dimanche 24 juin 2018

Entonnoir


Aussi loin que je souvienne, j'ai toujours trouvé le réel infâme, et l'existence infundibuliforme.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer, Dégoût)

Interlude

         Jeune fille lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Bien senti


« Que le cœur de l'homme est creux et plein d'ordure ! », a dit Pascal. Précurseur de l'homme du nihil, le philosophe clermontois n'hésite pas, dans ses Pensées, à utiliser les images les plus brutales pour « conchier » l'étant existant, qu'il appelle notamment un « imbécile ver de terre » !

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Musique sérielle


Malgré leurs nombreuses et violentes prises de bec, le chef d'orchestre Pierre Boulez n'osa jamais traiter d'« imbécile ver de terre » le compositeur du Temps restitué, car ce dernier lui paraissait trop « barraqué » (au dire d'Olivier Messiaen).

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Malaise dans la civilisation


Il existe, on le sait, une grande variété de techniques pour se nettoyer le fondement, une fois accompli le « Grand Œuvre » : papier, pierres suffisamment lisses, feuilles, épis de maïs, boules de terre, branches, etc. Depuis l'aube des temps, l'homme, saisi d'on ne sait quel sentiment de culpabilité, étouffe sans bruit les traces de l'excrément, de la même façon que, dans la Colonie pénitentiaire de Kafka, le tampon de feutre placé sur la machine à tuer doit étouffer les derniers râles du condamné.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Théorème de Hartman-Grobman


En mathématiques, dans l'étude des systèmes dynamiques, le théorème de Hartman-Grobman énonce qu'un système dynamique — par exemple le Dasein —, au voisinage d'un équilibre hyperbolique, se comporte qualitativement de la même manière que le système linéarisé au voisinage de l'origine.

L'équilibre est bien sûr, dans le cas du Dasein, toujours très fragile, sauf au moment du trépas où il devient justement hyperbolique. Ce théorème explique pourquoi Ivan Ilitch, dans la nouvelle de Tolstoï, se remémore son enfance — le « voisinage de l'origine » — alors que la mort « marche vers lui à grandes enjambées, tel un prophète hébreu ».


(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Interlude

     Demoiselle lisant le Monocle du colonel Sponsz de Hermann von Trobben

Le salut par le piccolo


Pour dompter le Moi, Pardule, évêque de Laon, recommande l'absorption de vins « qui ne soient ni trop forts ni trop faibles, qui proviennent des flancs des côteaux et non du sommet des montagnes ou des profondeurs des vallées ». Tels sont ceux, d'après lui, du mont Ebon à Épernay, de Chaumussy, de Milly et de Comicy dans le Rémois. « Quant aux autres, ajoute-t-il, ils sont trop forts ou trop faibles, et me paraissent plutôt entretenir ou attiser la crapulerie du Moi ».

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Prémonition


Dans Les Cigares du pharaon, l'égyptologue Philémon Siclone, qui semble atteint de la danse de Saint-Guy après avoir reçu une fléchette empoisonnée au radjaïdjah, entonne la chanson « Non, mes yeux ne te verront plus... ». Il s'agit de l'air « De l'art, splendeur immortelle » de l'opéra Benvenuto Cellini d'Eugène Diaz de la Peña.

Intuition prémonitoire, car effectivement, ses yeux ne la verront plus, la tragique beauté de ce monde de néant : à la fin de l'album, il est interné dans un asile d'aliénés sur ordre du maharadjah de Rawajpoutalah.


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)