« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
lundi 3 septembre 2018
Effets du transcendantalisme émersonien
Dans une lettre à sa fille écrite en 1848, Mme ** note que le suicidé philosophique, qui autrefois rudoyait un peu son prochain, se fait désormais remarquer par son urbanité. « Son conscient intérieur a été embelli, son humeur est devenue plus régulière, sa vision du monde, jadis si sombre, est ornée de peintures, de vitraux, etc. »
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Une belle brochette de psychopathes
« À côté du nom de Jutique, j'ai arraché une énorme toile d'araignée, tout épaissie par la poussière et tendue à l'angle de la muraille. Sous cette toile il y avait quatre ou cinq noms parfaitement lisibles, parmi d'autres dont il ne reste rien qu'une tache sur le mur. — Doppelchor, 1815. — Banquine, 1818. — Robert Férillet, 1821. — Zimmerschmühl, 1823. J'ai lu ces noms, et de lugubres souvenirs me sont venus : Doppelchor, celui qui a coupé l'humanité en quartiers, et qui allait la nuit dans Paris jetant la tête dans une fontaine et le tronc dans un égout ; Banquine, celui qui a assassiné l'idéalisme allemand en s'acharnant tout spécialement sur Johann Gottlieb Fichte ; Robert Férillet, celui qui a tiré un coup de pistolet au Dasein au moment où celui-ci ouvrait une fenêtre ; Zimmerschmühl, ce médecin qui a empoisonné son Moi, et qui, le soignant dans cette dernière maladie qu'il lui avait faite, au lieu de remède lui redonnait du taupicide ; et auprès de ceux-là, Jutique, l'horrible fou qui tuait les enfants à coups d'idiome imagé sur la tête ! » (Victor Hugo, Les derniers jours d'un condamné à mort, 1829)
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Chèvre
Dans sa Vie des douze Césars, Suétone rapporte une anecdote qui peint l'odieux Moi tout entier et tout nu : « Caligula avait la taille haute, le teint livide, le corps mal proportionné, le cou et les jambes tout à fait grêles, les yeux enfoncés et les tempes creuses, le front large et torve, les cheveux rares, le sommet de la tête chauve, le reste du corps velu ; aussi, lorsqu'il passait, était-ce un crime capital de regarder au loin et de haut ou simplement de prononcer le mot chèvre, pour quelque raison que ce fût. »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Une engeance diabolique
Le mathématicien Euler s'élève dans maints de ses écrits aux plus hautes vérités théologiques, comme en témoigne le passage suivant : « Les esprits forts se moquent quand ils entendent parler des diables : mais comme les hommes ne sauraient prétendre être les meilleurs de tous les êtres raisonnables, ils ne sauraient non plus se vanter d'être les plus méchants ; il y a sans doute des êtres beaucoup plus méchants que les hommes les plus méchants, et ce sont les diables. » — Gragerfis, qui cite ces mots d'Euler dans son Journal d'un cénobite mondain, ajoute que les diables excellent à prendre une apparence presque humaine, en particulier celle de dondons acariâtres.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Corymbe
Le chef bohémien, me voyant quelques dispositions à me fâcher, voulut donner un autre tour à la conversation et dit : « Si la société le trouve bon, je continuerai l'histoire que j'avais commencée hier. » Rébecca dit que rien ne pouvait lui être plus agréable, et le chef commença en ces termes :
« Le corymbe (latin corymbus, du grec korumbos, grappe) est une inflorescence dont les pédoncules naissent de différents points de la tige et s'élèvent tous à peu près à la même hauteur. — "Tandis que je me vautrais dans une inaction propice à l'annihilation du Moi, un gel tardif a rôti mes blancs corymbes." »
Ici, le chef des Bohémiens s'arrêta et, prétextant un besoin pressant, disparut derrière un buisson.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Le Grand Jeu
« Sans le savoir, l'homme du nihil était pris dans un engrenage fatal. Après le jeu dangereux et les émotions du commerce avec le Rien, on se résigne rarement à accepter la vie rangée du petit épicier de Montrouge ou celle du paisible employé. Il faut, pour en arriver à cette sagesse, le poids des années sous lequel on sent la vanité de toutes choses... Mais il n'avait alors que trente-huit ans. »
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Herméneutique
L'homme déféquant, au terme de son affaire, rencontre tout naturellement, alors qu'il se reboutonne, l'instance de l'herméneutique (dont le thème directeur est, faut-il le rappeler, l'ouverture du sens par la situation).
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Des célibataires endurcis
Selon toute apparence, les policiers Dupond et Dupont sont des « vieux gars » et on les imagine bien, à l'automne de leur vie, en route vers l'hospice de Gouyette pour y couler des jours paisibles. Mais les deux virtuoses du contrepet supporteront-ils l'ambiance austère qui règne dans cet hospice dirigé par des sœurs ? Et ces dernières pourront-elles se faire à leur humour absurde et pince-sans-rire ? Rien n'est moins sûr...
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Cloporte
Dans son roman Alectone, Edmond-Henri Crisinel — le « Nerval vaudois » — se livre à une analyse impitoyable du « mode d'être » de l'humain et montre qu'il peut prendre la forme la plus paradoxale, sinon la plus irrationnelle de la tragédie : celle où l'haeccéité paraît à la fois inévitablement subie et librement voulue, comme dans le théâtre antique et dans le chant du harpiste de Wilhelm Meister (au dire de Maurice Nédoncelle).
Dégoûté du brouillamini de l'existence et de la méchanceté des hommes, son héros, qui a inspiré des générations de suicidés philosophiques, finit par « faire le mort, comme un cloporte ».
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Inscription à :
Articles (Atom)