dimanche 20 mai 2018

Création de lien


« C'est un projet qui vient de voir le jour à La Bourboule, proposé par le Centre communal d'action sociale afin de créer du lien1 et des échanges. Catherine, tout récemment installée dans la station thermale, en est la coordinatrice.

L'idée du projet trouve son origine dans le constat que chacun détient un ou plusieurs savoir-faire, une compétence à partager avec une autre personne, qui peut à son tour proposer son savoir. "J'ai ainsi rencontré Marianne qui souhaite apprendre l'informatique et propose d'enseigner diverses activités manuelles — notamment la cuisine — ou encore Johannes, qui aimerait savoir comment supporter l'haeccéité et peut aider quelqu'un souhaitant apprendre à faire des nœuds coulants d'une solidité à toute épreuve" confie Catherine.


Pas d'adhésion, pas de contrepartie, simplement le souhait de partager des techniques ou des savoirs que l'on maîtrise et qui peuvent être de tous ordres, y compris des techniques relatives à l'anéantissement du Moi. » (La Montagne, 29 janvier 2017) 
— Eh bien ça alors !

1. C'est nous, Glapusz, qui soulignons.

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Triste évidence


Il n'est vraiment nul besoin de réussir pour persévérer — particulièrement dans l'être.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Un homme qui dort


À Constance, Martin Heidegger est malheureux. Le séminaire est une ruine, la ville est sinistre ; quand il ne pleut pas, on est dévoré par les aoûtas, et les religieux sont de patibulaires canailles.

L'ennui le dévore, il ne digère plus, il ne dort plus, il ne respire qu'avec peine, et la vie est pour lui un supplice. Par chance, il tombe sur un roman de Georges Perec, Un homme qui dort, et ce portrait d'une solitude urbaine, autant inspiré par Kafka que par le Bartleby de Melville, l'aide à tenir le coup. Il développe une véritable passion pour le « chantre de l'absence douloureuse » et dévore tous ses ouvrages dès leur parution, ce qui accroît encore cette susceptibilité nerveuse qui s'était annoncée dès sa première enfance. À quatorze ans, il a déjà conçu une forte haine de la fastidieuse « réalité empirique » qui forme l'arrière-plan de l'existence humaine, et une inclination non moins forte pour l'ontologie critique.

En 1906, ses parents, horrifiés de sa taciturnité, de sa morosité, de son aversion pour la société, le font transférer au petit séminaire de Fribourg.


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

Paradoxe du singe savant


Le paradoxe du singe savant est un théorème selon lequel un singe qui tape indéfiniment et au hasard sur le clavier d'une machine à écrire pourra « presque sûrement » écrire un texte donné. Dans ce contexte, « presque sûrement » est une expression mathématique ayant un sens précis qu'il serait fastidieux de détailler ici, et le singe n'est pas forcément un vrai singe, mais peut aussi bien être une exposition de bétail, une manufacture de tabac, ou encore une pelote de laine à tricoter.

Le théorème illustre les dangers de raisonner sur l'infini en imaginant un très grand nombre, mais fini, et vice versa. La probabilité qu'un singe tape avec exactitude un ouvrage complet comme les Exercices de lypémanie de Marcel Banquine est si faible que la chance que cela se produise au cours d'une période de treize milliards d'années (l'âge de l'univers) est infime, bien que non nulle — surtout si le singe a une vision « nihilique » du monde.

(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Une discrétion de bon aloi


Le suicidé philosophique ne parle de l'homicide de soi-même que d'une façon secrète ou discrète, poétiquement, et donc d'une façon qui ne manque pas d'être suggestive et incitante. Car il sait bien que certaines images, trop précises — exempli gratia, celle du four béant d'une gazinière —, glacent et figent l'attente, le désir et l'espoir, à l'inverse de ce que croient les érotiques ou les graveleux qui se figurent que la vue réaliste des choses a le pouvoir de changer tout homme en satyre.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Un funeste attelage


L'amertume et le désespoir sont les mêmes chez le suicidé philosophique et chez l'adepte du caravaning, plus poignants peut-être, et plus sincères chez le premier.  

Léthargie du vouloir-vivre ! C'est bien le sort du suicidé philosophique, enchaîné à son Moi demi-mort comme le vivant de Virgile au cadavre qui le glace, et comme le « caravanier » à son incommode carriole.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Un être hircin


« Les grandes cornes qui surmontent la tête du bouc, et la longue barbe qui est suspendue à son menton, lui donnent un air bizarre et équivoque qui n'est pas sans rappeler celui de l'écrivain Georges Perec. Le bouc a cependant ceci de supérieur sur le "chantre de l'absence douloureuse", c'est qu'il ne compose pas d'indigestes et puérils lipogrammes. » (Georges-Louis Leclerc de Buffon, Œuvres complètes, tome 3, Furne & Cie, Paris, 1842, page 602)

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Belfort : un café au féminin pour mieux vivre ensemble


« À Belfort, l'association Femmes Relais a lancé en 2002 des ateliers baptisés Café au féminin pour contribuer au "mieux vivre ensemble". Il s'agit de groupes de parole qui se réunissent une fois par semaine dans trois quartiers belfortains : les Résidences, les Glacis et Belfort Nord. "Ici, on vit ensemble à travers les échanges, les relations humaines. Je me retrouve comme une enfant. On a la liberté de donner notre avis" explique Keira Daouad 53 ans, une Française d'origine algérienne.

