Le « héron mélancolique » Roland Jaccard, en se supprimant, commit à la fois
un suicide et un suissecide. Mais ce n'était pas une première. Un tel « doublé » avait déjà été réalisé par Edmond-Henri Crisinel, Francis
Giauque et Jean-Pierre Schlunegger.
Tout
ce qu'on peut dire d'un suicidé, c'est qu'il devait être « bien
malheuleux » (d'exister). Mais cela ne fait pas de lui quelqu'un de
particulièrement intéressant, ni de son destin quelque chose de « sublime » ! Pourquoi a-t-il accompli son geste fatal ? Peut-être ne
connaissait-il pas les paroles de Dieu dans le Deutéronome ? Ou
peut-être qu'il s'en « tamponnait le coquillard » ? Quoi qu'il en soit,
tout ce qu'on peut dire de lui est qu'il était « bien malheuleux »
(d'exister).
Personne
n'a pris la peine d'organiser une marche blanche à la mémoire
d'Edmond-Henri Crisinel. Ni à celle de Francis Giauque. Ni à celle de
Jean-Pierre Schlunegger. Les poëtes maudits de Suisse romande, tout le
monde s'en fout.
« C'est Ouin-Ouin qui va chercher sa femme à la gare de Neuchâtel. ― Et ? ― En cours de route, il change d'avis ; il décide de mettre fin à ses jours et se jette dans le lac. ― Ça alors ! ― Oui. ― Voilà qui rappelle étrangement l'histoire d'Edmond-Henri Crisinel. ― Sauf que ce dernier n'était pas marié. ― Mais il s'est quand même suicidé, va savoir pourquoi. ― Il paraît qu'il avait une vision quasi mystique de l'être. ― Ah. Ça doit être ça. »
Rigaut, Essénine, Crevel,
Garchine, Maïakovski, Crisinel... Cent pour cent des suicidés
philosophiques n'étaient pas vaccinés (contre l'odiosité de
l'existence).
Il y a dans l'homicide de soi-même
quelque chose de radical qui peut effrayer le commençant. Heureusement,
il existe une solution alternative qui est de « faire le mort, comme un
cloporte ».
En analyse numérique, la méthode
des éléments finis permet de calculer numériquement le comportement
d'objets même complexes, par exemple des suicidés philosophiques, à
condition qu'ils soient continus et décrits par une équation aux
dérivées partielles linéaire : mouvement d'une corde secouée par l'un de
ses bouts (Gérard de Nerval), comportement d'un fluide arrivant à
grande vitesse sur un obstacle (Edmond-Henri Crisinel), déformation
d'une structure métallique (Claude Gauvreau), etc. (Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
La sauvagerie du suicidé philosophique fait scandale mais elle porte les repères de l'avenir. Révoltée bien sûr, mais cette révolte (songeons à Edmond-Henri Crisinel) est une exigence de vie neuve, celle d'une vie opprimée qui cherche sa voie et sait ne pouvoir la trouver que dans le Rien. (Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
À la question : « où êtes-vous ? », les suicidés philosophiques répondent invariablement : « je sais où je suis, mais je ne me sens pas à l'endroit où je me trouve. ». L'espace semble à ces esprits dépossédés une puissance dévoratrice qui les poursuit, les cerne, et les digère en une phagocytose géante. À la fin, il les remplace. C'est ce qui arriva au poëte lausannois Edmond-Henri Crisinel, dit « le Nerval vaudois ». Le 25 septembre 1948, se sentant devenir « de l'espace noir, où l'on ne peut mettre de choses », il choisit de se donner la mort en se jetant dans le lac Léman. (Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
Des attitudes cataleptiques aident parfois le suicidé philosophique à rejoindre le règne minéral, ou à défaut le végétal : immobilité du poëte vaudois Edmond-Henri Crisinel, tandis que le philosophe Weininger laisse pendre ses longs bras, sans parler de la rigidité d'un Albert Caraco qui évoque à certains égards la contracture hystérique. Inversement, le balancement machinal de l'écrivain dadaïste Jacques Rigaut n'est-il pas comparable à un tic ? (Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)
19 septembre. — Le pessimisme des poètes ioniens atteint son apogée avec Simonide de Céos qui affirme que le désir est un mal et que la mort, mettant fin à la douleur qu'il nous cause, est un bien. — Une intuition confirmée plus tard par de nombreux suicidés philosophiques, au premier rang desquels Edmond-Henri Crisinel dit « le Nerval vaudois ». (Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)
Dans son roman Alectone, Edmond-Henri Crisinel — le « Nerval vaudois » — se livre à une analyse impitoyable du « mode d'être » de l'humain et montre qu'il peut prendre la forme la plus paradoxale, sinon la plus irrationnelle de la tragédie : celle où l'haeccéité paraît à la fois inévitablement subie et librement voulue, comme dans le théâtre antique et dans le chant du harpiste de Wilhelm Meister (au dire de Maurice Nédoncelle).
