« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
jeudi 7 juin 2018
Favoriser le partage, l'échange et la solidarité
« À l'égal de l'idée du Rien et peut-être plus encore, les centres communaux d'action sociale jouent un rôle essentiel pour raffermir le moral de l'étant existant.
À la Bourboule, ce service est très actif et assure de multiples fonctions, toujours dans le même objectif : aider, soutenir les personnes en difficulté ou en situation de précarité, mais aussi favoriser le lien social et le partage, par de nombreuses actions qui — après tout, pourquoi ne pas le dire —, s'adressent également aux personnes âgées.
C'est ainsi qu'un voyage est organisé chaque année pour les plus de soixante ans, et cette année, c'est une semaine à Mimizan qui sera proposée. Une sortie à Fribourg-en-Brisgau va également permettre de découvrir durant quelques jours le site où le célèbre philosophe Heidegger a inventé son fameux concept de Dasein. Survêtements, bermudas (sauf Lederhosen) et chaussures de sport sont à éviter, par respect pour la mémoire de l'intrépide ontologue. »
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Souffle prophétique
Même lorsqu'il se laisse emporter par des envolées lyriques, l'excrément ne perd jamais le sens de la mesure : son expression intimiste mûrit lentement, à l'abri des parois du boyau culier. Et brusquement, au moment du « pousser », de profondes impulsions font craquer l'espace : on voit surgir de « grands formats » dont le caractère monumental et figé manifeste une parenté certaine avec les œuvres du « réalisme socialiste ».
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Écrasement langagier de la réalité empirique
« Du réel, hérisson infortuné, il ne restait, après le passage de mon quinze-tonnes phrastique, qu'un amas pultacé encore fumant. »
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Dynamisme de l'être chez Duns Scot
« Une femme d'une cinquantaine d'années s'est donné la mort à Dole, mercredi 17 janvier en tout début de journée. Elle s'est jetée du pont de la Corniche "sans doute avant 5 heures du matin". Son corps sans vie a été retrouvé au petit matin, plus de vingt mètres en contrebas sur le chemin des Rivières, la route longeant le Doubs.
C'est à cet endroit qu'il a été découvert par un riverain qui rentrait chez lui après sa nuit de travail. L'homme a immédiatement appelé la police, qui a pu identifier la victime.
Avant de mettre fin à ses jours, celle-ci avait laissé à son domicile une lettre d'adieu, où elle explique qu'elle ne peut "plus supporter la tendance à exister toujours davantage qui caractérise l'être, alors que l'essence comme telle tend plutôt à ne pas exister". Elle se plaint également du caractère fondamentalement temporel de l'existence : "la tendance à exister, écrit-elle, se déploie à travers la potentialité, essentiellement dynamique, qui est l'être lui-même, tel que Duns Scot le conçoit".
Le précédent drame de ce type, pratiquement au même endroit, date du 4 décembre dernier. Une femme de 47 ans s'était donné la mort pour des raisons analogues. » (Le Progrès, 20 janvier 2018)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Possibilité du chaos
Certains jours, quand tout semble aller de travers, l'homme du nihil se prend à rêver d'un univers meilleur, où l'on retrouverait ses affaires, où le chaos ne règnerait pas en maître.
Il est d'abord tenté de placer son espoir dans certain théorème de Poincaré-Bendixson qui dit que, si une orbite se trouve dans un compact contenu dans son référentiel, alors toute forme de chaos est impossible.
Mais ce résultat n'est valable qu'en dimension deux, et l'univers où se meut l'homme du nihil n'est pas un compact puisqu'il ne vérifie pas la propriété de Borel-Lebesque ! Il ne lui reste plus qu'à se pendre.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
I got rhythm
Au début des années trente, Heidegger se sent en panne d'inspiration — il se dit dans son journal frappé de « constipation conceptuelle opiniâtre ».
Plutôt que de sécher sur une page blanche, il décide de se remettre au bugle et fonde un jazz band, le Swinging Dasein, où Günther Anders tient le banjo. En plus d'être le premier époux de Hannah Arendt, Anders est connu pour être un critique de la technologie qui donna comme principal sujet à ses écrits la destruction de l'humanité. Heidegger, que sa condition d'être-vers-la-mort angoissait suffisamment, l'accusa d'être un « semeur de panique » et se débrouilla pour le faire remplacer par Karl Löwith.
