lundi 11 juin 2018

Dynamique du « Suisse »


Une autre singularité signifiante s'attache à l'image du « Suisse » : le sens du mouvement. L'excrément, par essence, est une dynamique vivante. Ce refus de l'immobilité, qui le pousse continûment vers l'Ouvert, répond à une « psychologie de l'intensité », comme dirait Bachelard.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Un maniaque de la persévérance dans l'être


« Même ceux d'entre nous qui vivent vieux, meurent trop jeunes », aurait déclaré Élie Metchnikoff un jour qu'il se sentait « gonflé à bloc ». Gragerfis, qui assistait à la scène, confie dans son Journal qu'une telle bêtise le laissa sans voix. « Il est heureux, ajoute-t-il, que le grand zoologiste ait mieux étudié le ténia de la grenouille que l'homme ».

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Nilpotence


On sait qu'en mathématiques, une algèbre de Lie, nommée en l'honneur du mathématicien Sophus Lie, est un espace vectoriel qui est muni d'un crochet de Lie, c'est-à-dire d'une loi de composition interne bilinéaire, antisymétrique et qui vérifie la relation de Jacobi. Une algèbre de Lie est un cas particulier d'algèbre sur un corps.

C'est sur la structure des algèbres de Lie que porte le théorème de Engel. Sommairement, il affirme que les deux notions de nilpotence que l'on peut définir pour une algèbre de Lie coïncident.

La nilpotence ! Le pouvoir du Rien ! N'y a-t-il pas là de quoi émouvoir au suprême l'homme du nihil et lui faire embrasser une carrière d'algébriste, quitte plus tard, si les résultats ne sont pas au rendez-vous, à se suspendre par le cou à un crochet de Lie ?


(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Interprétations divergentes


Certains glossateurs louent d'abord en l'excrément la « clairvoyance », la « perspicacité », la force rare d'une créature qui sait esquiver les pièges du « boyau culier » et négocier avec adresse tous ses méandres (Roger Caillois). Mais d'autres, d'accord certes avec cette admiration, la justifient par des raisons tout opposées, voient dans la défécation la revanche de l'irrationnel, l'affirmation fulgurante des forces obscures, l'explosion volcanique de nappes souterraines, incandescentes (Julien Gracq).

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Patronymes inappropriés


Certaines personnes portent bien mal leur nom. C'est le cas de l'empereur romain Commode (161-192) qui, au dire des historiens Vopisque et Jules Capitolin, ne l'était pas tellement, mais aussi celui d'Ivan Ivanovitch Sakharine, le collectionneur de maquettes du Secret de la Licorne, dont l'apparence, qui évoque celle de Raspoutine — longue barbe noire, cheveux gras plaqués et petits yeux cruels —, est tout sauf sucrée !

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Penser contre soi-même


Accablé par la conscience de son propre néant, l'homme du nihil trouve insupportable de devoir subir par-dessus le marché la tyrannie d'un Moi hâbleur et présomptueux. 

Si l'on excepte les expédients brutaux que sont l'homicide de soi-même et le muscadet, sa seule ressource, pour dompter le « sinistre polichinelle », est de retourner sa pensée contre lui-même.

Hélas ! Quand on s'engage dans cette voie, il est difficile de garder la mesure. Et c'est ainsi qu'entraîné sur la pente de l'ironie envers soi-même, l'homme du nihil va jusqu'à proclamer son affection pour les pigeons, alors qu'il a toujours trouvé ces volucres suprêmement importuns !


(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Bipolarité du désespoir


Dans son essai sur Gabriel Marcel et Karl Jaspers, l'« ami de la sagesse » Paul Ricœur distingue deux types de désespoir : d'un côté « un désespoir de l'objectivité pure, qui est un désespoir de spectateur et s'étale sur le plan du problématique » — Ricœur fait sans doute ici allusion au désespoir du spectateur ulcéré de ne rien voir parce qu'une « grosse dondon » obstrue son champ visuel à la manière d'un glaucome ; de l'autre un désespoir de l'existence, « qui procède de la méditation même de l'haeccéité, étreint la mort avec sérieux et s'enfonce dans une métaproblématique du néant ».

Il y a sans doute du vrai là-dedans, mais à l'estime de l'homme du nihil, ce vaillant champion de l'enfoncement dans la « métaproblématique du néant », seule la seconde catégorie mérite le beau nom de désespoir. 


(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)