« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
dimanche 13 mai 2018
Théorème d'accélération de Gödel
En logique mathématique, le théorème d'accélération de Gödel, démontré par Kurt Gödel en 1936, montre l'existence de théorèmes ayant des démonstrations très longues, mais qui peuvent être considérablement raccourcies en utilisant un système d'axiomes plus puissant.
Il prend l'exemple d'un « étant existant », qu'il dénote x, désireux de démontrer le théorème « x est mortel » et qui, au lieu d'attendre la sénescence, la caducité, la décrépitude et finalement la mort, accélère la preuve de sa proposition en ingèrant du taupicide (ce dernier correspondant métaphoriquement au « système d'axiomes plus puissant »).
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Eudémonologie
Mon eudémonologie, plus brève que celle d'un Schopenhauer, tient en ces trois vocables : solitude, inaction, et suicide.
(Luc Pulfop, Prière d'incinérer. Dégoût)
La solitude des fêtes foraines
Parmi toutes les sortes de solitude que doit affronter l'homme durant sa vie, la plus terrible est sans conteste la solitude des fêtes foraines. L'étant existant s'y sent comme devant un écran transparent mais épais qui arrêterait les échos de la vie. La foule de badauds semble composée de petits personnages sortis de terre, dérisoires, grimaçants, comme exhumés d'une nécropole aztèque.
Les montagnes russes, les grandes roues, les chenilles, les nacelles en tout genre qui vous secouent dans tous les sens et vous mettent la tête en bas, les cylindres où l'on se place le dos à la paroi et où l'on fait l'expérience de la force centrifuge, tout cela a quelque chose d'infernal et le sujet pensant, réalisant enfin qu'il s'est fourvoyé dans un lieu festif de mort, se prend à envier la solitude infiniment plus bénigne des deux alcooliques du Verre d'absinthe de Degas ou celle des vieillards croqués par le cruel Daumier.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Pauvreté en monde
Une enquête a été ouverte après la découverte du corps d'un homme de 34 ans dans le quartier des Provinces à Laxou, en banlieue de Nancy, dimanche vers midi, a-t-on appris de source policière.
La victime a été retrouvée pendue à une branche d'un arbre avec la laisse de son chien, derrière les immeubles Savoie et Bourgogne, selon la même source.
« L'homme était sorti promener son animal de compagnie en fin de matinée et il n'est jamais rentré chez lui. »
Le chien a été retrouvé errant non loin du corps de son maître. « Contrairement à ce que soutient Heidegger, les chiens comprennent parfaitement ce que signifie la mort de leur maître, parce qu'ils possèdent comme nombre d'animaux supérieurs l'intuition vitale, élémentaire bien qu'authentique, de la mort. La thèse heideggérienne selon laquelle "l'animal est pauvre en monde" est d'une indigence phénoménologique abyssale » assure une source policière.
Une femme a découvert le pendu au milieu de cet ensemble d'immeubles et a immédiatement composé le 17. Une équipe de police-secours est intervenue. Le corps a été transporté à l'institut médico-légal pour un examen. Une autopsie pourrait ensuite être pratiquée en cas de marques suspectes présentes sur la victime.
« Tous les éléments laissent penser à un suicide », nous a déclaré l'inspecteur qui avait plus tôt étrillé l'illustre ontologue wurtembourgeois. L'homme était connu pour être dépressif (le pendu, pas Heidegger). (Lorraine actu, 27 novembre 2017)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Un maître en mélancolie
La plus remarquable qualité du suicidé philosophique, celle qui fait de lui le véritable artiste de notre temps, c'est cette mélancolie singulière et opiniâtre qui s'exhale de toutes ses œuvres.
Cette mélancolie respire jusque dans l'homicide de soi-même, sa réalisation la plus coquette et la plus fleurie. Ce « petit poème d'intérieur » (Max Brod), plein de repos — éternel ! — et de silence, dégage, au dire de Gragerfis (Journal d'un cénobite mondain), « un genre de parfum de mauvais lieu qui nous guide assez vite vers les limbes insondés de la tristesse ».
