lundi 17 septembre 2018

Affectation


Hormis peut-être l'haeccéité, l'homme du nihil ne sait rien de plus horripilant que les correspondances littéraires. On s'y pousse du col, on essaie de « faire écrivain », chaque phrase semble dire « voyez comme je suis original et profond ! » En un mot, on veut, comme l'ontologue Heidegger, « péter plus haut que son fondement de l'historialité du Dasein ». — « Avant-hier, je suis allé près de Saint-Michel de Brasparts — rappelez-vous — déjeuner avec Louis Guilloux, que le grand vent a failli suffoquer. Mais toujours vert, et cachant sous une gouaille protectrice une lourdeur sanglotante sur laquelle ne pas trop se pencher. » — « Je t'en foutrai, moi, dit l'homme du nihil, des "gouailles protectrices" et des "lourdeurs sanglotantes" ! »

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Désuétude


« Excrémentiel n'est plus guère usité. » (Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, 1872-1877).

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Sentiment d'évidence


Certains « cigares japonais » bien conformés s'imposent avec une telle évidence qu'ils passent imperceptiblement du règne de l'art à celui de la nature : on a beau savoir qu'un hasard, une occlusion, un manque de fibres, solubles et insolubles, eût pu les empêcher de naître, ils font partie intégrante de notre univers au même titre que les données concrètes de notre géographie physique et mentale.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Ossu


Pressentant que les aventures du Bohémien touchaient à leur fin, nous attendîmes le soir avec d'autant plus d'impatience, et écoutâmes encore plus attentivement lorsque le chef reprit son récit en ces termes :

« L'adjectif "ossu", peu usité, s'emploie à propos de qui a de gros os : une femme ossue. »

Arrivé à cet endroit de sa narration, le chef bohémien, pris de terribles crampes d'estomac, nous demanda la permission de remettre la suite de son récit au lendemain.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Interlude

Jeune femme lisant Prière d'incinérer. Dégoût de Luc Pulflop

Êtres ambigus


N'étant équilibrés ni horizontalement ni verticalement, les suicidés philosophiques sont des êtres ambigus qui, par leur organisation exceptionnelle, semblent devoir être classés dans le groupe qui rassemble presque tous les cheiroptères, quelques insectivores fouisseurs, les pachydermes proboscidiens, et quelques tatous.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Un ratage tragique


À la question : « pourquoi la mort ? », le médecin pythagoricien Alcméon répondait : « Si les humains déclinent, c'est parce qu'ils n'ont pas la force de rattacher le commencement à la fin. » Quiconque y parviendrait, concluait-il, serait immortel.

Malgré tous ses efforts, le poète argentin Leopoldo Lugones n'y parvint pas.
À soixante-trois ans, sa belle moustache « en guidon de vélo » s'avère incapable de le protéger plus longtemps du désespoir et il met fin à ses jours le 18 février 1938 dans une chambre de l'hôtel El Tropezón, à Tigre, en buvant un mélange de cyanure et de whisky.

De façon un peu grandiloque, Gragerfis, prétend qu'« il sentit au plus profond de lui que la réalité n'est pas verbale et qu'elle peut être incommunicable et atroce, et il s'en fut, taciturne et seul, chercher la mort, dans le crépuscule d'une île. »


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Aveuglement sceptique


D'après Jamblique, Pyrrhon disait qu'il n'y avait aucune différence entre vivre et être mort et, comme un mauvais plaisant lui demandait un jour : « Pourquoi donc ne meurs-tu pas », il répondit : « Parce que cela ne fait aucune différence ».

Ainsi, et aussi incroyable que cela puisse paraître, le fondateur du scepticisme ne connaissait pas — contrairement au sculpteur Giacometti — le si terrible tragique d'être ceci ou cela ! L'haecceité, il « s'assoyait dessus » ! Il faut se pincer !


(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Pugilat existentiel


J'ai des altercations avec la notion d'être.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Interlude

Jeune femme lisant l'Océanographie du Rien de Raymond Doppelchor