dimanche 29 juillet 2018

Interlude

Jeune fille ravie d'avoir enfin trouvé Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

La Cambuse : deux ans d'initiative citoyenne


« Voilà maintenant plus de deux ans qu'a été créée, à Portet-sur-Garonne, l'association d'initiatives citoyennes "La Cambuse", installée dans une ancienne demeure qui appartenait à une vieille figure locale, Joseph Borieu, célèbre pour ses apports à l'existentialisme cévenol 1.

Aujourd'hui, sous ce nom de "Cambuse", c'est un lieu de vie et d'échanges ouvert à tous. Les responsables, autour de Mathilde Balty, ont transformé et aménagé la demeure et en ont fait un endroit chaleureux de rencontres et de convivialité. Dans cet espace citoyen, les adhérents peuvent se livrer à toutes sortes d'activités grâce aux ateliers intergénérationnels, créatifs et interculturels, partager des moments de loisir autour du jeu, de la danse et de la musique, mais aussi s'initier à la pratique de l'homicide de soi-même en puisant dans une riche bibliothèque comportant notamment les œuvres des "suicidés philosophiques de Suisse romande", Edmond-Henri Crisinel, Francis Giauque et Jean-Pierre Schlunegger.

À l'étage, se trouve un espace très feutré où les adhérents peuvent débattre, s'investir et travailler avec des excréments de cervidé. Ils peuvent aussi faire montre de leur dextérité manuelle en élaborant des meubles à partir de palettes. C'est du plus bel effet et d'une grande innovation !


La découverte de la ville de Portet et de ses richesses fait également partie des activités de cette association. Ainsi, dernièrement, une poignée de nouveaux Portésiens a pu explorer le vieux Portet grâce à un ancien de la commune, Mimile, toujours prêt à "faire le couillon" et, en bon disciple de Joseph Borieu, à montrer à l'omnitude son "fondement de l'historialité du Dasein". » (La Dépêche, 5 août 2017)

1. Il a notamment introduit le concept d'« être-pour-le-pélardon ».

(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)

Rumination nihilique


Penser, c'est ressasser l'impossibilité d'exister, au dire de Max Brod (Biographie von Heinrich Heine). Parfois, ce ressassement dégénère en une frénésie d'autodestruction, et c'est le drame. Le soir du 17 octobre 1910, alors qu'il vient de mettre le point final à son mémoire sur les concepts de persuasion et de rhétorique chez Platon et Aristote, le philosophe italien Carlo Michelstaedter se tire une balle dans la tête, à l'âge de vingt-trois ans. Les raisons de son geste n'ont jamais été élucidées, mais certains amateurs de mélodrame ont émis l'hypothèse qu'il était « mort au contact de l'œuvre qu'il avait produite parce que cette œuvre représentait une intensification de son Moi ». Dans son Journal d'un cénobite mondain, Gragerfis le qualifie de « penseur inactuel ».

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Débuts en fanfare


En 1913, Heidegger, qui s'est remis au bugle, répète assidûment la Marche d'entrée des Boyards de Johan Halvorsen. Il écrit aussi sa thèse de doctorat en philosophie, Doctrine du jugement dans le psychologisme, sous la direction d'Artur Schneider.

À l'occasion de ce travail, il lui apparaît que la question de la vérité ne peut trouver son lieu privilégié dans l'analyse du jugement, pas plus qu'il n'est possible d'appréhender prioritairement l'être dans sa fonction de copule. Il convient plutôt de considérer l'être dans son aspect véritatif ou, mieux dit, sa fonction d'avération.

La démarche de Heidegger consistera dès lors à mettre en évidence l'articulation première de la signifiance ou de la significabilité qui est directement liée à l'être-au-monde, non pas « hors langue » ou antérieurement à la langue, mais à travers un type originel de « discursivité » — la Rede — qui n'a pas besoin de s'exprimer en « mots » ni en « phrases 
» mais peut se satisfaire de simples grognements ou de borborygmes. Le poëte illuminé Antonin Artaud fera plus tard son « fonds de commerce » de cette Rede heideggérienne, usant et abusant de la glossolalie. Par ailleurs, il ira jusqu'à prétendre, contre tout bon sens, que le peintre Van Gogh a été « suicidé par la société » !