Ce « parfum de mauvais lieu » dont parle le pénétrant exégète, ne serait-ce pas le fumet sauvage du taupicide ? On peut en tout cas le penser.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Usuelles asphyxies
Au petit séminaire de Fribourg, Heidegger est toujours aussi malheureux. Il commence à se voir comme un « handicapé de la vie ». Il lit Leopardi et Fernando Pessoa 1, mais rien ne peut soulager l'oppression qu'il ressent « au niveau du Dasein ». Il écrit dans son journal qu'il « s'embouque en d'usuelles asphyxies » et que son Moi le « bourrelle continûment ».
Un jour, pour vivre une « expérience limite », il se met un nœud coulant autour du cou avec une ficelle qu'il attache au portique d'entrée du potager, mais n'en retire qu'un beau collier en croûte badigeonné de mercurochrome qu'il doit exhiber pendant deux semaines.
Pendant l'été 1907, un événement survient qui va changer le cours de sa vie. Le père Conrad Gröber, directeur du petit séminaire de Constance et futur archevêque de Fribourg, lui offre la dissertation de Franz Brentano intitulée De la diversité des acceptions de l'être d'après Aristote (1862). Heidegger affirmera à plusieurs reprises que ce livre a été son « guide à travers la philosophie grecque », le conduisant à relire Aristote, dont il écrit dans Mon chemin de pensée et la phénoménologie (1963) que la phrase : « l'être se dit de multiples manières » a décidé de son « chemin de pensée ». Il n'aura de cesse désormais de débusquer l'un de ce divers, « dussent les rues ruisseler de sang ».
1. « Ô roues, ô engrenages, r-r-r-r-r-r-r éternel ! Violent spasme retenu des mécanismes en furie ! »
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Un jour, pour vivre une « expérience limite », il se met un nœud coulant autour du cou avec une ficelle qu'il attache au portique d'entrée du potager, mais n'en retire qu'un beau collier en croûte badigeonné de mercurochrome qu'il doit exhiber pendant deux semaines.
Pendant l'été 1907, un événement survient qui va changer le cours de sa vie. Le père Conrad Gröber, directeur du petit séminaire de Constance et futur archevêque de Fribourg, lui offre la dissertation de Franz Brentano intitulée De la diversité des acceptions de l'être d'après Aristote (1862). Heidegger affirmera à plusieurs reprises que ce livre a été son « guide à travers la philosophie grecque », le conduisant à relire Aristote, dont il écrit dans Mon chemin de pensée et la phénoménologie (1963) que la phrase : « l'être se dit de multiples manières » a décidé de son « chemin de pensée ». Il n'aura de cesse désormais de débusquer l'un de ce divers, « dussent les rues ruisseler de sang ».
1. « Ô roues, ô engrenages, r-r-r-r-r-r-r éternel ! Violent spasme retenu des mécanismes en furie ! »
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Cinétique des gaz et homicide de soi-même
« Personne ne connaît la mort, a dit La Rochefoucauld. On ne la souffre pas par résolution, mais par stupidité et par coutume ; et les hommes meurent parce qu'on ne peut s'empêcher de mourir. »
Longtemps, cette affirmation péremptoire fut prise pour argent comptant par le vulgum pecus, mais sa véracité fut gravement mise en doute par le suicide du physicien Ludwig Eduard Boltzmann dans la ville élégiaque de Duino, près de Trieste, le 5 septembre 1906.
Boltzmann était bien placé pour connaître la mort, ayant soutenu une thèse de doctorat sur la théorie cinétique des gaz. Il était en outre un fervent défenseur de l'existence des atomes, et pensait que ses travaux avaient validé l'hypothèse de Démocrite selon laquelle « la matière peut être considérée comme un ensemble d'entités indivisibles ».
Mais cela ne l'empêcha pas de faire une première tentative de suicide à Leipzig, puis de se pendre pour de bon à Duino, comme dit plus haut. La Rochefoucauld aurait pu en manger son chapeau, s'il n'avait pas été mort lui-même depuis un certain temps déjà.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Longtemps, cette affirmation péremptoire fut prise pour argent comptant par le vulgum pecus, mais sa véracité fut gravement mise en doute par le suicide du physicien Ludwig Eduard Boltzmann dans la ville élégiaque de Duino, près de Trieste, le 5 septembre 1906.
Boltzmann était bien placé pour connaître la mort, ayant soutenu une thèse de doctorat sur la théorie cinétique des gaz. Il était en outre un fervent défenseur de l'existence des atomes, et pensait que ses travaux avaient validé l'hypothèse de Démocrite selon laquelle « la matière peut être considérée comme un ensemble d'entités indivisibles ».