Tous les thèmes sont abordés : accès aux "allocs", santé, et même culture — dernièrement, un débat animé a opposé les participantes sur la question de savoir si, comme le prétend l'empirisme logique, les énoncés éthiques et métaphysiques sont, en tant qu'énoncés prescriptifs, nécessairement "vides de sens". Les participantes sont issues de quarante-huit nationalités différentes ce qui permet un vrai brassage multi-culturel. "Le vivre ensemble, on le travaille à travers ces cafés au féminin. C'est important que chacune s'implique dans ces échanges, qu'elle participe à la vie citoyenne" explique Nicole Larcat, directrice de l'association Femmes Relais.

Les adhérentes ont la possibilité d'apprendre le français grâce aux ateliers socio-linguistiques, où la parole est libre et sans tabou. Il arrive même qu'on y discute de la sensation d'angoisse qui étreint le sujet pensant quand il se voit pourvu de caractéristiques, matérielles et immatérielles, qui font de lui une "chose particulière"
ce que les philosophes appellent l'haeccéité. L'homicide de soi-même, qui offre une issue à cette suffocation existentielle, est également abordé par le biais de conférences (la dernière, qui portait sur l'usage du taupicide, a été donnée par l'écrivain Raymond Doppelchor devant une salle comble).

A l'époque du dixième anniversaire de l'association, les participantes avaient monté une pièce de théâtre sur la notion de mondanité dans l'œuvre d'Eugène Fink, et s'étaient produites sur les planches du théâtre Granit de Belfort. Un souvenir mémorable et un temps fort dans la vie de cette association ! »
(France Bleu, 12 février 2015)

(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)

Là d'où je t'appelle (Raymond Carver)


J.P. et moi, on est sur la véranda, devant la maison de désintoxication de Frank Martin. J.P. est avant tout un ivrogne. Mais il est aussi existentialiste chrétien. C'est la première fois qu'il vient, et il a peur. Moi, c'est la deuxième fois. Qu'est-ce qu'il y a à en dire ? Je suis revenu, c'est tout. Le vrai nom de J.P., c'est Joe Penny, mais il m'a dit de l'appeler J.P. Il a dans les trente ans. Plus jeune que moi. Pas beaucoup, mais un peu. Il est en train de me raconter comment il est devenu existentialiste chrétien, et il veut toujours se servir de ses mains en parlant. Mais ses mains tremblent. Je veux dire, elles ne veulent pas rester tranquilles.
— Ça, ça m'est jamais arrivé avant, dit-il.
Il veut dire le tremblement. Je lui dis que je comprends. Je lui dis que le tremblement passera. Et la crainte aussi, d'après Kierkegaard. Le tout, c'est d'arriver à oublier la discontinuité qui existe entre l'éthique et la foi. Mais il faut le temps.
On n'est là que depuis deux jours. On n'est pas sortis de l'auberge. J. P. a ses tremblements, et de temps en temps, un nerf — peut-être que c'est pas un nerf, mais c'est quelque chose — se met à me tirailler l'épaule à petites secousses. Quand ça arrive, ma bouche se dessèche. C'est un effort, rien que pour avaler. Abraham, lorsqu'il part dans la montagne pour sacrifier son fils Isaac, est-il un simple meurtrier ou non ? Le philosophe allemand Hegel disait à son sujet qu'il était le « père de la foi », mais son acte entre-t-il en contradiction avec les conceptions éthiques et morales de l'idéalisme allemand ? Toutes ces questions me donnent envie de me cacher. Je ferme les yeux et j'attends que ça passe, jusqu'à la fois suivante. J.P. peut attendre une minute.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

Discrimination


« Le service de covoiturage a pour objet de mettre en relation des passagers et des conducteurs souhaitant faire bénéficier d'autres personnes de leurs trajets, dans un souci d'économie, de préservation de l'environnement, de solidarité et de convivialité. Il est géré par la Ville de La Bourboule avec l'aide bénévole de Bruno Cordier. L'inscription et la diffusion des annonces sont gratuites. La Ville de la Bourboule et Bruno Cordier se réservent le droit de ne pas diffuser des annonces jugées douteuses, en particulier celles provenant de personnes nihiliques. »

« Oh, eh bien ça alors ! », s'exclame l'homme du nihil, qui pensait justement faire covoiturer son « être-vers-la-mort » (Sein zum Tode) du côté de Clermont-Ferrand, Ussel, etc, dans l'espoir de dépister l'exécrable Moi qui le bourrelle sans relâche.

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)