(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

Un malotru


Les coolies népalais sont une véritable plaie pour le promeneur solitaire. Il y a d'abord celui, coiffé d'un genre de fez, à l'air passablement ahuri, qui met son balancier dans l'œil du capitaine Haddock. Mais surtout, il y a cet odieux personnage laid comme un ouaouaron, vêtu d'un slip kangourou beaucoup trop grand pour lui, et qui porte sur son dos un énorme ballot retenu par une courroie qui lui scie le front. Il percute de plein fouet le pauvre capitaine et l'« engueule comme du poisson pourri » tout en grimaçant comme un diantre.

Comme le « monstre bipède » est pénible, et comme Schopenhauer avait raison de nous mettre en garde comme l'imbuvable « autrui » !

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Interlude

Jeune fille lisant le Monocle du colonel Sponsz (trad. russe par Ivan Smirnov)

Page de journal


« 26 novembre (après-midi). Je referme les Quæstiones Quodlibetales de Duns Scot. Aucun doute n'est plus permis. L'haeccéité est bien l'actualité ultime qui confère aux étants leur singularité. Il ne reste plus qu'à se pendre. »

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Le plus grand scandale


Pour « l'homme de la Nature et de la Vérité », l'homicide de soi-même constitue une énigme : il trouve quelque chose de cruel, de « sadique », dans cette forme d'expression vertigineuse. Mais ce qui met le comble à son irritation, c'est qu'elle dévoile le Rien par la modalité aléthique du possible, qu'elle utilise l'accessoire — revolver, corde de violoncelle, flacon de taupicide — pour traduire le nécessaire, et la circonstance adventice — proximité d'un puits, d'un immeuble élevé, d'un précipice — pour toucher l'universel.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Un artiste protéiforme


Vers-libriste du néant, aquafortiste du vide... et contrapuntiste du suicide.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Approximation diophantienne


En théorie des nombres, l'approximation diophantienne traite de l'approximation des réels par des nombres rationnels. Il est en effet possible d'approcher tout nombre réel par un rationnel avec une précision arbitrairement grande.

Cette propriété permet de déterminer à coup sûr si une chose est irrationnelle, par exemple la peur panique, incontrôlable, d'entendre proférer le vocable reginglette, ou — cas moins évident à trancher et qui nécessite l'emploi de fractions continues — l'envie irrépressible de se jeter dans un puits busé ou sous un train lancé à vive allure.


(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Interlude

Veronica Lake lisant l'Apothéose du décervellement de Francis Muflier

Conte immoral


L'homme du nihil, malgré son scepticisme radical et final qui ne reconnaît pas de support à l'univers, s'évertue fébrilement à découvrir « le fin mot de l'histoire ». Hélas ! Ce n'est pas la vérité qu'il trouve cachée au fond du puits, mais le cadavre de Philogène, l'infidèle Philogène, que son assassin Passereau y a jeté !

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Drame bernanosien


Le curé de Sainte-Mère-Église (Manche), retrouvé mort près de sa voiture mercredi soir, se serait en fait suicidé, selon les premiers éléments de l'enquête. Ce prêtre, qui a laissé une lettre dont le contenu n'a pas été révélé, ne présentait aucun signe de maladie et était « très apprécié », selon le diocèse de Coutances. « L'enquête a conclu à une mort volontaire », a indiqué Anne Jacquemot, chargée de communication du diocèse.

Ordonné prêtre en 2005, Emmanuel S., 50 ans, était le curé de la paroisse de Sainte-Mère-Église depuis septembre 2013. Le suicide d'un prêtre est « rare, celui-ci est incompréhensible », explique Daniel Jamelot, vicaire épiscopal du diocèse de Coutances, qui évoque toutefois à mots couverts la lourdeur de la charge d'un curé.

