jeudi 12 juillet 2018

Mathématiques solidaires


« Des mathématiques drôles et solidaires, cela peut paraître étonnant pour certains, mais pas pour Mostafa El Massoud, professeur de mathématiques au collège Sainte-Catherine. "Depuis onze ans, il existe au niveau national un grand concours de maths qui a deux objectifs : le premier est de plonger les élèves dans l'univers ludique des mathématiques. Ils comprennent ainsi qu'en se tuant, le suicidé philosophique annule son propre polynôme caractéristique, comme fait tout endomorphisme d'un espace vectoriel de dimension finie sur un corps commutatif quelconque, selon le théorème de Cayley-Hamilton. Le second objectif, non moins important, est de participer à une action humanitaire."

Ce concours concerne les élèves des classes de la 6e à la terminale. "Dans mes quatre classes, continue l'intarissable matheux, au moins soixante-dix élèves se sont inscrits. Chacun des participants sera récompensé en fin d'année. L'inscription est payante, et l'argent est dédié à des actions humanitaires. Cette année, les fonds donneront un accès à l'eau potable à des enfants haïtiens ainsi qu'à leurs familles." 

Alors oui, faire des maths en s'amusant, et de plus en faisant œuvre utile, cela est possible. Kierkegaard avait tort de désespérer : le possible existe ! » (La Dépêche du Midi, 24 janvier 2012)


(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)

Pilchard fatidique


Le 21 avril 1934, Heidegger, le cœur gros et le Dasein en berne, démissionne de ses fonctions administratives. Il a été contraint à cette démission pour avoir fait une plaisanterie sur Joseph Goebbels, où il comparait ce dernier à un pilchard. Après cette date, il n'est donc plus membre actif de l'administration nationale-socialiste. 

Il poursuit son enseignement jusqu'en 1944, année où il est réquisitionné dans la milice en tant que « professeur non indispensable ». Durant cette période, il traite notamment de la poésie de Hölderlin, de la philosophie de Nietzsche, des réflexions de Parménide sur l'être et le néant, tout en écoutant en boucle les chansons de Demis Roussos (Rain and Tears) et de Mort Schuman (Le Lac Majeur) qui s'harmonisent à merveille avec son humeur mélancolique.

(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

Interlude

       Jeune femme lisant la Mathématique du néant de Włodzisław Szczur

Amertume


« Si de l'amertume d'une substance nous étions assez insensés pour vouloir conclure qu'elle a la propriété de fortifier l'estomac, une foule d'absurdités et de non-sens découleraient de cette proposition. Pourquoi en effet ne regarderait-on point comme des toniques et des stomachiques, le cérumen des oreilles, la bile des animaux, la scille, l'agaric de chêne, la staphysaigre, la noix vomique, la fève Saint-Ignace, la coloquinte, l'élaterium, et autres drogues fort amères, dont plusieurs sont, à des doses très-modérées, capables d'anéantir la vie des hommes ? » (Samuel Hahnemann, Traité de matière médicale ou de l'action pure des médicaments homœopathiques, J.-B. Baillière, Paris, 1834)

Voilà qui est bien dit, mais la vie elle-même n'est-elle pas très-amère, mon cher Samuel ?


(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Comme Tchitchikov


Je rêvais de parcourir le monde en dilettante de l'anéantissement, dans une petite britchka à l'usage des célibataires.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Révélation gênante


Affirmer l'identité de l'être et de la temporalité d'une part, la détermination de l'être de l'homme comme « être-pour-la-mort » d'autre part, n'est-ce pas révéler l'identité de l'être et du néant ?

C'est du moins le reproche que fait, dans Was ist Existenzphilosophie (1946), la pénible Hannah Arendt au pauvre Heidegger dont le Dasein déjà déclinant (il allait sur ses cinquante-sept ans) n'avait sûrement pas besoin de ça.

Au dire de Karl Jaspers, l'ontologue de la Forêt-Noire ne put d'ailleurs retenir un mouvement d'impatience en parcourant le brûlot du bas-bleu « expert ès totalitarisme ». « En quoi cela peut-il la déranger, cette bourrelle, que l'on révèle l'identité de l'être et du néant ? C'est tout de même un monde ! » aurait déclaré le philosophe qui pourtant sortait rarement de ses gonds existentiaux.


(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Fin de partie


Comme les trilobites de la période silurienne, comme les grands reptiles du lias, les mastodontes et les mégathériums de l'époque tertiaire, l'homme est-il condamné à disparaître un jour de la surface de la terre ? Cette question, qui semble surpasser la compétence du raisonnement humain, le suicidé philosophique, ce penseur intrépide doublé d'un solipsiste renforcé, y répond positivement en mettant la dernière touche à son chef-d'œuvre : l'homicide de soi-même.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Interlude

       Jeune femme lisant la Mélancolie bourboulienne de Léon Glapusz

Sondage périlleux


Au cours de l'automne 1954, les Suédois apprennent avec stupéfaction que Stig Dagerman, l'écrivain le plus emblématique de sa génération, a été retrouvé mort dans sa voiture dont il avait fermé les portières et laissé le moteur tourner. Gragerfis remarque que maints de ses écrits annonçaient sa volonté de se détruire. Ainsi, dans Notre besoin de consolation : « La dépression possède sept tiroirs et au fond du septième se trouvent un couteau, un rasoir, un poison, une eau profonde et une chute vertigineuse. Je finis par être l'esclave de tous ces instruments de mort. Ils me suivent comme des chiens, ou c'est moi qui les suis comme un chien. Et il me semble comprendre que le suicide est la seule preuve de la liberté de l'homme ».

Selon Gragerfis, Dagerman aurait « trop sondé la douloureuse réalité de l'existence » et disséqué des émotions telles que la peur, la culpabilité et la solitude, « ce qui n'est jamais bon ».


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Mal-être existentiel du capitaine Haddock


Quand Tintin fait sa rencontre sur le navire Karaboudjan, le capitaine Haddock est engagé dans un effroyable processus d'autodestruction : il boit, consciencieusement, systématiquement, jusqu'à être « saoul comme une bourrique ». Il boit pour oublier son Moi, sans doute, mais surtout pour noyer le désespoir qu'il ressent à vivre isolé dans un univers de menace et de désolation, sans autre perspective que la mort. En cela, il est un véritable héros existentialiste, un cousin de Meursault et de Roquentin.

Tintin qui, en « homme de la Nature et de la Vérité », ignore le sens tragique de l'existence, tente de le culpabiliser : « Songez à votre dignité, capitaine !... Que dirait votre vieille mère si elle vous voyait dans cet état ? »

Et ça marche ! Le capitaine s'effondre : « M-m-ma vieille m-m-mère ?... Bou-ou-ouh... Maman ! M'man-an !... Bou-ouh ! » Il prend alors de « bonnes résolutions » et sous l'influence de son puritain camarade, qui a fait de lui une sorte de born again, il ira même jusqu'à devenir le président de la ligue des marins anti-alcooliques dans L'Étoile mystérieuse.

Mais cela ne durera qu'un temps et le Loch Lomond, efficace antidote à l'atrocité du quotidien, finira par reprendre ses droits.


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)