Gens de lettres

 

S'ils avaient eu la moindre honnêteté intellectuelle, Cioran, Ionesco et Beckett se seraient traités l'un l'autre de « fausse valeur » et de « pot de pisse ». Mais au lieu de ça, ils se congratulaient mutuellement, les salops !

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Flux de pensée

 

On entend les mots « indépendance grecque », et aussitôt viennent à l'esprit les noms de Canaris, de Miaoulis, de Mavrocordatos ; puis entre en scène l'héroïne Bobelina aux fortes cuisses, suivie de l'ours Sobakiévitch et de son créateur Nicolas Gogol. Le cerveau humain est un véritable automate de Vaucanson !

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Bobina nie ma

 

Le nihilique. Sa bibliothèque est comme la vie : rébarbative et pleine de contrastes. On y trouve et l'austère Caillois et le pédant Borges.

— T'as pas mieux, comme contraste ? Ils se ressemblent trop. T'as qu'à dire Bobin.

— Ale niestety, Bobina nie ma. 

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Frelatement universel

 

Le meilleur moyen de ne pas être une fausse valeur est de ne pas être une valeur du tout.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Vie quand les croquants

 

« Que sera votre vie quand ?... les croquantes et les croquants ?... vous savez ?

— Non, je ne sais pas. Nie mam pojęcia, o czym Pan mówi. »

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Nouvelle en trois lignes

 

Le mathématicien Carlo Bourlet accusait sa femme d'en avoir. Pour se venger, le 12 août 1913, elle le tua avec une arête de poisson au bord du lac d'Annecy.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Hadamard m'a tuer

 

Nous n'en pouvons plus de ces théorèmes des nombres premiers, de ces matrices et de ces transformées, pour ne rien dire des fonctions méromorphes. Assez de mathématiques ! Du possible ! Du possible, sinon nous étouffons !

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Connaissance de Montcuq (et alentours)

Apprendre plein de choses (les coefficients stœchiométriques, la philosophie d'Alain Badiou) diminue d'abord l'angoisse (car on a l'impression de mieux comprendre le monde) puis l'augmente (car on réalise qu'on ne comprend rien, et peut-être pis encore, qu'il n'y a rien à comprendre).

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Vie en beau

 

Que Baudelaire engueule le vitrier qui n'avait pas de verres de couleur, passe encore, mais il aurait pu se dispenser d'écrabouiller ses carreaux avec un pot de fleur. À quoi ça rime ? Ce n'était peut-être pas de sa faute, au gars.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Figure de style

 

En Anjou, les gens disent qu'ils vont à une sépulture quand ils vont en réalité à un enterrement. Ce n'est pas une métonymie. Ce n'est pas une synecdoque. On ne sait pas très bien ce que c'est. Peut-être une hypallage ?

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Ubiquité de la douleur (d'exister)

 

Quand on est jeune, on croit que la douleur d'exister est quelque chose de métaphysique, mais en vieillissant, on constate qu'elle ne se manifeste pas seulement dans l'âme mais aussi dans les genoux, les côtelettes, le péritoine, et cætera.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Adieu aux forêts

 

Lorsqu'un quidam vous annonce qu'il va falloir être très courageux — et d'autant plus lorsque ce quidam est un médecin —, vous savez que vous allez bientôt pouvoir dire adieu à toutes les choses, au monde, à la mer, aux forêts ; dire adieu à toutes les roses que l'hiver prépare en secret. Et aussi, il faudrait voir à ne pas l'oublier, adieu à la philosophie marcellienne.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Éternel retour (sur soi-même)

 

Qu'eût été notre existence si nous n'avions pas été sans cesse déprimé ? Eussions-nous vu « la vie en beau » ? Eussions-nous été « heureux » ? Eussions-nous trouvé quelque agrément aux sonates, aux romans et aux tableaux de peinture ? Ce sont de ces questions que l'on se pose au coin de l'âtre, à la vêprée, les plis de sa robe pourprée — et son teint au vôtre pareil.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Jusqu'à la mort

 

Voltaire : Je ne suis pas d'accord avec ce que tu dis, en particulier avec cette idée que « rien n'est », mais je me battrai jusqu'à la mort pour que tu aies le droit de le dire.

