« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
mercredi 12 septembre 2018
Tératologie
Le repos de la veille nous avait fait du bien. On se remit en route avec plus de courage. Le Juif errant n'avait point paru le jour précédent, parce que, ne pouvant rester un instant en place, il ne pouvait rien nous conter qu'autant que nous étions en marche nous-mêmes ; aussi n'avions-nous pas fait un quart de lieue qu'il parut, reprit sa place accoutumée entre Velasquez et moi, et commença en ces termes :
« M. Augustin Pyramus de Candolle, dans ses Mémoires sur la famille des légumineuses, affirme avoir observé des fleurs de haricot commun qui avaient accidentellement les ailes, et quelquefois même les deux pièces de la carène transformées en étamines chargées d'anthères ; monstruosité curieuse qui rappelle le fait plus curieux encore observé par M. Jacquin fils du Capsella bursa pastoris dont les quatre pétales se transforment quelquefois en étamines surnuméraires ! »
Comme le Juif errant en était à cet endroit de sa narration, nous arrivâmes au gîte, et l'infortuné vagabond se perdit dans les montagnes.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Sédatif suprême
L'âme, lorsqu'elle est malade, fait comme le corps : elle se tourmente et s'agite en tout sens, mais finit par trouver un peu de calme. Elle s'arrête enfin sur l'idée le plus nécessaire à son repos : celle de l'homicide de soi-même.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Prise de décision dans un univers incertain
L'homme du nihil est pessimiste en ce sens qu'il considère qu'on ne peut pas rattraper les pertes redoutées dans un état très plausible du monde par les gains espérés dans un état moins plausible. Quand il doit prendre une décision, ses instruments de prédilection sont donc le taupicide et l'intégrale de Choquet relative à la nécessité.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Scrupule
Commettre l'homicide de soi-même, n'est-ce pas accorder encore trop d'importance au Moi, et donc lui « biser le cul » — comme disent les joueurs de boule de fort en Anjou — tout en l'exterminant ?
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Brodequins
Pendant la soirée, le Bohémien, se trouvant de loisir, reprit en ces termes la suite de son histoire :
« La vie est un long supplice des brodequins, pensée renouvelée de Blaise Pascal. »
Comme le Bohémien en était à cet endroit de sa narration, on vint l'appeler, et lorsqu'il fut sorti, Velasquez dit d'un air assez triste : « J'avais bien prévu que les histoires du Bohémien s'engrèneraient les unes dans les autres ! »
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Sphères transparentes
« J'ai pris, dit M. Leeuwenhoek en parlant de la semence du cabillau, ces particules ovales pour des cadavres d'animalcules crevés et distendus, parce qu'elles paraissoient quatre fois plus grandes que les corps des animalcules vivans. Dans d'autres endroits où il y avoit plusieurs de ces animalcules près les uns des autres, on en voyoit un grand nombre, qui ressembloient à une sphère transparente, et qui étoient comme environnés d'une autre sphère, on auroit dit que la sphère transparente étoit renfermée dans l'animalcule, et que celui-ci étoit enveloppé dans une matière aqueuse, mais qui avoit cependant quelque viscosité, et qui étoit elle-même entourée d'une membrane. Cette membrane venant à se rompre, la sphère intérieure, et la matière qui étoit autour devenoient visibles. » Leeuwenhoek, Continuatio Arcanorum Naturæ Detectorum, pag. 306.
Ô vanité ! Ô néant ! « Ô aueuglement estrange des hommes, gloriatur in malitia sua ! »
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Une expérience décevante
Comme le Mont-Dore, l'existence offre, de près, des tableaux du plus grand effet ; mais comme ceux de la station auvergnate, ces tableaux sont morts, c'est l'image réfrigérante de la déréliction. Très vite, la vie se révèle filandreuse et monotone. On l'admire, mais elle attriste, et bientôt on la quitte accablé d'ennui. Dans le Grand Rien, au contraire, tout rit, tout enchante. En un mot, nous nous éloignons de l'une sans regrets, tandis qu'en quittant l'autre — mais le quitte-t-on jamais ? — nous voudrions le revoir chaque jour.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
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