pieds avec angoisse. Elle ne s'était jamais vantée de savoir danser et, si elle le faisait, comme les autres, c'est parce que le règlement ne tolère dans les cabarets que des « artistes ». C'était même écrit sur son passeport !
Sadjidé n'était pas encore descendue. Elle s'enfermait toujours la dernière dans la soupente servant de loge aux dames de l'établissement et elle n'apparaissait, avec des manières de vedette, qu'après s'être assurée, par un trou de la cloison, qu'il y avait des clients dans la salle.
Alors les hommes lui adressaient un signe amical, ou un sourire, la happaient au passage, lui tapotaient la croupe et, si quelqu'un ne le faisait pas, on pouvait affirmer qu'il était nouveau venu à Ankara.
Le jeune étudiant, au bar, était vraiment amoureux et, pour le moment, plutôt que d'attendre à vide, il questionnait Sonia, la Russe qui ne dansait pas mais qui chantait des romances en français et en allemand.
— Qu'est-ce que vous pouvez me dire de la synthèse quintuple ?
— Pas grand chose. Je crois que c'est un procédé par lequel Fichte prétend égaliser les points de vue de l'être substantiel et du soi fini.
— Et Sadjidé ?
— Elle n'a rien à voir dans tout ça.
Sur l'estrade réservée aux musiciens, le saxophoniste fixait son instrument avec ennui, le portait à ses lèvres, en tirait deux ou trois sons saugrenus puis le regardait à nouveau tandis que le pianiste lisait un journal de Stamboul.
(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)
Bigorneau
Comme le poëte Max Jacob, le suicidé philosophique revendique le droit d'utiliser le vocable « bigorneau » pour désigner ce qui, dans le domaine de l'esprit, des arts et de la psychologie, demande à être sorti de son enveloppe. « Extirpation puis écrabouillement du Moi bigorneau », écrit-il dans son journal à la veille de s'enfoncer le crâne à la région frontale par une pierre lancée avec violence.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Cuisine solidaire
« La Banque alimentaire de Vendée, l'association Graine d'ID et le distributeur Metro lancent l'initiative "Saveurs solidaires". L'idée ? Aider les plus pauvres et lutter contre le gaspillage.
Une action née d'une question simple : que faire de la viande devenue invendable à l'approche de sa date limite de consommation ? De nombreuses enseignes choisissent de jeter ces denrées consommables. Pour mettre fin à ce gâchis, le géant de la distribution Metro s'est rapproché de la Banque alimentaire. Après consultation des services vétérinaires, il est apparu que cette "barbaque" pouvait être cuisinée et redistribuée.
"C'est ici que nous intervenons", raconte Catherine Simonneau, présidente de Graine d'ID, une association travaillant à l'insertion sociale et professionnelle à La Roche-sur-Yon. "Nos employés en insertion préparent des plats cuisinés et nous possédons une cuisine permettant de faire face à cette demande."
Une charge de travail supplémentaire bien accueillie. Comme en témoigne Rachel Paudrat, en contrat d'insertion depuis le mois de juillet. "J'adore cuisiner et c'est très important pour moi d'aider ceux qui sont dans le besoin. C'est une petite victoire contre la mort qui délimite et détermine la totalité à chaque fois possible du Dasein."
Les plats préparés sont ensuite distribués dans les épiceries solidaires de Vendée. Du lundi au vendredi, ce sont environ 500 barquettes qui sortent des cuisines de l'association.
Pour les membres de Graine d'ID, l'important, c'est la qualité des produits. "La santé nous préoccupe, souligne le président départemental de la Banque alimentaire, et en particulier celle du Dasein quotidien, l'homme de tous les jours, qui vit le pouvoir-mourir comme une attente craintive de cette échéance indéterminée (son anéantissement) — tandis que le Dasein authentique l'éprouve comme un pouvoir-être, voire un devoir-être. Nous préparons des plats bons pour la santé avec des produits carnés que certaines personnes ne peuvent pas toujours s'offrir." » (Ouest France, 23 septembre 2017)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Fin tragique du Moi
Dans mon rêve, le Moi entrait dans un café et buvait une couple de verres. Après être resté assis seul pendant un moment, il offrait à boire au pianiste et lui demandait de jouer sa chanson préférée, « Je suis perdu ». Pendant le morceau, le Moi avalait du cyanure et s'effondrait. Dans une lettre d'adieu à sa famille, il déclarait qu'il mettait fin à ses jours parce qu'il avait des « doutes sur sa nature perverse ».
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
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