Le nihilique : D'accord, vas-y. Mais jusqu'à la mort, hein ? Pas de chiqué ! On est pas au catch !

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Manifestation pascalienne

 

S'il faut en croire Louis Lafuma (Recherches pascaliennes, Paris, Delmas, 1949), le philosophe Blaise Pascal aurait, en 1658, déposé à la Préfecture de police une demande d'autorisation pour un rassemblement en soutien à une « sphère infinie » qu'il disait être la nature. Le slogan qu'il se proposait de faire scander aux participants était « Centre partout, circonférence nulle part ». L'autorisation, dit Lafuma, lui fut accordée, mais personne ne vint.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Eau, feu, rien, gaz

 

Qu'est-ce que l'être ? À l'embrouillamini des développements heideggériens, il est permis — mais non obligatoire — de préférer les réponses monosyllabiques du palotin Merdanpot.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Pissages polonais

 

Witold Gombrowicz était un véritable pissage polonais. On peut en dire autant de Stanisław Witkiewicz, mais à la différence de l'auteur de Ferdydurke, ce dernier était aussi un malage.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Tiercé gagnant

 

Les bonnes femmes ont toujours des bêtises à raconter, des choses sans intérêt, désespérément terre à terre. Elles ne vous laissent pas la possibilité de vous concentrer pour penser comme il faut à la mort. Ce doit être pour ça qu'il y a tant de gens qui vivent avec des bonnes femmes. Ça, plus la « mijole » et les « biberons Robert ». — Mijole, biberons Robert, impossibilité de se concentrer pour penser comme il faut à la mort : le tiercé gagnant.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Panique

 

En proie à une douleur thoracique d'origine inconnue, le nihilique, oui, le nihilique, celui qui a passé sa vie à conchier l'être, la réalité empirique, le monstre bipède, et cætera, et à faire l'éloge de l'homicide de soi-même, le nihilique, donc, s'écrie : « Je ne veux pas mourir, moi ! Je ne veux pas monter là-haut, moi ! Ni descendre en bas, ni passer au laminoir, ni qu'on me jette dans le feu, moi ! Je ne veux pas qu'on me martyrise avec des couteaux empoisonnés, moi ! Mais surtout, surtout, je ne veux pas que le Rien me regarde avec ses yeux. »

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Moulade ? Volution sociale ?

 

Finir comme Ravachol, en criant : « Vive la ré... ».

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Un modèle de discrétion

 

Le « négateur universel » Émile Cioran était impressionné par le silence du corps de Guido Ceronetti. Même quand ce dernier n'avait pas mangé, il n'avait pas de grenouilles. Et quand il larguait, c'étaient toujours des vesses.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

There's the rub

 

Hamlet, ça lui allait de clamecer, mais à la condition sine qua non de ne pas rêver. Il avait peur de faire des cauchemars. Ce n'est pas tout, il avait aussi une trouille bleue du vocable strapontin.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

À Konopiště

 

Felice : Qu'est-ce tu préfères, chez Nietzsche ? Le Surhomme ou l'Éternel retour ?

Kafka : Ch' chais pas. Le Surhomme ?

Felice : T'es guez.

Kafka : Purée, mais t'es plus chiante que Joséphine la cantatrice, toi. 

