jeudi 21 juin 2018

Interlude

Jeune femme lisant la Mathématique du néant de Włodzisław Szczur

Terra incognita


Le Rien reste toujours vierge d'observations immédiates et précises, propres à jeter quelques lumières sur les origines et la destination de l'étant existant. Les suicidés philosophiques passent à juste titre pour des explorateurs intrépides, mais contrairement à ce qu'ont fait MM. Auguste Saint-Hilaire, Spix et Martius, et le prince Maximilien de Neuwied pour l'Amérique méridionale, ils ne nous ont laissé aucune relation de leur grandiose expédition.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Une exaltante randonnée


Il est huit heures et demi, samedi matin, quand un habitant de Chalon-sur-Saône est retrouvé mort dans sa voiture après avoir fait tourner pendant de longues heures son moteur dans son garage. L'intoxication lui a été fatale, mais elle menace aussi tout l'immeuble de quatre étages situé au 3 chemin de l'Abreuvoir. À l'arrivée des pompiers, le taux de toxicité est à un très haut niveau.

Malgré l'importance des fumées toxiques, les habitants de l'immeuble sont en bonne santé, et gonflés à bloc à l'idée de pouvoir poursuivre leur exaltant périple dans le « désert de Gobi de l'existence ». (France Bleu, 4 mars 2017)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

Problème de ligament


En septembre 1909, Heidegger entre comme novice à la Compagnie de Jésus, à Tisis, près de Feldkirch, qu'il est contraint de quitter pour des raisons de santé en octobre suivant. Il a bêtement voulu imiter saint Colomban, le célèbre anachorète qui, lui-même anxieux de surclasser les ascètes de son temps, en arriva dit-on à faire 12 000 génuflexions par jour. Tout ce qu'en a retiré Heidegger, c'est une tuméfaction considérable du genou, des ligaments très distendus, et un blâme de ses supérieurs.

Avec peu de moyens financiers, il se porte alors candidat au séminaire de Fribourg, où il entre pour le semestre d'hiver 1909.


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

Inventivité satanique du monstre bipède


« Une peine établie pour les adultères en certains pays étoit de leur arracher tout le poil de l'anus, cela s'appeloit paratilmos, mot grec qui exprime cette opération. » (Bernard de Montfaucon, L'Antiquité expliquée et représentée en figures, T. 5, Paris, 1722)

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Halte aux déchets dans la pièce d'eau des Suisses !


« Des bouteilles en plastique, des poissons morts, des transats... et même la carcasse d'une vieille Panhard. On trouve de tout dans la pièce d'eau des Suisses du château de Versailles. Ce bassin peu profond, creusé au XVII e siècle par un régiment de Gardes suisses et très fréquenté par les promeneurs, est régulièrement souillé par des détritus abandonnés au fond de l'eau ou en surface. Au grand dam de certains Versaillais, qui ont décidé de se mobiliser.

"J'ai l'habitude de me promener dans ce secteur. C'était très sale cet été. Au mois d'août, je me baladais avec une amie, nous discutions de la synthèse quintuple fichtéenne qui vise, comme on sait, à unifier en les égalisant les points de vue de l'être substantiel et du soi fini, lorsque j'ai vu des poissons morts et deux enfants en train de pêcher juste à côté. C'est révoltant", raconte Christine Schneider, dont on ne sait si elle fait référence aux poissons morts, aux enfants, ou à la synthèse quintuple fichtéenne. Toujours est-il que cette habitante de Versailles a décidé de lancer un appel sur les réseaux sociaux.

Elle a été entendue par Juliana. À la mi-novembre, celle-ci a décidé de mobiliser via Internet. Cette trentenaire a créé la liste "Versailles Royalement Propre" sur Facebook. A présent, elle compte 200 "amis" qui viennent de signer une pétition à l'attention des responsables du château de Versailles.

Elle réclame un nettoyage immédiat du bassin, l'assainissement de l'eau, la mise en place de poubelles, un entretien régulier du parc et du bassin, une surveillance pour éviter les incivilités, et "des comptes pour chacun de ceux que l'existence, l'histoire, le hasard, la superstition, l'inquisition de Philippe II, etc., ont rendu victimes : sans cela, je préfère me jeter la tête la première en bas de l'échelle ; même gratuitement, je ne veux pas accepter le bonheur : il faut encore qu'on me rassure au sujet de chacun de ceux qui sont mes frères par le sang" — et cetera, et cetera, on voit que la jeune écervelée répète la fameuse lettre de Bielinski citée par Chestov dans son Idée de bien chez Tolstoï et Nietzsche.

"L'objectif est de préserver la qualité de vie autour de cette pièce d'eau et de faire entrevoir à l'homme la possibilité d'une existence fondée sur l'éthique au sein même d'une vie soumise à la réalité du péché", souligne Juliana qui donne rendez-vous aux Versaillais, ce mardi à 14 h 30, Place du marché Notre-Dame, à proximité du café Le Chat qui pète. » (Le Parisien, 28 novembre 2016)


(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)

Interlude

      Femme au bain lisant la Mélancolie bourboulienne de Léon Glapusz

Ban du zéro


Dans son Traité de l'âme, Jamblique affirme — mais peut-on croire tout ce qu'il dit — que dans les premiers temps de la chrétienté, les Pères de l'Église se montrèrent fort courroucés quand ils virent l'usage du zéro se répandre parmi le vulgum pecus. Selon eux, Dieu étant présent en toute chose, toute représentation du néant ne pouvait être que satanique. Ils décidèrent donc de bannir le zéro dans l'espoir de sauver l'humanité du Malin.

On voit que ces « Pères de l'
Église » étaient, comme plus tard le mathématicien Georg Cantor, des êtres profondément antinihiliques !

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Bonheur


Quand l'homme du nihil voit l'étant existant se livrer à la comédie du bonheur et gambader comme un agneau né de la veille, il pense tout de suite au boucher qui bientôt lui tranchera la gorge... Mais l'étant existant ne le sait pas, il ne veut d'ailleurs rien savoir, il est « heureux ».

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Le crépuscule d'une idée


On attribuait à l'idée du Rien, chez les Grecs et les Romains, un grand nombre de vertus, dont Dioscoride et Pline nous ont laissé une longue énumération. Nous ne rappellerons que les principales de ces vertus, en disant que l'idée du Rien était recommandée contre la dysenterie, la diarrhée, les hémorroïdes, les hydropisies, les maladies de la vessie et de la tête en général, le poison des champignons vénéneux, etc.

Aujourd'hui, l'idée du Rien est dépouillée pour nous de toutes ces illusions riantes, qui, chez les Anciens, lui prêtaient un charme particulier ; elle est devenue inutile à nos usages modernes, et nous ne faisons même plus aucun cas des propriétés qu'elle possède réellement.


(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)