« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
vendredi 18 mai 2018
Rien de grave
Un salarié du magasin Monoprix du Raincy, en Seine-Saint-Denis, s'est donné la mort ce jeudi matin. Cet homme, qui travaillait depuis trente-quatre ans dans le groupe, a sauté du troisième étage du bâtiment, situé sur l'avenue de la Résistance, près de la gare RER du Raincy, à 7 h 25.
Le magasin n'est resté fermé que quelques heures et a rouvert vers 11 heures, comme le confirme la direction du groupe Monoprix.
« La décision a été prise en concertation avec les équipes » explique la directrice de la communication de Monoprix, Marion Denonfoux, qui ajoute que « plusieurs experts ont confirmé que la reprise du travail protège les salariés dans de telles situations ».
Ce vendredi matin, plusieurs clients rencontrés à la sortie du magasin disent avoir questionné les caissières au sujet de la fermeture de quelques heures de la veille. « J'ai demandé ce qui s'était passé » lâche une cliente. Réponse des salariés : « rien de grave ».
Réminiscence de Lucrèce et d'Épicure ? Dans ses Pensées sur la mort et l'immortalité (1830), Ludwig Feuerbach rappelle qu'à l'instar de l'homme du nihil, les Anciens n'étaient pas convaincus que la mort fût un mal, et donc pas non plus « une grosse affaire ». (France Bleu, 6 octobre 2017)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
La semaine des victimes de la « temporalité du temps »
« La Semaine bleue, action nationale consacrée aux retraités et personnes âgées, se déroule à partir de lundi. La Ville, le Centre communal d'action sociale et la résidence Les Prunelles proposent de nombreuses activités aux seniors mais aussi aux plus jeunes de Romorantin et de Pruniers pour "mieux vivre ensemble".
Lundi, au château de Beauvais, premier rendez-vous intergénérationnel, avec promenade et jeux d'adresse, suivi d'un pique-nique (reporté en cas d'intempéries). L'association de médiation animale Iaca proposera un atelier à partir de 14 h 30 pour apprendre à tisser des liens naturels entre humains et animaux. Les participants seront invités à discuter de la philosophie de Frédéric Nietzsche avec une gerbille de Mongolie.
Mardi, place à la musique avec Manu, des Copains d'abord, qui chantera Brassens à 14 h 30.
Mercredi, les "vieux jetons" et les moutards auront le choix entre "une gourmandise de légumes" et "comment fabriquer des bonbons". Le lendemain, tout le monde sera convié à écouter des "histoires et chansons de doudous" avec les enfants du relais d'assistantes maternelles des structures petite enfance.
Mercredi, aux Prunelles à Pruniers, et jeudi, à l'espace Robert-Serrault, Pascal Gomez animera une séance sur les bols tibétains. Moment de relaxation garanti !
Final en apothéose avec concours de belote au château de Beauvais, mais auparavant, de 10 h à 11 h 30, se tiendra un stand pour "écrire à la plume comme autrefois", et à 14 h, au cinéma le Palace, aura lieu une projection du film "Le Dasein s'est échappé" de Terence Fischer, avec Christopher Lee dans le rôle de l'infernale créature heideggérienne.
Un formidable programme qui vous donnerait presque envie d'être vieux, et qui démontre en tout cas que la vieillesse n'est pas forcément, comme le pensait le romancier Romain Gary, une chose "catastrophique", "atroce" et "dégoûtante". » (La Nouvelle République, 30 septembre 2017)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Aux choses mêmes !
« C'est un suicide macabre qui s'est déroulé vendredi vers 19 heures. Un homme de 42 ans se serait troué le crâne avec une perceuse avant de s'administrer de la mort-aux-rats. Secouru par les pompiers qu'avait alertés la sœur de la victime qui vit dans le même immeuble, l'homme, dépressif, a été transporté à l'hôpital de la Timone à Marseille. Il est malheureusement décédé hier matin des suites de ses blessures.