Malgré des débuts prometteurs marqués par deux hits mineurs, Ontology Makes the World Go 'Round et Dasein A-Go-Go, la notoriété du groupe ne dépassera jamais les frontières du Bade-Wurtemberg.
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Détritus
Le personnage le plus antipathique des Aventures de Tintin est sans conteste le gitan Matéo, dont on fait la connaissance au début des Bijoux de la Castafiore. Lorsque le capitaine Haddock, mu par une compassion mal placée, conseille aux romanichels de « s'établir ailleurs que sur ce terrain rempli de détritus » car « c'est très malsain », le suprêmement désagréable Matéo fait sa mijaurée et rétorque : « Parce que monsieur imagine que cet endroit, c'est nous qui l'avons choisi !... Monsieur se figure que ça nous plaît de vivre parmi les ordures !... »
Eh bien oui, nous nous le figurons. Comme les soldats du roi de Suède, nous voulons vivre éternellement. Nous savons qu'un jour nous cesserons de vivre, mais cette certitude de notre anéantissement demeure abstraite, et donc irréelle. La mort, les ordures, c'est pour les autres, les fameux « gitans », qui, quoi qu'en dise cette tête à claques de Matéo, semblent s'y complaire.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Discrétion de rigueur
Le désir que l'on a de se détruire est l'une de ces choses qu'il vaut mieux tenir cachées. De même que les « parties honteuses » sont couvertes de poils et que celui qui les découvre s'expose à la réprobation de l'omnitude, la pensée de l'homicide de soi-même doit être dissimulée sous le masque d'une jovialité feinte, sous peine, pour le candidat à l'holocauste du Moi, de se voir ligoter sur un infernal fauteuil rotatoire par des infirmiers patibulaires.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Rayonnisme et homicide de soi-même
Le suicidé philosophique partage avec les peintres « rayonnistes » — Mikhail Larionov, Natalia Goncharova, etc. — le souci de faire surgir le Rien en rendant visibles les « vibrations inspirées de l'énergie-matière et de la radioactivité », mais il utilise un moyen plus radical : le taupicide (au lieu de lignes parallèles, perpendiculaires, fasciculées et abstraites).
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Suicide à tiroirs
Une femme de 66 ans a été hospitalisée dans un état critique au CHU Charles-Nicolle à Rouen, ce vendredi 22 juillet, après avoir chuté du premier étage de son appartement rue Victor-Hugo au Houlme, dans la banlieue de Rouen.
Les secours ont été appelés à 14 h 51. Lorsque les sapeurs-pompiers sont arrivés sur place, ils ont découvert la femme inconsciente au pied de l'immeuble. Elle avait sauté par une fenêtre de son logement après s'être ouvert les veines des bras et avoir tenté de se donner la mort par asphyxie en ouvrant le gaz.
La sexagénaire a été prise en charge par les pompiers avant d'être médicalisée sur place par le Smur. Elle a été transportée aux urgences du CHU dans un état critique. D'après les premiers éléments recueillis par les policiers, la thèse de la tentative de suicide ne fait aucun doute.
La désespérée paraît avoir été inspirée par l'exemple de l'écrivain Henry de Montherlant qui, pour se supprimer, avait ingéré du cyanure tout en se tirant une balle de revolver dans la tempe. L'idée maîtresse de la stratégie dite du « suicide à tiroirs » dérive de ce principe, essentiel à la guerre et appliqué entre autres par le général Nivelle lors de la bataille de l'Aisne, qu'il faut attaquer son ennemi partout, si l'on veut arriver à l'écraser quelque part. (Info Normandie, 22 juillet 2016)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Hypocondrie
La sagesse populaire se représente le suicidé philosophique comme le sujet d'un tableau du Greco : longiligne et émacié, avec un regard profond et tragique.
Mais quand il consulte son médecin pour de violentes douleurs abdominales, des épisodes de constipation, des vomissements et une perte d'appétit qui l'a délesté de cinq kilos en deux semaines, il ressemble plutôt à l'un de ces cacochymes vieillards croqués par Daumier.
Et la seule chose qui lui importe alors, ce n'est pas de « trouver une falaise du haut de laquelle se jeter, ou un petit pan de mur jaune sur quoi se fracasser », mais de savoir s'il peut s'agir d'une maladie inflammatoire chronique susceptible d'atteindre tout le tube digestif et éventuellement la peau, les articulations et les yeux (maladie de Crohn).
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
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