mardi 25 décembre 2018

Conversation avec un lama


19 novembre. — « Tu dis que Bouddha est unique ; dans ce cas-là, que seront le Talé-Lama de Lhassa, le Bandchan-Remboutchi du Djachi-Loumbo, le Tsong Kaba des Sifan, le Kaldan, le Tolon Noor, le Guison-Tamba du Grand-Kouren, de Hobilgan, de la ville-Bleue, les Houtouktou de Péking, et puis tous ces nombreux chaberons 1, qui résident dans les lamaseries de la Tartarie et du Thibet ? — Tous sont également Bouddha. — Je ne m'en mêle plus. »

1. En style lamanesque, nous dit le Père Huc, on nomme chaberons tous ceux qui, après leur mort, subissent des incarnations successives ; ils sont regardés comme des Bouddha vivants.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune fille lisant les Pensées rancies et cramoisies de J. Zimmerschmühl

Immortalité


Les coquilles des mollusques, les ramures des cervidés, l'ivoire et la corne, la carapace des tortues, l'ambre gris des cétacés... On n'en finirait pas d'énumérer les appendices extérieurs des corps vivants qui, parce qu'ils échappent à la décomposition organique, ont instillé dans l'esprit du monstre bipède l'extravagante idée de l'immortalité. Mais quant à l'homme du nihil, il n'est pas si facile à duper : il a lu Marc Aurèle.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Une drôle d'idée


« À cette époque, j'imaginai de mettre un point final à la littérature en y instaurant la dictature de la fécalité, en remplaçant dans les brochures les mots par des étrons. »

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Page de journal


15 novembre. — Selon Procope, la prise de Rome par Alaric fut si prompte, et l'on s'y attendait si peu, que quand on dit à l'empereur Honoré que Rome était perdue, il crut qu'on lui parlait d'une poule à laquelle il avait donné ce nom.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

lundi 24 décembre 2018

Interlude

Jeune femme lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Végétation


La nature selon Gragerfis : « une immense et comme invincible réserve de forces femelles, à la fois passives, sournoises et voraces ». Dans son Journal d'un cénobite mondain, l'infatigable polygraphe confie que ce déchaînement lent et silencieux lui a toujours causé « une peur atroce ».

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Passe-temps morbide


Toujours, j'invente de nouveaux modes d'inquiétude.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Pilifère


26 août. — Les physiologistes placent l'homme à la tête de la grande classe des mammifères que d'autres nomment pilifères, parce que l'un des traits distinctifs de cette classe est une peau couverte de poils.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune fille lisant le Monocle du colonel Sponsz de Hermann von Trobben

Arcane


Les excréments ne coïncident pas, il s'en faut de beaucoup, avec l'étendue et la variété du monde. À l'évidence, le monde contient quantité d'autres êtres ou choses, dont certains attirent et surprennent autant. Mais aucun objet, aucune créature, n'interroge davantage l'étant existant — le fameux « Dasein » des existentialistes — que ce hiéroglyphe protéiforme et versicolore : l'étron.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Vita brevis


L'homme est, pourrait-on dire, de passage à Cajarc.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Page de journal


18 novembre. — « Nul boucher ne pourra vendre ne appareiller pour vendre aucun porc ne truie qui soient nourris de pension de barbier, de mareschal, ne de mesel ; et, s'il était forfait, en sera la chair portée à hacher sur un chouquet à ce ordonné, et jestée à la rivière de Sayne, et le saing donné aux gardes et varlets du mestier, pour leurs paines et salaires, et la peau au prouffit du roy. » (Article 1er du statut des bouchers à Paris en 1407)

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

dimanche 23 décembre 2018

Interlude

Jeune femme lisant l'Apothéose du décervellement de Francis Muflier

Univers


Par l'univers, l'homme du nihil entend non seulement les cieux et la terre, mais encore le vide infini qu'il décèle au-dedans du monde, et en particulier de soi-même.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Une histoire sans saveur


Mes jours ont la sapidité morose du concombre.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Antidote


24 octobre. — L'angoisse de vivre, l'inquiétude de se sentir seul dans un univers incompréhensible, tout cela peut parfois se guérir par quelques petits gâteaux feuilletés, s'il faut en croire Max Brod (Biographie von Heinrich Heine).

