vendredi 7 septembre 2018

Hommage à Enrique Banchs


L'acte défécatoire, où à n'être que grotesque s'accoutume la matérielle existence...

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Interlude

Jeune femme lisant Forcipressure d'Étienne-Marcel Dussap

Sagesse populaire


Les sueurs froides, le pachynihil, la pensée du suicide qui vous transperce comme un bostryche, « ce n'est rien, un refroidissement, il suffit de prendre de l'aspirine, de se frictionner avec du vinaigre, d'appliquer un sinapisme et d'avaler un purgatif », simplement « de faire ce qu'on fait chez soi en pareil cas » et « ça passera ».

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Enfance et jeunesse du suicidé philosophique


« Dès l'âge de dix à onze ans, il s'adonna avec passion à la lecture des romans de Georges Perec, qui ne tardèrent pas à accroître cette susceptibilité nerveuse qui s'était annoncée dès sa première enfance. À douze ans, il avait déjà conçu une forte haine de l'haeccéité, et une inclination non moins forte pour le Rien. À treize ans, cette inclination, que le temps n'avait fait que fortifier, fut enfin contrariée par ses parents. Dès lors, taciturnité, morosité, fuite de la société, recherche de la solitude, goût plus passionné encore pour les romans de Georges Perec, et pour finir, recherche fébrile d'un puits busé, d'une corde de violoncelle, d'un flacon de taupicide, d'une falaise du haut de laquelle se jeter, ou d'un petit pan de mur jaune sur quoi se fracasser. »

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Caïman


Nous nous mîmes encore à errer dans les Alpujarras. Nous arrivâmes au gîte et, lorsque nous eûmes soupé, l'on pria Velasquez de continuer l'histoire de sa vie, ce qu'il fit en ces termes :

« Celui qu'enveloppent les draps glacés de l'angoisse, celui-là est incurieux. Il ne songe pas à s'émerveiller des prodiges de l'esprit humain ni à admirer la brièveté du style de Salluste. Son cerveau ressemble au désespoir muet des caïmans. »

Comme Velasquez en était à cet endroit de sa narration, il parut distrait, et comme nous vîmes qu'il avait quelque peine à retrouver le fil de son discours, nous le priâmes d'en remettre la suite au lendemain.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Le mot et la chose


Le philosophe Bergson, qui sans doute n'éprouva jamais le désir de se détruire, prétendait que si l'on avait envie d'ingérer du taupicide, c'était à cause d'un certain charme magique du mot « taupicide », idée qui exaspérait l'écrivain mondain Paul Valéry, car il y voyait un sophisme. « Si j'admets, disait ce dernier, que le taupicide a bon goût (avant toute expérience particulière), c'est à la substance même (qui s'appelle taupicide) que va mon approbation. Si c'est au contraire le mot de taupicide, que j'approuve, je puis le trouver gracieux, sonore, agréable à prononcer, je ne songerais pas à le manger. » — Bon goût ? Le taupicide ? Ô sancta simplicitas !

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Interlude

L'actrice Ginger Rogers lisant l'Appel du nihil de Martial Pollosson

Soumission


Le poëte se soumet à la rime, le dramaturge aux unités, le suicidé philosophique à l'absolu pouvoir du pachynihil qui l'exhorte incessamment à immoler son Moi.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Un ambitieux projet


Poussé par le désespoir et la philosophie allemande, je me suis proposé cette tâche inhumaine, médiévale : la destruction de l'étant existant — et de sa monstrueuse émanation, le Moi — comme d'une vermine.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Défection


Par dépit autant que par désir de vengeance, je décidai d'emprunter désormais mon organisation à la classe des céphalopodes plutôt qu'à celle des mammifères.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Clupea pilchardus


Lorsque nous fûmes à table, c'est-à-dire autour d'une nappe de cuir étendue à terre, le cabaliste se mit à tenir plusieurs propos qui annonçaient son mécontentement contre le monde des esprits. Il reprit le même sujet lorsque nous eûmes achevé de manger. Sa sœur, qui semblait y trouver de l'inconvenance, fit ce qu'elle put pour donner un autre tour à la conversation. Enfin, elle pria Velasquez de raconter son histoire, ce qu'il fit en ces termes :

« Incapable de nager, dépourvu de branchies, et cependant pilchard. »

Comme Velasquez en était à cet endroit de sa narration, le cabaliste l'interrompit parce qu'il avait, disait-il, des choses importantes à communiquer à sa sœur. Nous nous séparâmes donc, et chacun s'en alla de son côté.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Interlude

Jeune femme lisant les Exercices de lypémanie de Marcel Banquine

Frayeurs enfantines


« Pour l'enfant que j'étais, l'univers des cabinets, où j'avais coutume de lire les Aventures de Tintin, c'était le tumulte et l'incertitude, le royaume des périls sournois où des créatures molles, visqueuses — Rastapopoulos, les frères Loiseau, l'ingénieur Wolff —, se conjuguaient aux lames sourdes de ma mélancolie et au roulis de mon âme. » (Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain)

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Angoisse


D'après l'ontologue allemand Heidegger, l'angoisse provient du « glissement de l'étant dans le néant ». Le monde ambiant ayant été précipité dans l'abîme par quelque séisme pachyméninger, le Dasein est mis face à lui-même. Et sans le monde, le Dasein est désemparé : il se retrouve dans le strict pouvoir-être, ce qui est une situation éminemment désagréable.

Comme pour valider cette théorie, le 2 décembre 1980, le romancier Romain Gary se tire une balle dans la bouche. Selon Gragerfis, le littérateur, en plus d'être angoissé au sens heideggérien du terme, était profondément hostile au vieillissement, un processus qu'il jugeait « catastrophique », « atroce » et « dégoûtant ».


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)