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Bird of ill omen

 

Si Nietzsche, au lieu de faire parler Zarathoustra, avait fait parler le radical de gauche Roger-Gérard Schwartzenberg, il lui aurait fait dire qu'il allait falloir être très courageux.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Triangle amoureux

 

Quand Lou Andreas-Salomé voulait accorder sa harpe, elle demandait le la à Paul Rée, ce qui avait le don de courroucer Nietzsche.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Patineur matineux

 

Le « patineur matineux » dont parle le poëte Francis Vielé-Griffin dans son poëme Matinée d'hiver n'est autre que le négateur Émile Cioran. Chaque jour, dès potron-minet, ce dernier se rendait à la patinoire de la rue de l'Odéon pour y exécuter des axels, des lutz, des flips, des salchows, parfois même des triples boucles piquées. Après ça, il était gonflé à bloc et pouvait dire du mal de l'être pour le restant de la journée. Il affirmait que c'était le secret de sa longévité dans la négation.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Alicament

 

La philosophie de Schopenhauer, non seulement est nutritive, mais elle guérit les blessures de l'âme. C'est un « alicament ». Quant à Schopenhauer lui-même, c'était un « rurbain » puisqu'il habitait un « très techouai yonvipa » (en fait une clinique psychiatrique, celle de Herisau dans le canton d'Appenzell).

— Tu confonds avec Robert Walser.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Colloque de Cerisy

 

« Dis donc, Maurice. Toi qu'as travaillé là-dessus. Est-ce qu'on doit dire “J'ai un corps” ou “Je suis mon corps” ?

— Ni l'un ni l'autre. Si tu veux vraiment dire quelque chose, tu peux dire “Je crois qu'il est possible qu'il pleuve plus tard”. Mais le mieux — et ce n'est pas moi qui le dis, c'est Wittgenstein —, ce serait que tu fermes ta gueule. »

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

En mâchant avec Héodote

 

Héodote, quand il a mis le pied chez les Mèdes... (interrompu pour cause de bêtise)

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Du Le Nain

 

C'est le soir. Dans la taverne enfumée, Blanchot joue à la bataille avec Klossowski, tandis que Bataille joue aux petits chevaux avec Louis-René des Forêts, Michel Leiris et Gaëtan Picon. On dirait du Le Nain.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Char m'a tuer

 

Si vous voulez être un paria, dites du mal de René Char. Traitez-le de baudruche, évoquez sa ressemblance intellectuelle avec un pot de pisse, et vous ne pourrez plus acheter une boule de campagne au Fournil du Léguer ou dans tout autre boulangerie sans vous faire mal regarder. Tant l'homme est un loup pour l'homme. Tant les fausses valeurs ont la vie dure.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Je suis l'autre

Gérard de Nerval fut trouvé pendu, le 26 janvier 1855, rue de la Vieille-Lanterne à Paris. Fragilité psychologique ? Problème de cohabitation avec une belle-mère envahissante ? Fatigue d'entendre citer à la télévision la phrase « Il faut que tout change pour que rien ne change » ? Peut-on jamais savoir avec certitude ce qui pousse un homme à se pendre aux barreaux d'une grille d'égout ?

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Deux dévergeots

Martin Heidegger cherchait le sens de l'être comme Thiéry de Ménonville la cochenille (avec autant de zèle et d'acharnement — et aussi peu de réussite).

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Solipsisme encore

 

Ils renoncèrent à l'estourbir après qu'il leur eut dit : « Je suis solipsiste, alors attention : cela aurait pour vous des conséquences fâcheuses, mes amis. »

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Un sacripant

 

Kant pense qu'il est impossible de savoir si quelque chose existe en dehors de nous (de nos représentations). C'est un petit sacripant.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Solipsisme

 

Puisque la « réalité empirique » ressemble au cauchemar d'un fou, dire qu'on est solipsiste revient à dire qu'on est tordu. Heureusement, on ne le dit qu'à soi-même (ce qui fait qu'il y a moins de gênance).

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Erreur bête

 

« Dadaïste, ami de Drieu la Rochelle, je me suis suicidé d'une balle dans le cœur le 6 novembre 1929 dans la maison du docteur Le Savoureux à Châtenay-Malabry. Je suis ?... Je suis ?...

— La mer Noire ?

