dimanche 27 mai 2018

Amputation


« Je crois qu'il n'est pas permis d'enlever les quatre derniers orteils en laissant subsister le premier ; il me semble qu'il serait plus nuisible qu'utile à la marche. » (J. Lisfranc, Précis de médecine opératoire, Paris, 1846) 

C'est aussi ce que pense le suicidé philosophique, qui décide d'y aller « franco de port et d'emballage » et de ne pas faire de quartier en s'attaquant à son Moi.

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Le remède à tant de maux


« Un prisonnier resserré dans un estroit cachot, priué de la lumiere du iour, enchaisné, & garotté de tous costez, ne respire qu'apres sa liberté : & nous qui sommes en ceste mortelle prison, entrauez à la cadéne de tant d'infirmitez, subiects à tant de douleurs, nous cherissons cet esclauage, & n'auons rien en plus grande horreur que nostre deliurãce : en ce mortel exil nous sommes subiects à mille & mille incommoditez, bastantes de nous faire abhorrer cette vie : & neantmoins nous craignons la mort, vray et singulier remede à tant de maux. »

(Les diuersitez de Messire Iean Pierre Camus, Euesque & Seigneur de Belley, Paris, Cl. Chapelet, 1612)

Sortir du moment dialectique


Exténué par le commerce des idéalistes allemands, l'homme du nihil recherche la paix de l'âme dans la contemplation des moineaux sur la neige, d'une théorie de tortues, d'un vol de canards sauvages, d'une touffe de roseaux. Mais la dissolution dialectique des concepts abstraits a laissé ses nerfs à vif : une tache, une ombre, et l'absolu le terrasse !

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Vaincre la solitude du Dasein


« Vous avez plus de cinquante ans, vous avez besoin de convivialité, de dialogue, de liens amicaux...Vous voulez sortir de la solitude...Vous aimez les jeux, les sorties, les échanges... Alors venez rejoindre le club Accueil et Amitié

Parties de cartes, scrabble, jeux de société autour d'un café, d'un chocolat ou d'un verre de taupicide dans une ambiance conviviale.

Club Accueil et Amitié, 76 Impasse Haute de Quaire, 63150 La Bourboule. »

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Suicide d'un chien


Dimanche vers 10 h, les passants à la hauteur du 19 rue Georges Clémenceau à Romorantin ont eu la surprise de voir un chien sauter du deuxième étage de l'immeuble et s'écraser sur la chaussée, dix mètres plus bas.

Ce drame, constaté quelques instants plus tard par les gendarmes, résulte de l'inconscience de sa propriétaire de 32 ans, bourrelle irresponsable et sous curatelle renforcée. La jeune femme, trouvant qu'il faisait trop chaud dans son petit logement, abandonnait ses animaux sans soins pour rejoindre des amis habitant une maison plus agréable en été !

Les gendarmes ont trouvé dans son appartement un chat, une deuxième chienne de race berger allemand, ainsi qu'un chaton d'un mois qui s'était réfugié dans un placard. D'après les premières constatations effectuées par la gendarmerie, le désespéré, un berger suisse de couleur blanche, aurait cassé un carreau et forcé les volets fermés pour fuir la situation intenable qui régnait dans la chambre où s'accumulaient depuis un mois déjections et urine de ces quatre animaux enfermés par forte chaleur et sans eau.

Seul aspect positif de cette triste affaire : elle discrédite définitivement la thèse de l'ontologue Heidegger qui soutenait que l'animal est « pauvre en monde » parce que « ses inhibitions le cloisonnent dans une dépendance pulsionnelle panique et aliénante ». On voit au contraire que, comme le Dasein, l'animal ressent la présence d'une absence, d'un vide, d'un creux, donc d'une porosité au sein de son être. Et la privation d'être qui permet le contingent, ce n'est rien autre chose que la trace de la finitude, la conscience qu'a l'étant existant de son être-pour-la-mort, autrement dit le néant.  (Le Petit Solognot, 19 juillet 2017)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

Théorème d'arrêt de Doob


Le théorème d'arrêt de Doob, dû à Joseph Leo Doob, est un résultat important en théorie des probabilités : il permet par exemple à l'homme du nihil de déterminer avec une marge d'erreur très faible le moment idéal où « arrêter les frais ».

Il utilise pour ce faire la notion de martingale qui est une sorte de demi-ceinture placée dans le dos d'une capote ou d'un manteau pour marquer la taille, dont on peut aussi, quoiqu'elle soit un peu courte, se servir pour se pendre.

(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Aux fines herbes


Le 9 août 1896, après plus de deux mille essais de vol plané, Otto Lilienthal perd le contrôle de son planeur et tombe de dix-sept mètres de hauteur. Il meurt peu de temps après, à l'âge de quarante-huit ans, en prononçant ces derniers mots : « Opfer müssen gebracht werden ! » (Il faut qu'il y ait des victimes !)

En effet.


(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Contre le suicide


L'hypothétique de cette existence tempère ma hâte d'y mettre fin.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Plus jamais mal aux dents


Quand il s'agit d'un remède contre les maladies, on ne saurait être trop défiant, surtout quand le remède est inusité, extraordinaire, ou peu en accord avec les principes admis. Mais de ce qu'il est inusité et extraordinaire, il ne s'ensuit pas qu'on doive le rejeter ! 

Or, si l'expérience démontre qu'en certains cas, des maladies graves telles que l'haeccéité ont cédé à la puissance du revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe, cela prouve que cet instrument est utile. Ou bien ?


(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Zouaverie philosophique


Lorsque le professeur Tournesol, courroucé au delà de toute expression, entraîne le capitaine Haddock à travers le centre spatial de Sbrodj et, lui désignant un groupe de philosophes occupés à extruder des concepts, s'exclame : « Et ces gens-là, ils font aussi les zouaves, sans doute ? », il ne croit pas si bien dire. Car ces « amis de la sagesse », comme tous ceux qui les ont précédés, s'escriment en vain à disséquer la réalité empirique : tout ce qu'ils parviennent à produire, c'est de la « catalepsie conceptuelle ». Autrement dit, sous couvert d'idéalisme, de nominalisme ou d'empirisme logique, ils « font les zouaves ».

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Souvenir de vacances avec le Moi


Je me souviens d'un long moment où je restai seul avec mon désastreux camarade, une certaine année, au bout du verger, face au flanc abrupt du Salève, dans l'entourage du Chaffardon. J'entends encore l'entrechoc des boules sur le rectangle de gazon qui s'étendait devant la maison, les rires, le timbre des voix. 

Déjà, in petto, ma pensée était de le détruire.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)