« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
mardi 28 août 2018
Problème insoluble
La quadrature du cercle est, avec la trisection de l'angle et la duplication du cube, l'un des trois grands problèmes de l'Antiquité. Il vise à construire, pour un cercle donné, un carré de même aire avec la règle et le compas seuls.
Comme les deux autres, ce problème a été démontré insoluble, essentiellement grâce aux travaux de Wantzel et Lindemann.
En langage vulgaire, l'expression « chercher la quadrature du cercle » signifie tenter de résoudre un problème insoluble, et c'est bien ce que fait l'homme du nihil quand il essaie d'échapper à son Moi : il a beau traverser les steppes d'Asie centrale jusqu'au Kamtchatka, son ennemi secret ne tarde pas à retrouver sa trace, et le bourrellement recommence.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Un fortifiant sans égal
Dans la Pharmacopée universelle de Nicolas Lémery, on peut lire que l'idée du Rien « est propre pour fortifier toutes les parties vitales et principalement le cerveau, réjouit le cœur, ranime la mémoire, et préserve de la malignité en temps de peste. La dose, ajoute l'auteur, en est depuis deux dragmes jusqu'à une once, et elle a un goût fort agréable. »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Déréliction
Perdu parmi des millions de « monstres bipèdes » qui voient dans l'existence un genre de parc d'attractions, l'homme du nihil fait l'expérience unique d'une déréliction totale. Sa condition est inférieure à celle des choses, condamné qu'il est à une passivité complète dans son « cagibi rienesque », et à subir en sus ce crucifiement que les ontologues nomment haeccéité. Le bourrellement que lui inflige son odieux Moi est absolu, puisqu'il paralyse toute fuite, interdit tout abandon de soi, toute apostasie au sens étymologique du terme et touche par là l'essence même du Dasein rappelé à son ultime identité : celle d'un cadavre vivant.
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Adieux à l'Être
Heidegger meurt le 26 mai 1976 à Meßkirch, où il est enterré. Ses dernières paroles, fidèlement consignées par Elfriede, sont, sans surprise, une réflexion sur la mort : « Dans le Dasein, aussi longtemps qu'il est, quelque chose qu'il peut être et qu'il sera est à chaque fois encore en excédent. Or à cet excédent appartient la "fin" elle-même. La "fin" de l'être-au-monde est la mort. Cette fin appartenant au pouvoir-être, c'est-à-dire à l'existence, délimite et détermine la totalité à chaque fois possible du Dasein. Cependant, l'être-en-fin du Dasein dans la mort — et, avec lui, l'être-tout de cet étant — ne pourra être inclus de manière phénoménalement adéquate dans l'élucidation de son être-tout possible que si est conquis un concept ontologiquement suffisant, c'est-à-dire existential, de la mort ».
Quand, sur ce dernier mot, s'éteint la voix de Heidegger, tous les assistants ont les larmes aux yeux.
La même année est publié le premier volume des Œuvres complètes, qui comprendront environ cent-dix tomes, la Gesamtausgabe.
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Menuiserie ontologique
Selon la philosophie marcellienne, le passage de l'haeccéité de l'arbre à l'haeccéité des planches ne peut se faire qu'au moyen d'une scie à chantourner et au prix d'une refonte du schème hylémorphique laissant, entre forme et matière, une place centrale à la singularité de l'étant existant.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
De l'incroyable voracité des philosophes
« Un phénomène n'est pas plutôt apparu que les philosophes se jettent dessus et lui mangent les chairs, les artères, les membranes et les tendons, de sorte que le lendemain, il n'en reste plus que le squelette. Si le temps ne réduisoit les os en poussière, il arriveroit dans la suite qu'ils ne sçauroient plus où les mettre, tant ils sont avides de déchiqueter tout ce qui passe à leur portée. » (Joseph Gumilla, Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la philosophie, Avignon, Mossy, 1758)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Moindre effort
Un trou dans le sinciput pratiqué par une balle de calibre .44 russian, anéantira le sujet pensant aussi sûrement que si on l'avait concassé entièrement, os après os. C'est ce caractère d'être suffisant pour l'abrogation du Moi qui fait l'importance de l'homicide de soi-même par révolvérisation. Il a le mérite, si précieux, d'arriver à un grand résultat par les moyens les plus simples.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Lama
Si le lama crache régulièrement à la figure du capitaine Haddock, ce n'est pas pour divertir une petite élite dont il n'a cure, ni pour amuser cette entité platonique adulée qu'on surnomme la Masse. Il ne croit pas à ces deux abstractions, chères au démagogue. Il crache pour lui, pour ses amis, et pour adoucir le cours du temps.
Autrement dit, il le fait pour les mêmes raisons qui poussent l'homme du nihil à pratiquer la dilacération du Moi.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Incipit sans suite
Je me propose de reproduire, moyennant un système complexe de signes typographiques, l'aspect inachevé, hirsute et confus de mon intérieur frit.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
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