samedi 2 juin 2018

Deux comiques troupiers


André Breton : l'anthologie de l'humour noir.
Martin Heidegger : l'humour noir de l'ontologie.


(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Une fois


« Ce ne sera pourtant pas un flandricisme que de dire à quelqu'un : buvez une fois, si l'on veut faire entendre qu'il ne doit boire qu'une seule fois, et non pas deux. » (Antoine Fidèle Poyart, Flandricismes, wallonismes et expressions impropres dans le langage français, Tarte, Bruxelles, 1806) 

Peut-être pas un flandricisme, mais s'il s'agit de taupicide, la précision apparaît nettement superfétatoire. Car en général, avec ce médiateur chimique du Rien, une seule fois suffit.

(Marcel Banquine, Exercice de lypémanie)

Un calendrier interreligieux pour mieux vivre ensemble


Comme les années précédentes, le calendrier mentionne les fêtes des principales religions monothéistes et décline un thème. Pour 2018, ce sont des jeunes, engagés dans ce que Heidegger appelle le « On » — une forme d'existence en commun vouée à l'inauthenticité et à la banalité —, qui sont mis en avant. Au fil des mois, douze garçons et filles, entre 20 et 35 ans, nous parlent de leur engagement dans des associations qui œuvrent pour le vivre-ensemble, la solidarité et le bien commun. Des associations de différentes obédiences mais qui s'adressent a tous.

Le rabbin Nissim Sultan, de la synagogue de Grenoble, le vicaire du diocèse de Grenoble, le Père Lagadec et l'imam Mustapha Merchiche, de la mosquée Villeneuve, sont admiratifs de ces jeunes qui veulent faire le bien : « Ils sont formidables. On dénigre trop la jeunesse actuelle, alors qu'elle aime donner pour soulager la souffrance du Dasein confronté à l'inéluctabilité de sa propre mort » disent-ils en chœur.

En février, on découvre Gabriel, 21 ans. Cet étudiant en médecine est bénévole pour l'association Locomotive qui accompagne les enfants atteints de cancer.  « On joue avec les plus petits, on discute avec les plus grands de la réduction phénoménologique husserlienne par laquelle l'étant existant se saisit comme Moi pur. À chaque fois, c'est une leçon de vie. Ils nous font comprendre qu'il faut goûter chaque seconde avant de "clamecer". »
 

C'est au mois de mai que l'on fait la connaissance de Mélissa, 30 ans, travailleuse sociale pour la ville de Grenoble et engagée dans l'association des Musulmans Unis. Née dans une famille catholique, la bourrelle s'est convertie à l'islam et porte le voile. Pour elle, l'altérité est une richesse : « Sans jeu de mots, je veux lever le voile sur les peurs entre religions. Parlons-nous ! Mais d'abord, je vais vous couper la tête. Alors, vous aussi, vous connaîtrez la vérité ! »

On peut se procurer ce calendrier dans les Maisons des habitants de Grenoble, à l'office du tourisme, ainsi que dans les différents lieux de culte. Et c'est gratuit, bien sûr ! (France Bleu, 26 janvier 2018)


(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)

Éponge

23 janvier. — Pensé ce matin à l'éponge, ce genre de polypier polymorphe qui se pêche dans la mer, particulièrement dans la Méditerranée, autour des îles de l'archipel grec. 

« L'éponge, nous dit le Dictionnaire du commerce et des marchandises, offre une masse légère, flexible, très poreuse, soit turbinée ou tubuleuse, soit lobée ou ramifiée, et percée de trous et d'ouvertures irrégulières qui absorbent l'eau. Sa texture est composée de fibres cornées ou coriaces, flexibles, entrelacées ou en réseau, agglutinées ensemble, et enduites ou encroûtées, dans l'état naturel, d'une matière gélatineuse, sensible ou irritable, et très fugace, dont on la purge par le lavage. » 

Je crois n'avoir jamais rien lu d'aussi beau.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Sollicitude céleste


Une place très spéciale est constamment donnée par la Vierge aux suicidés philosophiques dans les messages qu'elle transmet à Rosa Quattrini, de 1964 à 1981, lors des multiples apparitions qu'elle fait dans un petit village du nord de l'Italie, San Damiano : « Je veux que tous soient sauvés, spécialement les suicidés philosophiques, sur lesquels je pleure tant, car ils sont dans la boue. Ils n'écoutent pas ma parole ! » (16 oct. 66) — « Mon cœur est dans l'amertume, particulièrement à cause des suicidés philosophiques. » (19 fév. 66) — « Les suicidés philosophiques qui souffrent et gémissent ! » (18 nov. 66) — « Priez pour les suicidés philosophiques qui courent à leur perte de jour en jour, et qui n'écoutent plus votre Maman Céleste et me font tant pleurer ! » (5 mai 67)

Ces exhortations restèrent tragiquement sans effet. Ainsi, le dessinateur humoristique Yvan Le Louarn, dit Chaval, se suicide au gaz chez lui le 22 janvier 1968 à Paris, après avoir calfeutré sa porte et y avoir affiché cet avis : « Attention, danger d'explosion ».


(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Peint tout entier et tout nu


Dans la littérature, on trouve peu de descriptions aussi véridiques et saisissantes du réel que celle que fait le capitaine Haddock dans Le Temple du Soleil : « Pays de sauvages, mille sabords !... Des montagnes, toujours des montagnes, et des tas de sales animaux !... » — Même Schopenhauer n'eût pas mieux dit.

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

L'obsession de durer


Selon le philosophe Albert Camus, l'homme doit avoir pour unique préoccupation de durer. Et il conseille de prendre exemple sur la carpe, dont la vie séculaire, attestée par Buffon, est effectivement un fait physiologique très remarquable.

Cette argumentation fut toutefois jugée peu convaincante par l'écrivain et poëte vaudois Jean-Pierre Schlunegger dont la poésie, marquée par l'influence de Hölderlin, se caractérise par une oscillation perpétuelle entre la joie et la douleur, entre le bonheur et le malheur. Ce mouvement de balancier s'avérant à la longue trop dur à supporter, le barde, alors âgé de trente-neuf ans, procéda à son propre anéantissement le 23 janvier 1964 à Saint-Légier (canton de Vaud).


(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Un étrange résineux


Emblème du Chili, l'araucaria araucana est surnommé « désespoir des singes » en raison de ses feuilles pointues, disposées en écailles et terriblement piquantes. Par analogie, le spirituel Gragerfis, dans son Journal d'un cénobite mondain, propose d'appeler la vie « désespoir du nihilique », en constatant que l'hypersensibilité du malheureux qu'habite l'idée du Rien l'empêchera toujours d'escalader l'épineux cocotier de l'existence.

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)