— Eh non. La bonne réponse était Jacques Rigaut. »

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Bitoniau

 

Ce qui serait peut-être pas mal, ce serait d'être immortel, mais de pouvoir quand même mettre fin à ses jours à tout moment en appuyant sur un bitoniau.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Le Port-Salut n'a pas voulu

Chaque fois qu'il voyage en autocar, le nihilique appréhende de voir les autres voyageurs se mettre à chanter Un régiment de fromages blancs. Bien qu'il se flatte d'être stoïque, ce chant le plonge toujours dans une profonde mélancolie, car il lui rappelle qu'il est seul ; seul dans un monde de gros débiles.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

En lisant Tacite

 

Si c'est pour avoir les jetons et être horrifié, ce n'est pas la peine d'aller voir Freddy les griffes de la nuit, il n'y a qu'à ouvrir un livre d'histoire. Car il en a fait de belles, le monstre bipède. Question d'être un fidgarce, il se pose là.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Dignité tardive

 

Ce n'est qu'une fois qu'ils sont morts qu'on peut prendre les gens au sérieux. Ils n'ont plus de ridicules ni de manies horripilantes. La bêtise les a quittés. Si ça se trouve, on pourrait enfin se dire les choses et peut-être s'entendre, mais...

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Vérité de l'être

 

En général, les vivants essaient de ne pas trop puer et cachent tant bien que mal leur squelette, mais les morts n'ont plus cet élémentaire respect humain. Ils se lâchent. Bien sûr, ce n'est pas ragoûtant, mais qui pourrait leur en vouloir ? La puanteur, le squelette, c'est la vérité de l'être, comme dirait Heidegger.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Deux plus deux font cinq

 

Dostoïevski n'était peut-être pas très « fute-fute », mais il a compris une chose qui a complètement échappé à Kant et à Hegel : la Raison n'est pas « fun ».

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Grand Meaulnes

 

« Apprends-le, Seurel : j'ai écrit à ma mère jeudi dernier, pour lui demander de finir mes études à Paris. C'est aujourd'hui que je pars.

— C'est ça ! Barre-toi, pauvre con ! Avec ta perruque en peau de fesse !

— Mais... je ne suis pas chauve ! Que t'arrive-t-il, Seurel ? Qu'est-ce que cela veut dire ? »

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

De fameux lettrés

Quand on se trouve entraîné à discuter de littérature, on s'aperçoit vite que chacun croit avoir lu le fin du fin en fait d'auteurs. Pourtant, en creusant un peu, on constate qu'en réalité, neuf fois sur dix, les gens n'ont lu que des auteurs de révérence parler merde. Et l'on se prend de tendresse pour les bougres qui avouent ne lire que l'almanach, « pour savoir quand il y a de la lune et quand il n'y en a pas ».

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Un antidote infaillible

 

Si une femme vous attire, pas de panique. Imaginez-la aussitôt piquant une crise et vous engueulant comme du poisson pourri. Ça y est, vous pouvez poursuivre sans trouble votre existence de solitaire. C'est une solution JEUNE.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Je suis une légende

 

La plupart de ceux qu'on appelle aujourd'hui des écrivains se sont montrés assez malins pour faire croire au vulgum pecus qu'ils l'étaient, mais ça s'arrête là.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Court métrage

 

On dit que les mourants voient défiler devant leurs yeux leur vie entière. Dans le cas du nihilique, ça risque d'être ennuyeux et répétitif, sauf s'ils ne projettent que les épisodes méritant le nom d'événement (auquel cas ça va aller très vite).

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Description prémonitoire

 

Dans un de ses aphorismes, Lichtenberg parle du nihilique — qui n'était pourtant pas né à l'époque (vers 1775). Voici ce qu'il en dit : « Il était là, triste comme la petite mangeoire d'un oiseau crevé. » Il l'a peint tout entier et tout nu, comme dirait l'autre !

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Phrases

 

C'est une chose de dire qu'on naît seul et qu'on meurt seul, mais c'en est une tout autre que de devoir effectivement le faire (surtout la partie mourir, qui est angoissante au possible et pour laquelle on aurait bien besoin de compagnie).

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)