« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
mercredi 16 mai 2018
Marionnettes solidaires
« Une marionnette pour reprendre contact avec la "réalité empirique", voilà, en substance, l'objet d'Électron Libre, jeune projet en incubation dans la pépinière Cocoshaker, promoteur de l'économie sociale et solidaire clermontoise.
À sa tête, Marine Peinchaud propose des ateliers artistiques en direction des publics stigmatisés, et notamment les suicidés philosophiques. "Je me sers de l'outil marionnettique pour travailler avec des personnes qui ont des difficultés sociales, émotionnelles, et surtout existentielles", explique l'intéressée. Selon elle, grâce à cet "outil de dissociation", les "naufragés de l'existence" peuvent s'exprimer avec confiance car ils sont dissimulés derrière un personnage.
Voilà donc un projet atypique et innovant, qui s'inscrit dans un parcours professionnel dense et riche. Après avoir suivi un cursus dédié aux arts du spectacle et avoir fréquenté le conservatoire de Paris pendant dix ans, la jeune femme a mené, en parallèle, une formation de marionnettiste.
Double voire triple casquette, donc, pour la Riomoise, car Marine Peinchaud a ensuite travaillé dans le domaine de l'urgence sociale et existentielle. À Lyon notamment, auprès des personnes de plus de cinquante ans traumatisées par la lecture de Gabriel Marcel.
Pour cette jeune femme à l'engagement artistique et solidaire chevillé au corps, il est nécessaire de passer par l'art pour lutter contre l'angoisse d'exister et le dégoût de l'haeccéité. "Au travers de la performance marionnettique, je souhaite travailler l'estime de soi, le corps et la voix dans l'espace. Il me semble en effet que le fait de bouger et de produire des sons constitue une alternative intéressante à l'homicide de soi-même." — Peut-être, après tout... Pourquoi pas ? Tout n'est-il pas louable, en un sens ? » (La Montagne, 11 mars 2018)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Un chef d'œuvre incompris
L'homicide de soi-même : plus profond et plus exhaustif qu'aucun des drames de Shakespeare, bien au-dessus même du Faust de Goethe, proche des sommets wagnériens Tristan et Parsifal. Mais aussi : la plus grande et la moins comprise des créations de l'homme.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
À l'office du tourisme du Sancy
Employé
Depuis la Belle Époque, le charme agit à La Bourboule. Vous allez y succomber aussi.
Suicidé philosophique
Ah bon ?
Employé
C'est une petite ville thermale, avec un grand parc pour profiter de l'air pur et des activités pleine nature.
Suicidé philosophique
Des activités pleine nature ? Très bien.
Employé
Grands espaces et liberté, voici ce que vous promettent les randonnées raquettes dans le massif du Sancy. Développée à l'origine dans le Grand Nord, cette pratique vous permet de découvrir de sublimes paysages au cœur d'une nature préservée. Un vrai bol d'air !
Suicidé philosophique
À merveille. Va pour les raquettes.
Employé
Avec 250 km de pistes damées et balisées, le Massif du Sancy fait partie des domaines nordiques les plus vastes du Massif Central. Dans des paysages préservés, au cœur d'une nature à couper le souffle, parcourez les plus beaux reliefs de l'Auvergne.
Suicidé philosophique
À couper le souffle ? Tiens, tiens...
Employé (qui commence à voir à qui il a affaire)
Amateur de skating, de pas alternatif ou d'homicide de soi-même, vous serez comblé par l'immensité des hauts plateaux, le calme des forêts et la beauté des paysages.
Suicidé philosophique
Vous m'avez convaincu : je signe. Il signe, prend son chapeau et sort.
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Synthèse quintuple
« Dans un cas de mauvais instincts héréditaires dont j'ai le triste spécimen sous les yeux, des parents qui se livraient régulièrement à la synthèse quintuple fichtéenne — qui vise, comme on sait, à unifier en les égalisant les points de vue de l'être substantiel et du soi fini —, ont transmis à leur fille cette funeste habitude.
Dès l'âge de huit à neuf ans, cette enfant ouvrait les armoires, descendait à la cave, et cherchait de toute manière à assouvir sa détestable passion pour cette synthèse quintuple.
Mariée depuis à un homme très honorable, qui ignorait le funeste penchant de sa fiancée, elle désola sa nouvelle famille par les excès synthétiques les plus honteux. » (Bénédict Morel, Traité des maladies mentales, Paris, Victor Masson, 1860)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Les inconnus dans la maison (Georges Simenon)
— Allô ! Rogissart ?
Le procureur de la République était debout, en chemise, près du lit d'où émergeait le regard étonné de sa femme. Il avait froid, surtout aux pieds, car il s'était levé si soudainement qu'il n'avait pas trouvé ses pantoufles.
— Qui est à l'appareil ?
Il fronça les sourcils, répéta à l'intention de sa femme :
— Loursat ? C'est vous, Hector ?
Et sa femme, intriguée, repoussait la couverture, tendait un long bras trop blanc vers le second écouteur.
— Qu'est-ce que vous dites ?
