vendredi 14 septembre 2018

Interlude

Jeune fille lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Soupault


Nous nous réunîmes à l'heure habituelle, et le Bohémien, étant de loisir, continua sa narration en ces termes :

« Né à Chaville le 2 août 1897, Philippe Soupault rencontre Aragon et Breton avec qui il fonde la revue Littérature en 1919. »

Lorsque le Bohémien en fut à cet endroit de sa narration, on vint lui dire que les affaires de sa horde exigeaient sa présence. Je me tournai vers Rébecca et lui dis que nous avions entendu le récit d'aventures extraordinaires qui cependant avaient toutes été expliquées d'une manière naturelle.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

L'angoissante randonnée du « Suisse »


Dans toute l'odyssée de l'excrément, on retrouve cette angoisse intérieure qui se nourrit et se détruit de son propre mouvement, « forcée pour durer à manger sa propre durée, comme le catoblépas mangeait sa propre chair. » Elle imprègne ces lieux de passage, ces couloirs, ces galeries mal éclairées où il transite, ces boyaux qui évoquent tout à la fois l'atelier du Tintoret et une pérégrination étouffante.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Ascétisme et articulations ginglymoïdes


On dit — mais cela est-il vrai ? — que saint Colomban, anxieux de surclasser les ascètes de son temps, en arriva à faire 12 000 génuflexions par jour. Tout ce qu'il en retira, s'il faut en croire l'abbé Pétin 1, fut « une tuméfaction très-considérable du genou et des ligaments très-distendus ». La contraction des muscles fléchisseurs était si forte que la jambe formait avec la cuisse un angle droit, et restait invariablement fixée dans cette position !

1. Dictionnaire hagiographique, Paris, 1850.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Introuvable possible


L'homme du nihil est parfois tenté d'imiter le philosophe danois Søren Kierkegaard et d'aller, vêtu d'un caleçon long, par les cités et par les places, des viandes et des poissons pendus à son cou, en criant : « Du possible ! Du possible, sinon j'étouffe ! »

Mais à quoi bon « faire le zouave », puisque du possible, ici-bas, il n'y en a « pas plus que de beurre au prose »...


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Interlude

Jeune fille lisant les Scènes de la vie de Heidegger de Jean-René Vif

Vains conseils


Celui que la pensée du suicide taraude, c'est en pure perte qu'on lui recommandera l'amour du travail, la sobriété en toutes choses, la propreté, la plus grande attention à se vêtir selon les diverses saisons de l'année ; qu'on lui ordonnera les voyages, l'équitation, l'horticulture, une vie très régulière ; qu'on lui offrira toutes les consolations de l'amitié. Il finira tôt ou tard par se jeter dans un puits busé ou par s'asphyxier en se claquemurant dans un sac en papier.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Orang-outan


Le lendemain matin, le Juif errant était en vue ; il descendait la montagne à grands pas. Arrivé près de nous, le malheureux vagabond jeta un regard meurtrier sur le cabaliste ; mais remarquant qu'il ne pouvait se dérober, il se mit comme d'habitude entre moi et Velasquez, se tut un instant, puis reprit son récit en ces termes :

« Les orangs-outans sont de grands animaux roux, à douze paires de côtes, à bras extrêmement longs. On a cru longtemps qu'ils étaient, de tous les animaux existants, ceux qui se rapprochent le plus de l'homme ; mais les savants d'aujourd'hui estiment plutôt que ce sont les gibbons. »

Sur ce, le vagabond disparut dans une gorge proche.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Révélation


« Et assis là, sur mon thomas, je compris combien l'acte défécatoire était important, combien il m'était nécessaire de pouvoir accomplir quotidiennement le cathartique "Grand Œuvre". Dans l'apothéose excrémentitielle, l'univers explosait, chacune de ses particules s'écartait des autres, nous lançant, le "Suisse" et moi, dans un espace obscur et désert, nous arrachant éternellement l'un à l'autre, chacun suivant son chemin vers la cage ultime de la mort solitaire. »

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Cataclysmologie


Je scrute en autrui les multiples formes du désastre existentiel.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Interlude

Albert Einstein lisant la Mathématique du néant de Włodzisław Szczur

Tête de cheval


Dans certains pays, jusqu'à une époque récente, la tête de cheval passait pour protéger l'espèce humaine. Ainsi, dans la région d'Arkhangelsk, on la plaçait sur le poêle, convaincu qu'elle allait éloigner les miasmes pestilents. Au solstice d'été, dans la Russie centrale, on jetait une tête de cheval sur un brasier ardent pour s'immuniser contre les maléfices des sorciers, ces « pernicieux fils de la nuit » (Gragerfis). Chez ces peuples, la tête de cheval représentait le soleil, vu comme une divinité bienfaisante, aux vertus salutaires.

L'écrivain Otto Weininger, en revanche, voyait quelque chose de sinistre et de profondément malsain dans ce morceau d'anatomie du « bourrineau ». Ne prétendait-il pas avoir constaté, chez plusieurs individus redoutant la folie, « une parenté morphologique avec la tête de cheval » !

L'ambivalence de cette tête de cheval confirme l'intuition décisive de l'homme du nihil, à savoir que « tout est une question de point de vue » et que la connaissance est un terrain mou, marécageux, et plein de roseaux.


(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)