Selon les premiers éléments de l'enquête, le désespéré aurait été influencé par la lecture d'un article d'Eugène Fink intitulé "Le problème de la phénoménologie d'Edmond Husserl", publié dans la Revue internationale de philosophie en 1939 (on en a retrouvé un exemplaire dans sa commode, caché sous des chaussettes). Dans cet article, Fink écrit que "la radicalité d'une philosophie est fonction de la radicalisation de son problème" et explique que la méthode husserlienne offre un nouveau départ radical dans la recherche du sens de l'être : "Dans ce retour étonné à l'étant (l'existence des choses), l'homme s'ouvre à nouveau et pour ainsi dire originairement au monde, il se trouve à l'aube d'un nouveau jour du monde, où lui-même et tout ce qui est commencent à apparaître sous une nouvelle lumière, où la totalité de l'étant s'offre à lui d'une manière neuve".
Sans doute, la promesse d'un nouveau commencement, l'étonnement devant ce qui est, la méthode pour rejoindre l'immédiateté du donné, c'est-à-dire la démarche de la philosophie de Husserl, tout cela devait éveiller l'intérêt du malheureux qui, selon sa sœur, "baignait déjà dans une manière de penser bergsonienne" et était "attentif aux données immédiates de la conscience".
D'après les enquêteurs, l'homme aura sans doute voulu revenir d'un coup "aux choses mêmes", ulcéré qu'il était par les conceptions positivistes de son époque. » (La Provence, 24 octobre 2010)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Sanchopançaïsme nihilique
« Suicidé je suis né, suicidé je demeure : je ne perds ni ne gagne.
— Tu parles d'or, ami Sancho ! »
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. dégoût)
Deux « amis de la sagesse »
En 1964, Gabriel Marcel rencontre Emmanuel Levinas à l'Université Libre de Bruxelles et lui parle de la mort :
« C'est ma compagne la plus fidèle ; elle ne me quitte pas depuis l'enfance, elle est à l'intérieur de moi. La mort fonctionne en moi, sans repos, comme le sable coule dans un sablier. »
Il confesse ensuite sa phobie des insectes, qui menacent de dévorer son corps, exprime sa peur du morcellement et de la décomposition, évoque l'abîme qui le regarde « avec ses yeux », et sa sensation qu'on le « martyrise avec des couteaux empoisonnés ».
Levinas, pris de court et passablement embarrassé, lui conseille alors de « prendre un peu d'aspirine et un léger purgatif », de se faire « quelques frictions avec du vinaigre » et « ça passera ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Un petit sacripant
Un jour que sa mère traitait Heidegger d'« être vide et indéterminé » parce qu'il ne s'était pas lavé derrière les oreilles, il lui rétorqua non sans quelque suffisance : « Il est totalement erroné de parler de l'indétermination et du vide de l'être ».
On voit que dès cette époque — il n'avait alors que douze ans —, Heidegger avait compris que la déterminité de l'être n'est pas l'affaire de la simple acception d'un terme !
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Corde universelle
Le théorème de la corde universelle, dû au mathématicien Paul Lévy, décrit une propriété des fonctions f continues sur un intervalle [a, b] et telles que f (a) = f (b). Mais il évoque aussi le célèbre aphorisme de Cioran disant que dès qu'on sort dans la rue, « extermination » est le premier mot qui vient à l'esprit.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Longwy : « On s'entraide, c'est ça la société de demain »
« Un tour de France de l'agroécologie, c'est ce que propose l'association Fermes d'avenir. Une Longovicienne, Marie-Hélène Wirich, est actuellement dans le Sud pour participer à cette expérience pendant plusieurs jours. "Fermes d'avenir est une association qui aide à l'installation de microfermes. Elle promeut la permaculture, la préservation des petits producteurs locaux, la biodiversité, l'homicide de soi-même...", explique la trentenaire avant de se reprendre et d'ôter l'homicide de soi-même de la liste (sa langue avait fourché).
Des préoccupations qu'elle retrouve auprès des personnes qui participent au Fermes d'avenir Tour. Au programme : des visites de fermes, des rencontres avec des producteurs locaux, des dégustations... "Ça permet de tisser une carte de France de l'agroécologie et de créer du lien. C'est incroyable, l'énergie que les gens peuvent déployer pour leurs idées. Et pas seulement les suicidés philosophiques, dont on connaît l'incroyable persévérance quand il s'agit de se détruire !", souligne la jeune femme.
