lundi 2 juillet 2018

Théorème de Brianchon


Le théorème de Brianchon stipule que les diagonales joignant les sommets opposés d'un hexagone sont concourantes si et seulement si cet hexagone est circonscrit à une conique.

Ce théorème dû au mathématicien français Charles Brianchon est, quoique formulé d'une façon moins élégante, l'exact dual du fameux théorème de Pascal qui dit que « le Moi est haïssable ».


(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Interlude

     Jeune femme lisant les Pensées rancies et cramoisies de J. Zimmerschmühl

Infécondité intellectuelle du merleau-pontisme


« Ce mardi matin, un homme de soixante-quinze ans a été retrouvé mort dans le village de Dommartin-lès-Remiremont.

Ce résident de la commune avait quitté le domicile conjugal lundi soir, seul et à pied. Philosophe professionnel se présentant comme un "continuateur de Merleau-Ponty", il souffrait semble-t-il de dépression depuis qu'il était frappé de "constipation conceptuelle opiniâtre". La gendarmerie, prévenue de sa disparition vers 18 heures avait initié des recherches jusqu'à minuit, mobilisant une dizaine de personnes.


Les recherches ont repris mardi dans la matinée. Ce sont finalement des promeneurs qui ont découvert le corps dans la Moselle, vers 10 heures. Le périmètre a été bouclé pour procéder aux constatations médicales. La piste du suicide est privilégiée.

Selon les enquêteurs, l'homme "aurait senti au plus profond de lui que la réalité n'est pas verbale, qu'elle peut être incommunicable et atroce, et il s'en serait allé, taciturne et seul, chercher la mort dans le crépuscule liquide du fond de la Moselle''. » (Vosges Matin, 6 février 2018)

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Épaves mobiliaires


Est dite mobiliaire une épave qui consiste en quelque effet mobiliaire, comme un animal, un poisson, un alcoolique invétéré, un individu « sans domicile fixe », etc. Ces sortes d'épaves sont appelées mobiliaires pour les distinguer des épaves foncières, qui consistent en immeubles.

L'homme du nihil en rencontre souvent lors de ses sorties dans le réel, de ces épaves mobiliaires  : des tas de loques vermineuses et de chairs exténuées, qui empestent le « rouquin » et qui laissent exploser à tout propos une violence bestiale.


L'absurde instinct vital qui rive encore ces déchets à l'existence l'écœure, mais malgré le dégoût qui l'étreint, il est tenté de s'écrier : « Ô épaves humaines ! Je suis des vôtres ! »

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Tout doit disparaître


Les sapeurs-pompiers sont intervenus ce jeudi matin au 11, rue des Peupliers dans le quartier de l'Orme pour secourir un homme qui s'est défenestré depuis le troisième étage du bâtiment. Il est tombé sur une voiture.

Selon les premières investigations, le désespéré s'était persuadé que le Moi individuel constitue toute la réalité, et que les autres Moi n'ont pas plus d'existence que les personnages des rêves. Cette attitude mentale, souvent présentée comme une conséquence logique du caractère idéel de la connaissance, est appelée solipsisme par les philosophes, selon une source policière. Elle pourrait être la cause de son geste fatal. En se tuant, supposent les enquêteurs, il ambitionnait sans doute de « détruire le monde ».

Blessé grièvement, le suicidé a été pris en charge et transporté au centre hospitalier Saint-Charles de Saint-Dié-des-Vosges, mais le pronostic des médecins est très réservé quant à la capacité de son Moi à persévérer dans l'être. (L'Est Républicain, 23 novembre 2017)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

Touriste de bananes (Georges Simenon)


