« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
samedi 8 décembre 2018
Tête de chien
Les nodules qui composent ce que les philosophes appellent la « réalité empirique » sont boulets gris et rugueux, franchement rébarbatifs. Il faut les rompre pour connaître les spectacles qu'il leur arrive de receler : rien, le plus souvent, qu'une morne matière peu translucide ; mais parfois des tracés capricieux ; des veines parallèles dont les méandres évoquent de façon frappante une tête de chien couché.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Zérumbet zététique
Volontiers zététique comme le zérumbet, cette plante herbacée voisine du gingembre, connue au Cambodge sous le nom de phteu, dont les inflorescences coniques poussent à partir des rhizomes souterrains.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Ode au silure
9 août. — Ô silure ! Poisson solitaire, lucifuge, qui, comme le nihilique, vis d'ordinaire dans les zones les plus profondes de ton habitat ! Aristote et Pline ont parlé de toi. Tu te nourris d'autres espèces de poissons, de reptiles, de frai, etc. Comme tes nageoires sont courtes et ton corps pesant, tu ne peux pas t'emparer de ta proie à la nage. Tu es constamment, surtout pendant le jour, dans des trous, sous des pierres, des racines d'arbres, etc ; ton corps, de couleur obscure et toujours couvert de limon, n'épouvante pas les autres poissons ; tes longs barbillons, avec lesquels tu joues, sont pris par eux pour des vers ; ils s'en approchent donc sans crainte, et sont entrés dans ton énorme bouche avant qu'ils se soient doutés du danger. Tu vis aussi de frai que tu vas chercher la nuit sur les bords des rivières, et des cadavres de quadrupèdes ou d'oiseaux que le hasard amène auprès de toi. On cite même des enfants trouvés dans ton estomac. Vieux silure, tu es le symbole de l'identité : toujours égal à toi-même. Je te salue, vieux silure !
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
Autre désespéré
La lourde masse déchiquetée d'un autre suicidé philosophique, retiré celui-là du lac Supérieur, paraît s'enorgueillir de pouvoir montrer, malgré son épaisseur, l'effilé, l'émacié propre au nihilique et qu'on ne constate jamais sur les sectateurs du Grand Tout. Il fait savoir qu'il fut porté à une terrible incandescence par l'idée du Rien, puis laissé à refroidir interminablement au fond d'eaux calmes, où une lente chimie, sans en émousser les aspérités, le recouvrit d'une patine polychrome.
(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Bouturage de polype
Pour celui qu'insupportent les herbacées absurdes du réel, couper et bouturer des polypes ne sont pas de vaines distractions.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Chasse au morse
21 juillet. ― Je tente de dissoudre la mélancolie qui m'accable en lisant le Dictionnaire théorique et pratique de chasse et de pêche, de Delisle de Moncel. Un passage retient particulièrement mon attention, celui qui traite de la chasse au morse. Voici ce qu'en dit l'auteur : « On préfère la chasse des morses à leur pêche, parce qu'elle est bien moins dangereuse : on choisit le temps de la basse mer pour les aborder : on marche alors de front vers ces animaux, pour leur couper la retraite : quand on en a tué quelques-uns, on fait une barrière de leurs cadavres, et on laisse quelques gens à l'affut pour assommer ceux qui restent. Quand ces animaux sont blessés, ils deviennent furieux, frappent de côté et d'autre avec leurs dents, brisent les armes des chasseurs, et dans le désespoir où ils se trouvent réduits, mettent leur tête entre leurs pattes et se laissent ainsi rouler dans l'eau. Si le hasard ou le besoin en a rassemblé un grand nombre, ils se secourent les uns les autres, vont à la mer, entourent les chaloupes, et cherchent à les renverser. Le morse, avant la navigation hardie des Européens, ne craignoit aucun ennemi, il avoit réussi à dompter jusqu'à l'ours du Groënland, qui semble le dominateur et le tyran du Nord. »
― Rien n'y fait. La mélancolie y est, elle y est toujours, encore aggravée par l'image de ces morses qui mettent leur tête entre leurs pattes et se laissent rouler dans l'eau.
(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
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