Pour l'heure, l'hypothèse privilégiée par les enquêteurs est que le prêtre se soit laissé submerger par cette « tristesse selon Dieu qui opère le salut par la pénitence ». Frappé d'acédie foudroyante, il aurait alors été incapable de « reprendre pied ». (Le Parisien, 21 décembre 2013)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

Un engouement énigmatique


L'année 1875 est surtout connue pour avoir vu naître le mathématicien Henri Lebesgue, destiné à révolutionner le calcul intégral par sa théorie qui permet de rechercher des primitives pour des fonctions « irrégulières » considérées jusqu'alors comme réfractaires à toute intégration. Mais elle est aussi le moment où le banquier François Brocard montre une première marque d'intérêt pour le thermalisme auvergnat. Il fonde avec diverses personnalités — André Monnier, le maire de Clermont-Ferrand, M. Ledru, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, M. Montlouis, directeur du journal Le Moniteur, et cetera, et cetera — la Compagnie des Eaux Minérales de La Bourboule et en devient le vice-président.

Comme beaucoup de choses que l'homme ne peut comprendre — la mortalité de l'être mortel, l'haeccéité, la temporalité du temps, pour n'en citer que quelques-unes — les raisons particulières de cet intérêt de l'homme d'affaires jurassien pour le thermalisme de La Bourboule sont enveloppées d'un profond mystère. Mais peut-être cette énigme, comme celle de l'haeccéité, est-elle un gouffre qu'il est préférable de ne pas trop sonder...


(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Estranglement du Moy


« Après que le Moy eust esté traité inutilement par douces paroles, on agit avec lui par d'autres qui estoient rigoureuses. Mais oncques, pour chose qu'on lui sceust ou peust dire, il ne voulut jamais retirer et despartir de son mauvais courage et malheureux propos ; parquoy ledit Doppelchor en conceut hayne mortelle contre lui ; et la commune renommée estoit qu'il fut par l'ordre dudit Doppelchor estranglé une nuit par deux compagnons avec deux touailles torses. On imputa sa mort au sire de Montauban, qui le gardoit. »

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

samedi 28 juillet 2018

Interlude

Jeune fille lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Bergson et le néant


« M. Pinel cite dans le Traité de la manie l'exemple d'un fanatique qui, voulant purifier les hommes par le baptême de sang, commence par égorger ses enfants, et allait faire subir le même sort à sa femme, si elle n'avait fui. Seize ans après, la veille de Noël, il égorge deux aliénés renfermés avec lui à Bicêtre, après avoir frappé le surveillant ; "et il eût, ajoute M. Pinel, égorgé tous les habitants de l'hospice si l'on n'eût arrêté les efforts de sa fureur homicide, tant il était ulcéré  par l'affirmation de Bergson disant que le néant n'est qu'un pseudo-concept sans essence ou une simple contre-possibilité de l'être affirmé". » (Jean-Étienne Esquirol, Note sur la monomanie homicide, Paris, J.-B. Baillière, 1827)

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

L'évadé (Georges Simenon)


