Zahir borgésien

 

Qui a lu ou entendu une fois le vocable zingibéracé ne peut plus penser à rien d'autre pendant le restant de ses jours. Ce vocable est un « zahir borgésien ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Envahissement

 

Penser constamment à une chose particulière, il n'y a pas meilleur moyen de perdre la raison. « Ne serait-il pas fou, celui qui se représenterait continuellement une carte de Hongrie ? » demande le héros d'une nouvelle de Borges. Il y a fort à parier que si. Comme le serait aussi celui qui trouverait que tout, dans le fétide et rébarbatif réel, est relatif au gingembre — est « zingibéracé ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Vie sans l'Aleph

 

Blessé à la tête par un volet fraîchement repeint, l'écrivain Borges faillit mourir d'une septicémie. S'il était mort, nous n'aurions pas eu l'Aleph. Il nous aurait fallu vivre sans l'Aleph — et ç'aurait été dur, oh, bien dur. C'est déjà dur de vivre, mais ç'eût été pis.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Le gingembre et la boussole

 

Des nombreux problèmes qui exercèrent la téméraire perspicacité de Lönnrot, aucun ne fut aussi étrange — aussi rigoureusement étrange, dirons-nous — que le vocable zingibéracé. Il fallait se lever de bonne heure pour découvrir qu'il signifiait « relatif au gingembre » !

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Verve mauroyenne

 

Tonitruante, équestre et mal réveillée : c'est ainsi que dans l'Approche d'Almotasim, Mir Bahadur Ali décrit la police du sirkar, et c'est ainsi — en étant un peu coulant — que l'on pourrait décrire la faconde nordiste du « Gros Quinquin ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Une découverte stupéfiante

 

« C'est à la conjonction d'un miroir et de l'émission Le Petit Rapporteur que je dois la découverte de Montcuq. » (Jorge Luis Borges, Tlön Montcuq Orbis Tertius)

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Enfin du possible

 

L'écrivain argentin Borges élargit notre horizon et ce n'est pas du luxe. Grâce à lui, nous connaissons Hilario Ascasubi et Estanislao del Campo. Nous sommes initiés à la poésie gauchesque. D'un coup, nous respirons plus à l'aise. Nous nous sentons revivre. Merci Roré.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Du Dante et des couleurs

 

Dans ses livres, Borges fait tout un plat du Dante. Alors qu'en réalité, le Dante... Mais chacun ses goûts.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Cérémonial cathartique

 

Comme à tout un chacun, il arrivait à l'écrivain argentin Borges de produire une matière immonde et pestilentielle, autrement dit de déféquer. Mais sa dignité n'en était pas affectée, car il le faisait en invoquant les mânes de Carlyle, d'Emerson et de Walt Whitman (parfois aussi de Henry James) !

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Élagage

 

Dans son recueil Se hâter plus tôt, le poëte Tulio Herrera omet sciemment des mots (par exemple celui labyrinthe). Dans son roman Que la fut, il va encore plus loin et omet des scènes entières, dont l'absence rend impossible de comprendre l'intrigue. On est d'abord irrité, puis on se dit que c'est comme tout, et comme la vie même — où rien ne s'emboîte.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Jabuneh

 

Pour évoquer quelque mélancolique pèlerinage aux lieux jadis fréquentés avec la femme infidèle, le poëte Santiago Ginsberg propose de dire simplement jabuneh. C'est plus court et plus expressif.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Ours

 

L'indigeste Ulysse et la pondéreuse Recherche du temps perdu nous font rêver d'un monde où tous les écrivains auraient la concision d'un Loomis.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Quête de l'absolu ténébreux

 

Pour rejoindre l'absolu ténébreux, un seul moyen : persister incrusté dans ce qui fuit (comme nous l'a conseillé Nierenstein Souza).

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Avoir un bon copain

 

Jorge Luis Borges appelle l'auteur des Voyages de Gulliver « un homme d'essentielle amertume », et cela nous émeut au suprême. On a trouvé en Swift une âme sœur ! Un copain ! N'est-ce pas ce qu'il y a de meilleur au monde ?

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Approche d'Almotasim

 

Toute sa vie, on poursuit un idéal sans savoir exactement ce qu'il est, et quand, après mille péripéties, on l'atteint enfin, on découvre avec stupéfaction qu'il ne s'agit pas du tout d'un idéal mais de l'Hindou qu'on croyait avoir tué au premier chapitre !

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

L'indéfendable Basilide

 

Il ne faut pas manquer d'air, pour prendre la défense du fallacieux Basilide. Il est d'un pessimisme exacerbé ! D'après lui, l'homme est marqué par le péché, souillé, et soumis à une causalité aveugle qui le maintient dans la souffrance ! Comment le gnostique en est-il arrivé à soutenir de telles insanités alors que tout prouve au contraire que la vie est belle et que les gens sont gentils ?!

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Colloque de Buenos-Aires

 

Borges : Cet exercice continuel, impossible à ajourner, qui s'appelle vivre.

Le nihilique : Bien dit, Roré. Continuel... impossible à ajourner... c'est bien ça. Tu l'as bien écrasé, Roré, ce Port-Salut de l'existence. 

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Qui es-tu, James Joyce ?

 

Selon Borges, Joyce est un Irlandais enchevêtré et presque infini ; selon Férillet Robert, un Irlandais enchevêtré, infiniment ennuyeux et surestimé ; toujours selon Férillet Robert, un vrai lavement.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Coup de tonnerre

 

Au début des années 40, Jorge Luis Borges assiste, en compagnie d'Adolfo Bioy Casares, à un combat de coqs dans le quartier Saavedra de Buenos-Aires. Il y voit des coqs qui, possédés d'une frénésie belliqueuse, « ne sont déjà plus des coqs, mais des sortes d'oiseaux écarlates et déplumés ». C'est un coup de tonnerre dans l'intelligentsia argentine.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Désordre asiatique

 

L'amas de viscères et de ligaments qu'on nomme « corps », où rien ne marche que par à-coups, illustre bien ce « désordre asiatique du monde réel » dont parle Borges.

 

(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)