mercredi 29 août 2018

Plutôt le Rien


L'haeccéité est cette fatale tunique, teinte du sang du centaure Nessus, qui cause à l'homme des tourments si horribles que bien souvent il préfère la mort et se jette sur un bûcher, pour mettre fin à la cuisante douleur d'être ceci ou cela.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Interlude

Femme un peu snob lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Plouf !


« J'entendis avec ravissement ce bruit nombreux aux sonorités étouffées et si bien accordées à la mélancolie des anciens souvenirs ; et bientôt monta de la cuvette, me rendant à moi-même, avec cette vaste bénédiction de l'univers que nous ressentons tous à quelque moment de notre vie, l'odeur la plus exquise qui soit au monde, à la fois la plus jeune et la plus immémoriale, la plus ténébreuse et la plus innocente, la plus proche des commencements du globe et la plus neuve, celle qui remue au cœur du constipé le plus de tristesse et le plus de bonheur, le parfum du "Suisse". »

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Lemme de Dehn


Le lemme de Dehn est un résultat de topologie des variétés de dimension trois. Il énonce que l'existence d'une fonction affine par morceaux d'un disque vers une variété de dimension trois, dont les points singuliers se trouvent dans l'intérieur du disque, implique l'existence d'une autre fonction affine par morceaux entre ces espaces, qui est un plongement et qui est identique à l'originale sur les bords du disque.

Dans sa présentation, Max Dehn prend l'exemple d'un philosophe nihilique qui décide de se faire enfoncer le crâne par un disque de pierre lancé avec violence afin de vérifier expérimentalement que
« rien n'est ».

On pensait ce théorème démontré par Dehn en 1910, mais une erreur a été trouvée dans la démonstration par le mathématicien Hellmuth Kneser en 1929. Le statut du lemme de Dehn est demeuré incertain jusqu'en 1957. Il a alors été prouvé par Christos Papakyriakopoulos au moyen d'une construction ingénieuse à base de revêtements bitumineux pour toitures.


(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Macération


Je cultive l'opprobre de n'être pas rotacé.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Une anecdote poignante


Geraldo França de Lima nous rapporte que peu de temps avant son suicide, lors d'un repas avec Bernanos, Stefan Zweig, au restaurant, « pleurait d'émotion à la vue de tous les plats de viande disposés sur les tables ».

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Interlude

Jeune femme lisant les Scènes de la vie de Heidegger de Jean-René Vif

Paradigme opératoire


Pour se débarrasser de l'exécrable Moi, on se guidera sur les conseils que donne le Dr Rollet relativement à l'extirpation du sac lacrymal dans les dacryocystites 1, et « l'on pratiquera autant que possible la dissection méthodique. L'extirpation par morcellement devra n'être qu'un pis-aller. »

1. cf. Étienne Rollet, L'extirpation du sac lacrymal dans les dacryocystites, Lyon, Assoc. typogr., 1897.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Propriété merveilleuse de l'idée du Rien


Comme l'écrivain Blaise Cendrars, l'homme du nihil croit aux vertus vitales du désespoir et le pessimisme est pour lui médiocrité. Optimisme ? Non, plutôt confiance. Confiance en la radiance trouble de l'idée du Rien « qui procure au moulinet furtif de notre âme la matière vivante du réveil » (Marcel Jutique). — Mais à toutes fins utiles, il conserve dans les larges poches de sa redingote quelques bâtons de dynamite qu'il ne destine qu'à lui seul.

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Dangers du mouvement


Le général Haranochi commande la V e armée japonaise qui a pénétré en Chine après l'attentat simulé par Mitsuhirato. Il est petit, trapu, porte une moustache et est extrêmement irascible. Le jour de son arrivée à Shanghai, où il vient en inspection, Tintin l'attaque, lui dérobe ses vêtements et prend sa place, ce qui lui permet de distribuer moult jours d'arrêt. Le malheureux général, qui se retrouve en caleçon, aurait mieux fait de rester à Tokyo !

Ici, Hergé semble vouloir nous avertir des dangers qui guettent l'individu « en situation de mobilité ». Madame Edmée de La Rochefoucauld l'avait fait avant lui dans son beau livre L'angoisse et les écrivains : « Traverser la rue. Rouler en automobile, appréhension constante. Crainte latente de l'accident, de la mort. Pierre Curie tué par un camion. Émile Verhaeren qui manque une marche dans le train de Rouen et glisse sous le wagon. Jean Follain renversé par un taxi place de la Concorde. À chaque instant dans la ville, sur la route, la mort menace, est à éviter. » — Oui, cela est vrai, sans contredit.

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Apaisement fugace


Grâce au courant établi entre sa pensée effervescente et l'inerte régolite qu'il contemple — l'infrangible et pondéreux « réel » —, le suicidé philosophique se sent devenir pierre. Il se sait traversé par les mêmes forces que le minéral en apparence dénué de vie. Il y trouve une sérénité, certes, mais nulle raison suffisante, bien au contraire, d'abandonner son grand projet : l'homicide de soi-même.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Interlude

Jeune femme lisant la Mathématique du néant de Włodzisław Szczur

Médiumnique


Quand il n'est pas occupé à dilacérer son Moi, l'homme du nihil, qui se délecte dans le macabre, pratique à l'occasion la nécromancie. Par une condensation intense de sa volonté, par une exaltation prodigieuse de son dynamisme fluidique, il réussit parfois à évoquer le fantôme du « Nerval vaudois », Edmond-Henri Crisinel, cet athlète du Rien qui, vrillé par un térébrant sentiment d'échec, se donna la mort en se jetant dans le lac Léman. Plus d'une fois, des signes indubitables ont attesté la présence du spectre invisible qui, comme le héros de son roman Alectone, s'efforçait de « faire le mort, comme un cloporte ». Il y réussissait d'ailleurs très bien.

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Limbes


Entre le Rien et le Tout, il y a ce permafrost intermédiaire, ce rien où je m'ébats.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)