Dégoûté du brouillamini de l'existence et de la méchanceté des hommes, son héros, qui a inspiré des générations de suicidés philosophiques, finit par « faire le mort, comme un cloporte ». (Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Quand il n'est pas occupé à dilacérer son Moi, l'homme du nihil, qui se délecte dans le macabre, pratique à l'occasion la nécromancie. Par une condensation intense de sa volonté, par une exaltation prodigieuse de son dynamisme fluidique, il réussit parfois à évoquer le fantôme du « Nerval vaudois », Edmond-Henri Crisinel, cet athlète du Rien qui, vrillé par un térébrant sentiment d'échec, se donna la mort en se jetant dans le lac Léman. Plus d'une fois, des signes indubitables ont attesté la présence du spectre invisible qui, comme le héros de son roman Alectone, s'efforçait de « faire le mort, comme un cloporte ». Il y réussissait d'ailleurs très bien. (Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
L'aspirant à l'homicide de soi-même s'enflamme subito presto quand il entend parler de réussites éclatantes comme celles d'un Crisinel, d'un Crevel ou d'un Rigaut. Il s'échauffe à la vue de tels triomphes, et se repaît de l'espérance flatteuse de réaliser lui aussi le « Grand Œuvre ». Mais à peine les premiers pas sont-ils faits (achat du taupicide ou d'un revolver) que les forces manquent : on s'effraie à la vue de l'espace qu'il faut parcourir, le découragement s'empare de l'âme... Et puis : « le soir tombe : on n'est plus très jeune. » (Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
À l'image de Degas, le suicidé philosophique associe les matériaux et joue sur la ductilité de la matière, en une aspiration résolument moderne. Profitant de l'abolition de maintes frontières par les champions de l'homicide de soi-même qui l'ont précédé — les Weininger, les Caraco, les Rigaut et autres Crisinel —, il imagine des « moyens farces de se détruire » sans prétendre « inventer quelque chose de nouveau » mais à la recherche d'« un accès au Rien encore inconnu ». (Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Le mari de Sandy restait sur le canapé depuis qu'il avait été viré. Trois mois plus tôt, il était rentré pâle et nerveux, avec toutes ses affaires de travail dans une boîte. — Joyeuse Saint-Valentin, dit-il à Sandy en posant sur la table de la cuisine une boîte de chocolats en forme de cœur et une bouteille de Jim Beam. Il ôta sa casquette et la mit aussi sur la table. — Je me suis fait virer aujourd'hui. Qu'est-ce que tu crois qu'on va devenir, maintenant ? Sandy et son mari s'assirent à la table, burent le whisky et mangèrent les chocolats. Ils parlèrent de ce qu'il pourrait faire au lieu de poser des toits sur des maisons neuves. Mais ils ne trouvèrent rien. — Si j'en crois le philosophe Albert Camus, nous devons nous attendre à éprouver la pénible sensation de vivre isolés dans un univers de menace et de désolation sans autre perspective que la mort, dit Sandy. D'après lui, ce n'est pas le monde qui est absurde, mais la confrontation de son caractère irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme. Il prétend aussi que l'étant existant a du mal à accepter que vivre se réduise à « faire les gestes que l'habitude commande », et que c'est pour avoir reconnu le dérisoire de cette habitude, et le caractère insensé de cette agitation quotidienne, que de nombreux désespérés, exempli gratia Edmond-Henri Crisinel dit « le Nerval vaudois », ont commis l'homicide de soi-même. — Eh bien, ça promet, dit son mari. (Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
« Voilà maintenant plus de deux ans qu'a été créée, à Portet-sur-Garonne, l'association d'initiatives citoyennes "La Cambuse", installée dans une ancienne demeure qui appartenait à une vieille figure locale, Joseph Borieu, célèbre pour ses apports à l'existentialisme cévenol 1.
Aujourd'hui, sous ce nom de "Cambuse", c'est un lieu de vie et d'échanges ouvert à tous. Les responsables, autour de Mathilde Balty, ont transformé et aménagé la demeure et en ont fait un endroit chaleureux de rencontres et de convivialité. Dans cet espace citoyen, les adhérents peuvent se livrer à toutes sortes d'activités grâce aux ateliers intergénérationnels, créatifs et interculturels, partager des moments de loisir autour du jeu, de la danse et de la musique, mais aussi s'initier à la pratique de l'homicide de soi-même en puisant dans une riche bibliothèque comportant notamment les œuvres des "suicidés philosophiques de Suisse romande", Edmond-Henri Crisinel, Francis Giauque et Jean-Pierre Schlunegger.
À l'étage, se trouve un espace très feutré où les adhérents peuvent débattre, s'investir et travailler avec des excréments de cervidé. Ils peuvent aussi faire montre de leur dextérité manuelle en élaborant des meubles à partir de palettes. C'est du plus bel effet et d'une grande innovation ! La découverte de la ville de Portet et de ses richesses fait également partie des activités de cette association. Ainsi, dernièrement, une poignée de nouveaux Portésiens a pu explorer le vieux Portet grâce à un ancien de la commune, Mimile, toujours prêt à "faire le couillon" et, en bon disciple de Joseph Borieu, à montrer à l'omnitude son "fondement de l'historialité du Dasein". » (La Dépêche, 5 août 2017)
1. Il a notamment introduit le concept d'« être-pour-le-pélardon ». (Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
« Je me souviens avec quelle émotion je contemplais, dans mon jeune âge, les images de suicidés philosophiques illustres (Otto Weininger, Jacques Rigaut, Albert Caraco, Edmond-Henri Crisinel, etc) qui ornaient les murs de ma chambre. Ceux qu'elles représentaient étaient, à mes yeux, des êtres surhumains ; ils me semblaient de vrais pontifes, et quelque chose de religieux se mêlait dans mon âme à cet engouement pour les athlètes du Rien. » (Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain) (Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)