Le tout premier grincement eut lieu le lundi 2 mai, à huit heures du matin.
À huit heures moins cinq, comme d'habitude, la cloche du lycée de garçons avait sonné et les élèves épars dans la cour pavée de briques rouges s'étaient groupés en longues files devant les classes.
Tout à gauche, du côté du château d'eau, s'alignaient les petits de septième et de sixième, rouges encore et ébouriffés d'avoir couru. À mesure que l'on avançait vers la droite, on rencontrait de plus grands garçons et les derniers, en costume d'homme, avaient des voix rauques et une ombre de moustache aux lèvres.
Les rayons du soleil étaient pointus, l'air vif. On devinait, vers les remparts, la rumeur cuivrée d'une musique militaire et les sirènes annonçaient que c'était l'heure de la marée et que les bateaux de pêche, en file indienne, quittaient le port de La Rochelle.
La minute était quasi rituelle. Devant chaque porte, une file de garçons patientait. Et les professeurs, encore groupés l'instant d'avant, se serraient la main, gagnaient la tête d'une colonne.
Chaque professeur a son tempo à lui. Certains arrivent tête baissée, marchent droit à la porte de la classe et s'effacent pour laisser entrer les élèves sans même les voir.
D'autres, qui s'avancent lentement, savourent cette prise de possession quotidienne, observent les enfants un à un, font claquer le pouce et l'index pour mettre la colonne en marche.
Peu à peu, la cour se vide. Les portes se referment les unes après les autres...
Or, ce jour-là, les élèves de quatrième B restèrent seuls dehors, frémissant déjà à l'espoir d'un imprévu. J.P.G., le professeur d'allemand qui devait leur faire la classe du matin, n'était pas arrivé.
La tenue de la colonne s'en ressentit. Le rang fut moins droit, puis plus droit du tout. Des rires succédèrent aux murmures. Le surveillant, qui, de l'autre bout de la cour, avait flairé quelque chose, se mit en marche, sa tête rousse flambant au soleil, mais il n'eut pas le temps d'arriver.
J.P.G. surgissait déjà par l'entrée des professeurs, la serviette sous le bras, l'œil plus farouche que jamais, les moustaches plus sombres. Il marchait à grands pas et il arriva cette chose inouïe qu'il dépassa la colonne, comme s'il eût oublié que, ce jour-là, c'était à la quatrième B qu'il donnait son cours. 
Il venait d'être victime de ce que Heidegger nomme la « résolution devançante », qui se caractérise comme le fait de « se projeter en silence et en s'exposant à l'angoisse sur l'être-en-faute le plus propre » !

(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)

Météore conceptuel


Au début de l'Étoile mystérieuse, Tintin, qui vient d'observer la météorite à l'aide du télescope de l'Observatoire, dit au professeur Calys : « On dirait... On dirait une grosse boule de feu..... ». Calys le lui confirme : « C'est une boule de feu !... Une énorrrme boule de feu ! »

Et l'on pense ici à la mésaventure arrivée à l'ontologue wurtembourgeois Martin Heidegger. Grâce à ce dernier, l'orage qui éclata le 12 octobre 1925, entre midi et une heure, sur la ville de Marbourg, en Allemagne, est resté dans les annales de la philosophie.

L'« ami de la sagesse » se trouvait dans une chambre, assis, le dos tourné au foyer et tout près d'un cordon de sonnette, lorsque sa méditation fut interrompue par un violent coup de tonnerre : au même moment, il vit un concept apparaître devant lui ; il était du diamètre d'un œuf de caille (25 millimètres), et entouré de fumée noire ; il éclata comme un canon, et la chambre fut remplie de fumée et d'une odeur suffocante de soufre et de minéraux en fusion. Heidegger ne fut pas atteint par la décharge, mais légèrement égratigné par un fragment de carreau de vitre. Le météore conceptuel, auquel le philosophe donnera plus tard le nom d'être-jeté (die Geworfenheit), ne fut très probablement qu'une des divisions de la décharge totale qui atteignit le bâtiment.


Le 12 mars 1926, Heidegger présentera son nouveau concept à Husserl, à l'occasion d'une réception pour les soixante-sept ans de celui-ci, et le phénoménologue en restera « comme deux ronds de frite », d'après Karl Jaspers qui assistait à la scène.

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Force de l'habitude


À chaque instant, dans la caverne du conscient, la pensée du suicide roule et gronde comme un torrent en furie, comme une pièce d'artillerie monstrueuse. À la longue, cela n'effraie plus. On devient comme l'ouvrier qui commande le marteau-pilon d'une usine, ou quelque habitant des rives du Niagara.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Interlude

      Brigitte Bardot lisant les Scènes de la vie de Heidegger de Jean-René Vif

Un passe-temps comme un autre


Je cultive la désagrégation de l'étant comme d'autres le paradoxe ou la saxifrage ombreuse.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Sandwich au jambon


Le théorème du sandwich au jambon, ou théorème de Stone-Tukey, peut s'énoncer de façon imagée en disant qu'il est possible de couper en quantités égales, d'un seul coup de couteau ou autre objet tranchant, le jambon, le fromage et le pain d'un sandwich.