À chaque étape, qui dure quelques jours, c'est une petite communauté qui s'installe et accueille du public. Un restaurant et un bar bio, une boulangerie paysanne avec four à bois sont installés, tout comme un camping avec toilettes sèches où l'on peut "caguer" écologiquement tout en lisant les œuvres de l'idéaliste allemand Johann Gottlieb Fichte, connues pour faciliter le proverbial "transit intestinal". » (Le Républicain Lorrain, 1er août 2017)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Quartier nègre (Georges Simenon)
— Je ne vois que des nègres, avait murmuré Germaine, alors que le navire manœuvrait encore et que, du haut du pont promenade, elle voyait se rapprocher lentement un quai où attendaient deux rangs de dockers noirs.
Et son mari avait murmuré sans conviction :
— Évidemment !
Pourquoi évidemment, puisqu'ils étaient à l'entrée du canal de Panama, c'est-à-dire en Amérique centrale ? N'auraient-ils pas dû apercevoir des Indiens ?
Il y avait deux heures de cela et ils avaient eu d'autres occasions d'étonnement. Ils étaient vêtus de toile blanche, tous les deux coiffés d'un casque colonial. Dupuche qui parlait l'anglais mieux que sa femme avait discuté avec un nègre qui, en échange de ses bagages, lui avait remis un bout de carton avec un numéro en grommelant :
— Washington Hotel ?
— Yes ! avait-il répliqué, stupéfait, car c'était là qu'il comptait descendre.
Ceux des passagers du Ville de Verdun qui continuaient le voyage jusqu'à Tahiti descendaient à terre en se bousculant, car le bateau n'escalait que trois heures avant de pénétrer dans le canal. On apostrophait les Dupuche.
— Vous restez longtemps à Cristobal ?
— Notre bateau arrive dans deux jours...
— Bonne chance !...
Le soleil aidait à vous dépayser, et aussi l'uniforme des douaniers, des agents, des soldats américains qui gardaient le port et les rues voisines. Des nègres vous happaient au passage, pour vous entraîner dans leur auto, mais Germaine préféra une voiture attelée d'un cheval et surmontée d'un petit taud blanc d'où pendaient des glands de rideau.
— Nous allons apporter à ces nègres la morale et l'esthétique, dit Dupuche. Le poète Jules Lemaître n'a-t-il pas écrit : « Chers primitifs, ô Bamboulas, benjamins de la terre antique, grands innocents qui n'avez pas de morale ni d'esthétique » ?
— Si, confirma Germaine. Mais comment allons-nous procéder ?
— Hum... Et si on organisait une lecture publique d'Art et scolastique de Maritain ? Le thomisme me paraît être un bon point de départ...
— Excellente idée, dit Germaine. Mais ces nègres pourront-ils comprendre que, chez Maritain, le fondement de la doctrine de l'être est le principe d'identité qui justifie en droit une « raison d'être » intelligible ?
— Ma foi, nous verrons bien.
(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)
Un fieffé gredin
Dans son livre poignant intitulé Philosophie und Moral in der kantischen Kritik, l'« ami de la sagesse » Gerhard Krüger (1902‒1972) se livre à une tentative paradoxale : celle de comprendre Kant à partir de l'anthropologie conçue comme une herméneutique morale du Dasein.
Comme le pénible Levinas mais par d'autres moyens, Krüger veut prendre ses distances avec Heidegger pour qui la raison décisive de la finitude de l'homme est la mort, tandis que pour Kant, c'est l'obéissance morale au commandement inconditionné.
Mais dès le premier chapitre, le philosophe doit se rendre à l'évidence : la perversité instinctive du Dasein, sa propension irrésistible au mensonge, et les impulsions morbides auxquelles il se livre avec délectation dans ses survêtements bariolés, rendent impossible une interprétation fondamentalement morale de l'étant existant.
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
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