« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
mercredi 19 septembre 2018
Histoire de Ouin-Ouin
Après le dîner du lendemain, Velasquez s'offrit de lui-même à reprendre son récit, ce qu'il fit en ces termes :
« C'est Ouin-Ouin qui va chercher sa femme à la gare de Neuchâtel... »
Mais voyant que le cabaliste lui lançait un regard noir, il préféra ne pas aller plus loin.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Sans trève ni repos
Charles Péguy, qui allait trouver la mort au front de Villeroy le 5 septembre 1914, semble déjà hanté par le spectre de la rétention, comme le montre cette confidence faite en septembre 1913 à son ami Joseph Lotte : « Il faut que je produise jusqu'à ce que je meure. Je n'ai pas le droit de m'arrêter. »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Un infatigable polygraphe
Comme le Khlestakov du Revizor, le Grand Tout « écrit aussi des vaudevilles ».
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Impuissance du Dasein
L'étant existant — le fameux Dasein des existentialistes — ne veut pas mourir, ni monter là-haut, ni descendre en bas, ni passer au laminoir, ni qu'on le jette dans le feu, ni qu'on le martyrise avec des couteaux empoisonnés, ni que le Rien le regarde avec ses yeux. — Mais ce que veut et ce que ne veut pas l'étant existant, la « nécessité » chère aux idéalistes allemands s'en « tamponne le coquillard ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Accipitres
Comme Rébecca demandait à Velasquez de nous exposer la genèse de son système, il commença ses explications en ces termes :
« Les rapaces sont aussi appelés accipitres. »
L'heure étant venue de faire halte et de dresser les tentes, Velasquez dut remettre à plus tard la suite de son exposé.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Ineffable
Non seulement l'excrément unit la chair et l'esprit, mais il rassemble encore le dicible et l'indicible. Il est cet accord avec l'ineffable sur quoi repose toute profération. Mais l'écoute de l'ineffable exige une lenteur à laquelle est peu enclin l'homme saisi par un besoin pressant.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Oscillation douloureuse
Je me transporte, par une hyppalage hardie, de l'être au non-être, et retour.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Une dignité sans égale
La physionomie des Maures est sévère, rembrunie, bilieuse, comme celle du suicidé philosophique mais sans l'austère dignité qui distingue ce dernier.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Défaut de portance
La « fin de vie », qu'elle prenne la forme du marasme sénile, de la maladie, ou des deux à la fois, est l'occasion privilégiée de faire ou d'approfondir l'expérience de la solitude.
Le psychologue suisse Quinodoz désigne sous le nom de portance (terme d'aéronautique désignant la force qui permet à un aéronef de se maintenir en altitude) l'aptitude acquise dès le plus jeune âge à supporter la solitude grâce à la présence intériorisée de la mère. Que vienne à manquer la santé, que le médecin reconnaisse son impuissance à nous regonfler, et nous voilà seuls. Quelque chose de notre portance est menacé ; nous avons, en quelque sorte, du plomb dans l'aile.
C'est ce qui arriva au philosophe — ou, comme il préférait se faire appeler, au « créateur de concepts » — Gilles Deleuze. Victime de sa trop grande imagination conceptuelle, et désireux d'échapper aux tourments d'une grave maladie respiratoire, il profita de son défaut de portance pour se détruire le 4 novembre 1995 en se défenestrant de son appartement parisien.
« Ce sont les organismes qui meurent, pas la vie. » avait-il déclaré — assez platement, à l'estime de Gragerfis — peu avant, dans un entretien.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Phosphore
Le lendemain matin, nous nous mîmes en route dès le lever du jour. Le Juif errant ayant fait sa réapparition, le cabaliste lui ordonna de reprendre son récit, ce qu'il fit en ces termes :
« Le phosphore existe dans la nature à l'état de phosphate ; on en trouve également dans les os, le système nerveux, l'urine et dans la laitance des poissons. Il fond à 44°. Soluble dans le sulfure de carbone, il se transforme, lorsqu'on le chauffe dans le vide ou dans l'azote à 240°, en un produit dit phosphore rouge. Ce phosphore n'est pas vénéneux, tandis que le premier est un poison violent. Le phosphore est employé à la fabrication des allumettes chimiques. »
Courroucé par ces propos, le cabaliste le renvoya aussitôt vers les sommets de l'Atlas.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
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