Mais cela ne l'empêcha pas de faire une première tentative de suicide à Leipzig, puis de se pendre pour de bon à Duino, comme dit plus haut. La Rochefoucauld aurait pu en manger son chapeau, s'il n'avait pas été mort lui-même depuis un certain temps déjà.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Angoisse kierkegaardienne
Dans Le Trésor de Rackham le Rouge, alors qu'il recherche l'épave de la Licorne, Tintin se retrouve bloqué au fond de l'océan dans son burlesque sous-marin de poche en forme de requin. Le capitaine Haddock parvient enfin à accrocher l'engin à l'aide d'un grappin et Tintin s'exclame : « Ah ! ça y est !... Je suis sauvé !... Il était temps !... J'étouffe... »
Comment ne pas entendre ici un écho de cette formule de Kiekegaard 1 citée par le « créateur de concepts » Gilles Deleuze : « Du possible ! Du possible, sinon j'étouffe ! », ou cette autre expression de William James 2, qui réclame « l'oxygène de la possibilité » ? Pour Tintin, seul compte à cet instant le moment purement affirmatif de l'envol vers la surface, de la recréation d'un possible aérien alors même que tout possible semble barré par les algues qui emprisonnent le sous-marin, et que c'est précisément l'air qui manque.
1. Dans le Traité du désespoir.
2. Dans La Volonté de croire.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Comment ne pas entendre ici un écho de cette formule de Kiekegaard 1 citée par le « créateur de concepts » Gilles Deleuze : « Du possible ! Du possible, sinon j'étouffe ! », ou cette autre expression de William James 2, qui réclame « l'oxygène de la possibilité » ? Pour Tintin, seul compte à cet instant le moment purement affirmatif de l'envol vers la surface, de la recréation d'un possible aérien alors même que tout possible semble barré par les algues qui emprisonnent le sous-marin, et que c'est précisément l'air qui manque.
1. Dans le Traité du désespoir.
2. Dans La Volonté de croire.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Une action solidaire à l'issue dramatique
« Charlotte Bellaigue est élève infirmière à Ussel. Avec six autres étudiantes, elle a rencontré les écoliers de Bourg-Lastic au début du printemps pour solliciter leur aide. Partant pour un stage "médecine tropicale" au Sénégal, elles avaient décidé d'offrir du matériel scolaire à de jeunes Sénégalais. Les écoliers bourcagnots ont répondu avec générosité, offrant crayons, cahiers ou livres pour leurs exotiques camarades.
À leur retour, les étudiantes ont présenté le film qu'elles ont réalisé à Koungheul ainsi que des photographies. Parmi ces dernières, l'une a particulièrement ému les enfants, qui représentait les élèves d'une école ayant bénéficié de leurs dons.
Seule ombre au tableau, l'une des étudiantes a été envoûtée lors de son séjour en Afrique et se prend maintenant pour le philosophe Jean Grenier. Sa meilleure amie raconte son incroyable calvaire :
"Elle répète sans cesse que l'absolu n'est connaissable que par une négation, et qu'une fois que l'Être nécessaire est atteint, le monde ne voit pas seulement mis en jeu sa contingence, mais son existence. Par-dessus le marché, elle se dit exposée aux maléfices de puissances occultes ; à l'aide de batteries cachées, on lui envoie des secousses, des décharges électriques ; on aimante ses cheveux, ses yeux, ses dents et sa langue ; on galvanise tout son système circulatoire ; on la place pendant son sommeil sous une grande machine pneumatique ; on la fait vivre au milieu d'odeurs malsaines ; on contamine son linge de corps, etc.
Ce serait presque à vous dégoûter des actions solidaires !" »
(La Montagne, 5 juillet 2014)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Cadavre vivant
La communiste française Inès Armand, dite l'« amour caché de Lénine », usée physiquement et moralement par le commerce du tyran marxiste, note le 1er septembre 1920 dans son journal intime à quel point elle est mortellement lasse de l'haeccéité : « Je suis un cadavre vivant. »
Six jours plus tard, elle répète : « Je suis une morte parmi les vivants, un cadavre vivant... Mon cœur est mort. »
Le choléra l'emporte le 24 septembre 1920, avant qu'elle ait eu le temps de se décrire une troisième fois comme un « cadavre vivant ».
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
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