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune femme lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Dissymétrie


Conjecturant dans la dissymétrie une des forces vives de la nature, certains suicidés philosophiques choisissent de délaisser l'harmonieux et maniable colt Frontier pour l'incommode fusil Krag-Jørgensen (dont le magasin, faut-il le rappeler, est placé sur le côté). Présente même où elle n'a que faire — par exemple dans l'homicide de soi-même —, la postulation dissymétrique y rappelle qu'elle est capable de s'imposer avec faste, même là où ses effets ne sont qu'encombrants et nuisibles.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Ambition littéraire


Dire en une prose gloméruleuse toute la souffrance du volucre.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Un bon tour


25 octobre. — « Plusieurs ambassadeurs turcs lui furent envoyés. Lorsqu'ils vinrent à lui, ils le saluèrent sans ôter leur turban. Il leur demanda pourquoi ils ne l'avaient pas enlevé et ils lui répondirent : "Seigneur, telle est notre coutume et nous ne le retirerons même pas devant l'Empereur." Il dit : "Eh bien, je veux vous raffermir dans votre coutume." Et eux de le remercier de sa grâce. Alors il fit prendre de bons clous en fer et leur fit clouer les turbans sur la tête de façon qu'ils ne tombassent pas ; c'est ainsi qu'il les raffermit dans leur coutume... » (Histoire du prince Dracula, Vienne, 1643)

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

samedi 22 décembre 2018

Interlude

Jeune fille lisant les Scènes de la vie de Heidegger de Jean-René Vif

Instabilité


Le suicidé philosophique, soumis à l'attraction fatale du nihil, est un être fondamentalement instable : il rappelle ces éléments chimiques, créés en laboratoire, qui se maintiennent seulement quelques centièmes de seconde avant de se désintégrer, et qui avaient pourtant leur case réservée dans le tableau périodique de Mendeleïev 1.

1. Ce dont ne peut se targuer le suicidé philosophique, qui apparaît plutôt — et d'abord à soi-même — comme une « erreur de la nature ».

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Tourbillon de la vie


Autrefois, j'ai connu Ferdousi dans Mysore, mais nous nous sommes, depuis, perdus de vue.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Lanterne d'Aristote


30 décembre. — La lanterne d'Aristote est l'appareil masticateur des oursins. Il s'agit, selon Gragerfis, d'un assemblage à symétrie pentagonale de pièces calcaires squelettiques articulées.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune fille lisant la Mathématique du néant de Włodzisław Szczur

Discours silencieux


Un mystérieux isolement, que manifeste jusqu'à leur apparence, met entre les suicidés philosophiques et le vulgum pecus une distance difficile à réduire et qui fait leur force. Ils obligent à l'observation, ils sont par nature « ouverts ». Rien de surnaturel ne les hante. Aucun sacré ne les habite : ils se refusent à tout culte et ne conseillent aucune piété. Ils ne sont pas des symboles : ils ne signifient rien qu'eux-mêmes. Le discours sur le Rien auquel ils invitent reste silencieux ; il naît d'une taciturnité toujours nouvelle, qui surprend d'abord mais qui découle naturellement de ce qu'ils sont, comme qui dirait, « décédés ».

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Grand dessein


Fonder une herméneutique du remords d'être.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Momification du Dasein


28 août. — « Premièrement, ils font couler le cerveau par les narines avec ferrement propre à ce, et pendant que les uns font cette distillation, autres y entonnent baume et onguents. Après, ils ont une pierre éthiopique de fort bon tranchant, avec laquelle ils font incision du ventre, puis en tirent les entrailles. Quand le ventre est ainsi vidé et arrosé de vin de palmes, derechef ils l'adoubent de drogues aromatiques, et, emplissant les entrailles de myrrhe fine, de casse et autres bonnes odeurs, hormis d'encens, ils cousent l'incision et referment le tout. Toutes ces façons baillées, ils salent très-bien le corps, et couvrent le saloir jusqu'à soixante-dix jours : et n'est licite de l'y tenir davantage. Les jours révolus, ils retournent prendre le corps, lequel, lavé et nettoyé, lient de bandes faites d'un drap de soie, collées avec certaine gomme, à raison que les Égyptiens en lieu de colle usent de cette gomme. Alors les parents reprennent le corps, et lui font faire un étui de bois moulé en effigie d'homme, dans lequel ils le mettent, et l'ayant entuyé là-dedans, le serrent comme trésor en un autre coffre, qu'ils dressent debout contre une muraille. »  (Hérodote, Histoires, Traduction de Pierre Saliat)

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)