La voix de l'avocat Loursat, lequel était cousin germain de la femme du procureur, énonçait calmement :
— Écoutez, hein. Je suis le philosophe Henri Bergson. Il me paraît vraisemblable que la conscience, originellement immanente à tout ce qui vit, s'endort là où il n'y a plus de mouvement spontané, et s'exalte quand la vie appuie vers l'activité libre. Chacun de nous a d'ailleurs pu vérifier cette loi sur lui-même. Qu'arrive-t-il quand une de nos actions cesse d'être spontanée pour devenir automatique ? La conscience s'en retire. Alors attention, hein !
— Mais... Mais... De quoi s'agit-il ?
— Écoutez, ne faites pas l'imbécile. Dans l'apprentissage d'un exercice, par exemple, nous commençons par être conscients de chacun des mouvements que nous exécutons, parce qu'il vient de nous, parce qu'il résulte d'une décision et implique un choix, puis, à mesure que ces mouvements s'enchaînent davantage entre eux et se déterminent plus mécaniquement les uns les autres, nous dispensant ainsi de nous décider et de choisir, la conscience que nous en avons diminue et disparaît. Alors ? Qu'est-ce que vous dites de ça ?
Quand le procureur raccrocha, Laurence Rogissart qui détestait son cousin laissa tomber :
— Il est encore ivre !
(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)
Traumatisme quotidien
Hippocrate connaissait la commotion cérébrale qui accompagne ordinairement les fortes percussions de la cavité crânienne ; il en énonce même deux ou trois symptômes graves, tels que la perte subite de la parole, celle de la vue et de l'ouïe 1. Mais de la non moins violente commotion engendrée par la vue d'un spécimen de monstruosité bipède — le fameux « autrui » du philosophe Levinas —, il ne dit mot.
1. cf. l'Aphorisme 58 et la 499e sentence des Coaques.
(Marcel banquine, Exercices de lypémanie)
1. cf. l'Aphorisme 58 et la 499e sentence des Coaques.
(Marcel banquine, Exercices de lypémanie)
Pullulement
Comme le poëte Baudelaire et le biologiste Paul Ralph Ehrlich, l'homme du nihil voit dans le pullulement humain un sujet majeur de dégoûtation.
Ehrlich raconte dans The Population Bomb (1968) que sa « prise de conscience de la monstruosité bipède » remonte à « une nuit chaude et nauséabonde à Delhi, où les gens passaient leur main à travers la fenêtre du taxi pour mendier. Les gens déféquaient et urinaient. Les gens s'accrochaient aux bus. Les gens élevaient des animaux. Des gens, des gens et encore des gens ». Il s'était empressé de retourner à son hôtel parce qu'il avait « peur de la foule ».
Dans son livre, Ehrlich préconise « le développement d'agents de stérilisation de masse ». L'homme du nihil ne peut que souscrire à ce projet, mais n'étant pas en position de le mettre en œuvre, il doit pour l'heure se contenter d'« aphoriser tous les affreux ».
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Une triste engeance
« La caste des philosophes se compose de cette multitude d'êtres faibles qui, moralement invertébrés, n'ont pas la puissance de résister aux perfides séductions du concept ou à l'entraînement du mauvais exemple (exempli gratia, Johann Gottlieb Fichte). C'est la plupart du temps parmi les affabulateurs compulsifs que se recrute cette déplorable engeance, dont tous les membres sont sur la pente qui conduit à l'échafaud. » (Mémoires de Vidocq, chef de la police de Sûreté jusqu'en 1827, Paris, Tenon, 1828)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Corymbe
Le corymbe (latin corymbus, du grec korumbos, grappe) est une inflorescence dont les pédoncules naissent de différents points de la tige et s'élèvent tous à peu près à la même hauteur. — « Tandis que je me vautrais dans une inaction propice à l'annihilation du Moi, un gel tardif a rôti mes blancs corymbes »
(Luc Pulfop, Prière d'incinérer. Dégoût)
(Luc Pulfop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Théorème de Löwenheim-Skolem
En théorie des modèles, le théorème de Löwenheim-Skolem (de Leopold Löwenheim et Thoralf Skolem) dit, en résumé, que si un ensemble de formules closes de la logique du premier ordre admet un modèle infini, alors il admet un modèle de n'importe quelle cardinalité infinie — au sens de Cantor ! — supérieure ou égale au cardinal du langage et de l'ensemble de formules.
Ce résultat implique que les théories du premier ordre sont incapables de contrôler la cardinalité de leurs modèles infinis, et qu'aucune théorie du premier ordre possédant un modèle infini ne peut avoir un modèle unique.
Le 22 janvier 1968, le dessinateur humoriste Chaval, de son vrai nom Yvan Le Louarn, après avoir pris connaissance de ce théorème en feuilletant les Mathematische Annalen (volume 75, pages 447-470) alors qu'il attendait son tour chez le coiffeur, décide de se suicider au gaz. Il rentre chez lui, calfeutre sa porte après avoir affiché dessus (côté extérieur) l'avis « Attention, danger d'explosion » et ouvre le robinet fatal.
Depuis quelque temps déjà, ce n'est pas seulement la cardinalité de ses modèles infinis que le dessinateur avait l'impression de ne plus contrôler, mais sa vie même. Ô vanité des vanités ! Ô rictus bestial de l'existence !
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
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