« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
vendredi 17 août 2018
Autre commencement
Pour oublier ses « soucis de santé », Heidegger se tourne à nouveau vers son cher Hölderlin et en particulier vers ses « poésies fluviales », c'est-à-dire la Germanie et le Rhin. Selon lui, ces poèmes tendus vers l'origine font signe vers l'« autre commencement », celui qui nous projette en deçà de la métaphysique. Mais Heidegger se sent désormais trop ankylosé pour se laisser projeter où que ce soit.
Assise, quand le temps s'y prête, sur un petit banc devant leur maison de la Forêt-Noire, Elfriede lui tricote des mi-bas, ce qui suscitera plus tard la dérision du grinçant écrivain Thomas Bernhard.
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Zoomorphisme
L'observateur surpris hésite à prononcer s'il n'a pas sous les yeux un organisme animal, quand il voit le « Suisse » s'agiter d'une façon spontanée, chercher avec obstination l'orifice qui doit lui livrer passage, ou se dégager avec effort des entraves qui le retiennent.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Positivisme
Selon Auguste Comte, seules l'analyse et la connaissance des faits vérifiés par l'expérience peuvent expliquer les phénomènes du monde sensible et sauver ainsi l'homme du désespoir. La certitude en est fournie exclusivement par l'expérience scientifique, comme celle qui consiste à enfermer un philosophe dans une vessie pour voir s'il va « produire du concept » — que l'on verrait alors suinter à travers la membrane.
(Raymond Doppelchor, La Suave idée du Rien)
De la réalité du monde
Malgré leur incommensurable suffisance, aucun parmi les « amis de la sagesse » tant anciens que modernes n'a pu démontrer la réalité du monde extérieur. À vrai dire, ce dernier est si instable, si incertain et fluctuant, que le « scepticisme existentiel » devrait être la norme et non l'exception. Pourtant, le vulgum pecus est prompt à taxer d'insanité celui qui dit : « ne vais-je pas voir cette pierre fondre en l'air devant moi et devenir invisible ? » ou encore : « cette bourrelle qui m'empoisonne la vie, n'est-elle pas un automate créé par l'illustre mécanicien Vaucanson ? »
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Le diabolique fakir des Cigares du pharaon
Membre de la bande des trafiquants d'opium que Tintin affronte dans Les cigares du pharaon, cet adversaire du genre humain utilise de redoutables pouvoirs paranormaux : il hypnotise, dresse des cordes dans le vide, défait ses liens... Parfois, on dirait que, dégoûté de sa propre vilenie, il n'y a rien qu'il souhaite tant que la mort, et qu'il considère cette vie comme une chose onéreuse, attendant avec impatience que son âme se sépare de son corps.
Il ressemble en cela au suicidé philosophique, mais ce dernier est plus expéditif et n'hésite pas à employer le taupicide pour mettre fin à une existence qui lui est à charge.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Une « vie de merde »
Hanté toute sa vie par le spectre de l'inachevé, le suicidé philosophique pense qu'il mourra jeune et rédige précocement son testament. « C'est effrayant, la vie », dit-il souvent. Puis il tue le temps en peignant des crânes aux orbites « vides comme le néant ». Prisonnier de ses obsessions et de ses délires, il vit durant trente années à l'asile de Montdevergues, sans créer, si ce n'est un occasionnel « cigare japonais » qu'il dépose précautionneusement sur un plateau d'argenterie plein de tartines beurrées et de croissants.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Promenades suspectes
« Rien de plus indifférent en soi ni de plus innocent que la promenade, dit le Père Bourdaloue dans l'un de ses sermons. Mais, ajoute-t-il, combien néanmoins y en a-t-il de suspectes, combien d'ouvertement mauvaises ? Combien d'hommes et de femmes, s'ils voulaient parler de bonne foi, reconnaîtraient que ce sont certaines promenades qui les ont perdus ? »
Le suicidé philosophique ne peut qu'opiner. Il y a des divertissements honnêtes, sans excès et sans danger, par exemple le billard, mais la promenade dans le steppe calciné du Rien n'en fait pas partie, indiscutablement.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Apophtegme
Plusieurs philosophes se disputent un concept ; mais aucun n'ose tirer trop fort de peur de se faire syllogiser par les autres : — ainsi, les nobles « amis de la sagesse » restent souvent un bon moment comiquement sans bouger, comme des statues, face à face, le concept dans le groin, — éternisant par irrésolution une situation intenable... — le cher concept est pendant ce temps au milieu, comme l'aiguille d'une balance, indiquant qu'équilibre il y a... autant dire : que tous les philosophes sont égaux en lâcheté !...
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Grimace
La mortalité de l'être mortel m'affuble d'un rictus qui épouvante les foules.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Métathéorème de Frege
En métalogique et en métamathématique, le théorème de Frege est un métathéorème qui affirme que les axiomes de Peano de l'arithmétique peuvent être dérivés en logique du second ordre à partir du principe de Hume. Le philosophe écossais expose ce principe à la fin du livre I de son Traité de la nature humaine. Il dit que « le Moi est supposé stable et substantiel, alors que toutes les impressions sont variables. Il n'y a donc pas d'impression à partir de laquelle nous pourrions dériver une idée du Moi. En conséquence, le Moi, s'il est une idée, est une idée fictive, et le suicidé philosophique poursuit une chimère quand il se propose d'écraser son Moi en se jetant du haut d'un immeuble ».
L'homme du nihil, d'une part considère ce raisonnement de Hume profondément vicié, d'autre part ne voit pas très bien comment on peut en dériver les axiomes de Peano, fût-ce en logique du second ordre. Ce brouillamini métalogique le fatigue et, comme les chats de Baudelaire, il préfère chercher « le silence et l'horreur des ténèbres ».
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Inscription à :
Articles (Atom)