Il y avait trente-sept jours que le bateau, qui s'appelait l'Île-de-Ré, avait quitté Marseille ; on était parti qu'il gelait et tous les passagers, sauf deux, avaient été malades en sortant de Gibraltar ; après la monotonie des houles de l'Atlantique, on s'était ébroué dans les bals Doudou de la Guadeloupe et le missionnaire des secondes classes lui-même avait revêtu un costume civil pour accompagner la famille Nicou ; à Panama, les dames avaient acheté des parfums qui y sont meilleur marché que partout, et on avait déjeuné sur le pont en traversant le canal, car c'est la tradition ; on approchait des antipodes ; on avait aperçu de loin les Galápagos, photographié des pélicans et des poissons volants ; Muselli, l'administrateur de première classe qui jouait de la guitare hawaïenne, avait acheté une tête d'Indien réduite à la grosseur d'un poing d'enfant ; on était à l'autre bout du monde, à cisailler patiemment, avec un ronron de machine-outil, l'eau trop lisse et trop brillante du Pacifique qui forçait à porter des verres fumés ; le trait qui, sur la carte, dans le salon des premières, s'allongeait chaque jour, toucherait bientôt aux points minuscules des Marquises ; il y avait trente-sept jours qu'on n'était plus en France, ni nulle part. Et pourtant c'était dimanche !

Un vrai dimanche, un dimanche comme tous les dimanches, alors qu'on aurait pu croire que, dans cette sorte d'infini où voguait l'Île-de-Ré, tous les jours se ressemblaient. Certes, à dix heures du matin, un steward annamite avait parcouru le bateau en agitant une petite cloche qui rappelait celle des enfants de chœur ; certes, le missionnaire roux, qui avait passé trente ans aux Nouvelles-Hébrides, avait célébré une messe dans la salle à manger des premières où, à cette occasion seulement, les passagers de seconde avaient accès.


Mais pourquoi, à trois heures de l'après-midi, c'est-à-dire à l'heure de la sieste, cela sentait-il encore le dimanche ? Et d'abord, pourquoi y avait-il en général de l'étant, et non pas plutôt rien ? Cette question, que l'on pourrait qualifier de leibnizienne, Heidegger l'avait commentée de façon singulière dans sa leçon inaugurale de 1929 intitulée Qu'est-ce que la métaphysique. Mais à bord de l'Île-de-Ré, personne ne le savait. Les passagers étaient trop occupés à jouer au bridge, à la belote, aux échecs, au palet, pour se soucier d'ontologie. Les fous !... Les pauvres fous !...


(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)

Interlude

         Jeune femme lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Philosophisme convulsif


Maladie convulsive épidémique des Allemands; raphania, Linné. — « Dans la troisième période, lorsque la maladie se termine par la guérison, les convulsions cessent ; mais il reste souvent un tremblement des mains, de l'affaiblissement dans la vue, des phénomènes épileptiformes qui reparaissent par intervalle, et un désir irrépressible de "créer des concepts" » (E. Monneret et L. Fleury, Compendium de médecine pratique, Béchet jeune, Paris, 1839)

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Un fatidique bourrineau


Le 3 janvier 1889, alors qu'il prend les eaux à La Bourboule pour soigner une « constipation conceptuelle opiniâtre », le philosophe Frédéric Nietzsche se jette en pleurant au cou d'un cheval de fiacre brutalisé par son cocher. Son logeur le reconduit à son domicile où le « penseur paradoxal » demeure prostré durant deux jours avant de sombrer définitivement dans la démence.

Dans sa biographie de Nietzsche, le très inventif Daniel Halévy identifie ce cheval au Dasein et le cocher à l'haeccéité : en utilisant son corps comme un bouclier, le philosophe voulait en réalité protéger l'étant existant du fouet de son éternel tourmenteur !


(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

À brûle-pourpoint


Il arrive que la pensée de se détruire s'empare du suicidé philosophique alors qu'il regarde son reflet dans la vitrine d'un magasin, tandis qu'autour de lui la tourmente souffle et siffle, s'abat sur les parapluies en gouttes drues et serrées, et ruisselle sur les dos courbés, les têtes et les mains bleuies par le froid. Comme il aimerait alors, le suicidé philosophique, que la tempête chasse au loin l'idée du Rien, qu'elle la pousse loin de sa pachyméninge, vers les déserts gréseux, les ravines, les champs d'absinthe et de chardon, découronnant les hautes meules et dispersant sur les aires sa pourriture gluante !

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)