samedi 15 septembre 2018

Solipsisme attributif de l'urbain diffus


On sait que le solipsisme est une attitude philosophique d'après laquelle il n'y aurait pour le sujet pensant d'autre réalité certaine que lui-même. Ce que l'on sait moins, c'est que cette « vision du monde » a causé des dégâts considérables dans le domaine de l'urbanisme. Le géographe Augustin Berque en trace le tableau suivant : « La décomposition des paysages urbains par les formes solipsistes du mouvement moderne, par exemple, exprime ainsi une désurbanité profonde : un rejet de l'être-en-commun et du souci d'autrui dont la notion d'urbanité dit si éloquemment qu'ils s'exprimaient par excellence dans la cité. [...] L'être-vers-la-mort caractérise le solipsisme attributif de l'urbain diffus où l'on ne se soucie pas de transmettre un monde soutenable aux générations futures. »

« Voilà qui est à peine croyable ! », note Gragerfis dans son Journal d'un cénobite mondain avant de prescrire « un petit clystère, un petit clystère, bénin, bénin », pour « restaurer l'être-en-commun de la notion d'urbanité » et « éradiquer le solipsisme attributif de l'urbain diffus ».

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Matratzengruft


La pensée est un « matelas-tombeau » à la Henri Heine.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Interlude

Jeune fille fessue lisant le Monocle du colonel Sponsz de H. von Trobben

Catachrèses pascaliennes


Ce gouffre que Pascal « avait avec lui se mouvant », ne serait-il pas une métaphore du Rien ? Et le choc que reçut le penseur clermontois quand la vérité « lui apparut si vive qu'il en fut comme effrayé », ne fait-il pas penser à un vase subitement exposé à un feu de réverbère ?

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Franc parler


« Il est très chagrinant que mes plaisirs soient traversés par des étrons. Je voudrais que celui qui a le premier inventé de chier ne pût chier, lui et toute sa race, qu'à coups de bâton ! Comment, mordi ! qu'il faille qu'on ne puisse vivre sans chier ? Soyez à table avec la meilleure compagnie du monde ; qu'il vous prenne envie de chier, il faut aller chier. Soyez avec une jolie fille ou femme qui vous plaise ; qu'il vous prenne envie de chier, il faut aller chier ou crever. Ah ! Maudit chier ! Je ne sache point de plus vilaine chose que de chier. Voyez passer une jolie personne, bien mignonne, bien propre ; vous vous récriez : Ah ! Que cela serait joli si cela ne chiait pas ! » (Lettre de la princesse Palatine à sa tante Sophie, datée du 9 octobre 1694)

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Hantise


La vie de l'homme du nihil ressemble à une taïga stérile. Il y règne un calme de mort que vient seul troubler, quelquefois, le sifflement du sang dans le viscère. Le regard n'y rencontre que des mousses et des lichens qui revêtent toute chose : la terre, les pierres, les branches, et jusqu'au mufle des bovins. En Sibérie, les indigènes croient que des régions pareilles sont habitées par de mauvais esprits.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Morue


Le séjour dans les montagnes commençait à m'ennuyer. J'aurais été heureux de joindre mon régiment au plus vite ; mais malgré ce désir, je dus rester encore quelque temps. Les jours étaient assez monotones, les soirées en revanche très agréables grâce à la société du chef bohémien auquel je trouvais de plus en plus de qualités. J'étais assez curieux de la suite de ses aventures et, cette fois, le priai moi-même de satisfaire notre curiosité, ce qu'il fit en ces termes :

« Gros poisson du genre gade, atteignant jusqu'à 1 m 50, la morue est très vorace. Elle vit dans les mers arctiques, surtout entre Terre-Neuve et l'Islande, où l'on va la pêcher en été, dès le mois de mai. Sa chair fraîche constitue le cabillaud ; salée, c'est la morue verte ; sèche, c'est la merluche, et l'on tire de son foie une huile employée comme reconstituant. »

Lorsque le Bohémien en fut à cet endroit de ses aventures, il fut interrompu et dut aller s'occuper des affaires de sa horde.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Interlude

Jeune femme « issue de la diversité » lisant l'Apothéose du décervellement

Éloge du néant


« Les Bramènes asseurent que le monde n'est qu'une illusion, un songe, un prestige ; et que les corps, pour exister véritablement, doivent cesser d'estre en eux-mesmes, et se confondre avec le néant, qui par sa simplicité fait la perfection de tous les estres... Ils poussent si loin l'apathie ou l'indifférence, à laquelle ils rapportent toute la sainteté, qu'il faut devenir pierre ou statue, pour en acquérir la perfection. Non seulement ils enseignent que le sage ne doit avoir aucune passion ; mais qu'il ne lui est pas permis d'avoir mesme aucun désir. De sorte qu'il doit continuellement s'appliquer à ne vouloir rien, à ne penser à rien, à ne sentir rien, et à bannir si loin de son esprit toute idée de vertu et de sainteté, qu'il n'y ait rien en lui de contraire à la parfaite quiétude de l'âme. C'est, disent-ils, ce profond assoupissement de l'esprit, ce repos de toutes les puissances, cette continuelle suspension des sens, qui fait le bonheur de l'homme. » (Charles le Gobien, Préface de l'Histoire de l'édit de l'empereur de la Chine en faveur de la religion chrestienne, 1698)

Dans son Journal d'un cénobite mondain, Gragerfis assure « n'avoir jamais rien lu d'aussi exaltant ».


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Par surcroît


L'homme ne possède-t-il qu'une âme et un corps, n'a-t-il pas aussi dans sa luxueuse besace l'excrément qui n'est ni l'un ni l'autre ?

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Un vorace voïvode


Le temps convoite ma pachyméninge, et d'autres encore de mes viscères.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

De Charybde en Scylla


À l'instar du lieutenant Pirogov qui, chez Gogol, oublie en mangeant des pâtés lorrains 1 la « dégelée » qu'il a reçue d'un mari trompé, le sectateur du Rien cherche l'apaisement de ses douleurs nihiliques dans la goûteuse et fort onctueuse musique de Schumann. Mais ce « perlimpinpin prismatique » (Jutique) s'avère aussi redoutable que le cratère funèbre du vide qu'il cherchait à fuir, et finit par l'engloutir tout entier !

1. Les pâtés lorrains renferment, dans une enveloppe de pâte feuilletée croustillante à souhait, une farce à base de porc mariné.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)