vendredi 31 août 2018

Précepte d'hygiène


La dissociation que Simonide (cité par Plutarque dans ses Préceptes d'hygiène) opère entre l'existence humaine et la réalité éternelle — celle du Rien — aboutit à une sorte de manichéisme qui rend vaine toute la partie temporelle de l'existence, condamne l'homme au désespoir et finalement à l'ingestion de taupicide. Pour l'« homme de la Nature et de la Vérité » qui veut persévérer dans l'être, le premier précepte d'hygiène est donc de ne pas lire Simonide.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Panacée


L'homicide de soi-même console de tout et remédie à tout, y compris aux affres du « conjungo ». Convaincu de la vérité de cet axiome, le neurologiste autrichien Nathan Weiss choisit de se pendre le 13 septembre 1883 à l'âge de 32 ans, peu après son voyage de noces. Apprenant le décès de son ami, Freud se serait écrié : « Pauvre Weiss ! », avant de prendre sa plume pour annoncer la mort du désespéré à la femme de ce dernier, dans une lettre poignante : « Le 13, à deux heures de l'après-midi, il s'est pendu dans un établissement de bains de la Landstrasse. [...] Qu'il est donc difficile de se représenter, silencieux, mort, un homme qui réunissait en lui plus d'agitation, plus de joie de vivre qu'aucun autre ! »

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Vidé


Il arrive un moment où les voraces ectoplasmes — haeccéité, temporalité du temps, Moi, etc — qui grignotent sans trève la pachyméninge de l'homme du nihil ont entièrement épuisé sa substance mentale et ils ressemblent alors à ces « corbeaux allongés, apparemment repus, sur un lit cartilagineux de chevaux sacrifiés » qu'a chantés le poëte. Mais quant au malheureux, il est « bon pour le cabanon ».

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Interlude

Jeune fille lisant l'Océanographie du Rien de Raymond Doppelchor

Une navigation chahutée


Sombre antichambre de la folie, salle d'attente du suicide, l'existence met les nerfs du Dasein à rude épreuve. Très vite, après les jeux et les ris de l'enfance, il sombre dans une morne apathie et se demande ce qu'il est venu faire dans cette folie de vagues et de vent. Puis, quand l'idée de l'homicide de soi-même commence à souffler en bourrasque, il n'a d'autre choix que de se réfugier dans la cabine du bosco et d'y lutter pour conserver son équilibre et un semblant de dignité.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Snobisme nihilique


En homme qui sait vivre, je me réfère exclusivement à l'édition Colli et Montinari.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Déconvenues


Enfin nous nous arrêtâmes dans une vallée fort profonde où déjà l'on nous attendait, et l'on avait préparé notre repas. Après qu'il fut terminé, je priai le chef de continuer son histoire, ce qu'il fit en ces termes :

« La vie fournit à l'homme des occasions de déconvenue dont je passerai sous silence le nombre car il correspond à une évidente exagération hindoue. (Mais après tout, pourquoi ne pas le dire : elles seraient quatre-vingt-quatre mille.) »

En ce moment, un Bohémien vint nous interrompre. Et comme le chef avait encore des occupations, je pris mon fusil et j'allai chasser.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Poïkilotherme


Le suicidé philosophique est un être à sang froid. Il s'efforce, comme Cicéron, d'introduire l'équilibre et la mesure dans ses emportements. Il est le contraire d'un frénétique du taupicide ou d'un maniaque de la gâchette.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Interlude

Jeune femme lisant les Pensées rancies et cramoisies de J. Zimmerschmühl

Qualités du bourreau


Le juriste Joos de Damhouder (1507‒1581) affirme que pour faire de bons bourreaux il faut choisir des hommes « qui ne soyent joueurs ordinaires, paillards publiques, calomniateurs, blasphémateurs, meurdriers, larrons, homicides  ou qui ne sont ou n'ayant este sugetz à semblables vices, mais prendront gens de bien, maistres de leur art, seurs, hardys, doux, courtois, miséricordieux et affables, exerceans quelque mestier honneste, qui parlent doucement aux patiens qu'ils auront à géhenner, les traitent doucement, les consolent et admonestent à patience Chrestienne, et certaine espérance en Dieu ». — Le Moi de l'homme du nihil ne possédant aucune de ces qualités, on se demande comment il a pu obtenir la place. Mais pour ce qui est de bourreler, il bourrelle.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Manie dissectrice des Chinois


Didi, le fils de  Wang Jen-Ghié, une fois atteint par une fléchette empoisonnée au radjaïdah, devient complètement « maboul » et tente à plusieurs reprises de couper la tête à Tintin au moyen d'un sabre. Au paroxysme de sa folie, il veut même décapiter ses propres parents !

Cette obsession dissectrice n'a rien d'exceptionnel en Chine. Le missionnaire jésuite Antoine Gaubil, dans son livre sur le Chou-king — un des livres sacrés des Chinois, qui renferme les fondements de leur ancienne histoire, ainsi que les principes de leur gouvernement et de leur morale — en témoigne : « Il est souvent fait mention dans le Chou-king des cinq supplices, dont on recommande l'emploi envers les criminels. Le premier, nommé Me, consistoit à faire des marques noires sur le front ; cela étoit nommé ke-ge. Le second nommé Y, étoit de couper le nez, exprimé par tsie-pi. Le troisième nommé Tiao, consistoit à couper les pieds et les jambes jusqu'aux genoux. Le quatrième nommé Kong, consistoit à couper les parties naturelles 1. Le cinquième nommé Ta-pi, étoit de donner la mort. »


1. L'auteur nomme ainsi les génitoires.

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Effet merveilleux du stoïcisme


« Une Demoiselle, âgée d'environ soixante-cinq ans, eut, en 1740, une fluxion au-dessus des dents molaires supérieures, qui cependant paraissoient bien saines. Cette fluxion suppura et fut suivie dans le même lieu d'un ulcère fistuleux, duquel sortoit presque continuellement une sanie très-puante. La carie des racines des dents étant une cause très-fréquente de ces sortes de fistules, on se détermina à arracher la dent canine. L'alvéole de cette dent fournit beaucoup de pus; il y avoit une communication avec le sinus maxillaire, et la suppuration étant fort abondante, on crut encore devoir arracher la première molaire, dont le bout de la racine parut un peu altéré. La malade ne cessa pas de cracher beaucoup de pus sanieux, et on se disposoit à lui arracher la seconde molaire, lorsqu'elle fit appeler M. Lamorier, qui crut dans ce cas devoir mettre sa méthode philosophique en usage. Il lut à la malade quelques aphorismes de Marc Aurèle, d'Épictète et de Sénèque, ce qui provoqua chez elle un soulagement très-rapide, et un arrêt de l'écoulement sanieux. Une décoction d'orge, à laquelle on avoit ajouté le miel, et les eaux de Barrèges furent employées ensuite en injection. Ces fluides ne passèrent jamais par le nez. » (Mémoires de l'Académie Royale de Chirurgie, Paris, Le Prieur, 1768)

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)