dimanche 3 novembre 2019

Pourquoi il y a du poil sur les noix de coco ? (C. Bukowski)


Duke avait une fille, Lala, comme on l'appelait, une fille de quatre ans, son premier enfant. Il avait toujours pris soin de ne pas avoir d'enfants, craignant qu'ils ne le tuent un jour, et maintenant il était fou de Lala. Elle le ravissait, elle devinait tout ce qu'il pensait, comme si un fil la rattachait à lui, et lui à elle.
Duke était au supermarché avec Lala et ils parlaient tous les deux et Lala lui disait tout ce qu'elle savait et elle en savait beaucoup, d'instinct, et Duke ne savait pas grand chose mais il disait ce qu'il pouvait, et ça marchait. Ils étaient heureux ensemble.
« C'est quoi ça ? demandait Lala.
— Une noix de coco.
— Il y a quoi dedans ?
— Du lait et du truc à mâcher.
— Pourquoi ils sont dedans ?
— Parce qu'ils aiment ça, le lait et le truc à mâcher, ils aiment être dans cette coquille. Et ils se disent : "Oh ! que j'aime ça !"
— Pourquoi ils aiment ça ?
— N'importe qui aimerait ça. Moi aussi.
— Non, pas toi. Si t'étais à l'intérieur, tu ne pourrais pas sortir ta voiture, tu ne pourrais pas manger tes œufs au bacon...
— Les œufs au bacon ne sont pas tout dans la vie. Il y a aussi l'existentialisme chrétien.
— C'est quoi ?
— C'est une école de pensée que l'on rattache souvent à l'œuvre du philosophe danois Søren Kierkegaard. Elle s'appuie sur trois affirmations majeures fondées sur la compréhension unique qu'avait Kierkegaard du christianisme. La première est que l'univers est fondamentalement paradoxal, et que le plus grand paradoxe de tous est l'union transcendante de Dieu et de l'humain en la personne du Christ. La deuxième est qu'avoir une relation personnelle avec Dieu dépasse toutes les morales, les structures sociales et les normes communes établies. La troisième est que suivre les conventions sociales est essentiellement un choix esthétique personnel que font les individus.
— Oh ?
— Ouais. »


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)