Formellement, étant donné n parties Lebesgue-mesurables et de mesures finies d'un espace euclidien de dimension n, il existe au moins un hyperplan affine divisant chaque partie en deux sous-ensembles de mesure égale.

Comme l'a noté Gragerfis, ce résultat ouvre des perspectives aux maniaques de la dissection, par exemple les Chinois (dont le Chou-king décrit cinq supplices consistant à découper un condamné en morceaux), et à l'homme du nihil impatient de dilacérer son Moi pour échapper aux affres de l'haeccéité.


(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Hallucination


Le 23 décembre 1888, courroucé par une remarque désobligeante de Gauguin, Van Gogh se tranche le lobe de l'oreille gauche avec un rasoir puis va l'offrir à une prostituée. Dans la soirée du lendemain, une infirmière vient changer son pansement. Elle est assez avenante, et comme le pansement est dangereusement proche des « parties sacrées » du peintre, ses manipulations provoquent subito presto un raidissement terrible de l'organon 1 de ce dernier. Très excitée, l'infirmière lui demande alors de la « prendre comme un pécari », et il s'exécute. Le 7 février, le docteur Delon demande son internement pour « hallucinations auditives et visuelles ». L'infirmière n'avait jamais existé que dans le cerveau dérangé de l'excentrique Hollandais !

1. « Outil » ou « instrument » en grec ancien. C'est le nom scolastique utilisé pour désigner un ensemble de traités, principalement de logique, attribués à Aristote.

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)


Libre arbitre


Pas plus que l'évêque Berkeley, l'homme du nihil n'admet l'irresponsabilité absolue du monstre bipède, mais il se défie de sa perversité instinctive, de sa propension irrésistible au mensonge, et des impulsions morbides auxquelles il n'est pas toujours libre de se soustraire (par exemple, celle de proférer le vocable reginglette).

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Interlude

        Jeune femme lisant la Mathématique du néant de Włodzisław Szczur

Humilité


Il existe des villes qui portent ces noms : Oulan-Bator, Valparaiso, Yokohama. Mais de tout cela, l'homme du nihil ne connaît rien. Il ne quitte pour ainsi dire jamais La Bourboule, qu'il nomme son « matelas-tombeau ». Son Moi, qui sait toujours où le trouver, en profite pour le le bourreler incessamment. Mais n'étant rien, pourquoi l'homme du nihil devrait-il considérer ce qui lui arrive comme immensément important ? Ses tribulations ne sont qu'une minuscule secousse dans l'univers, et produisent à peu près le même effet qu'une mouche qui s'écrase contre une vitre à l'automne, c'est-à-dire rien.

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Crise de vers


Un homme s'est suicidé par arme à feu ce vendredi, vers 11 h 30, sur un banc de la rue des Meuniers, à Clermont-Ferrand. Il a, semble-t-il, discrètement actionné un pistolet de calibre 6,35 millimètres dissimulé sous sa veste. Touché au niveau de l'abdomen, le désespéré, âgé de 77 ans, n'a pu être réanimé par les pompiers et l'équipe du Smur dépêchés sur place.

Peu de temps avant, il s'était pourtant vanté d'avoir, comme le poëte Mallarmé, « victorieusement fui le suicide beau », d'après l'un de ses proches. Était-ce de l'ironie ? Se sentait-il « gonflé à bloc », pensant être parvenu à dépasser le moment spéculatif hégélien d'identification du réel avec le rationnel ? Selon  les enquêteurs, toutes les hypothèses sont permises. (La Montagne, 21 avril 2017)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

Retour aux choses mêmes


Dès 1909, Heidegger lit les Logische Untersuchungen d'Edmond Husserl, dont il attend « un secours décisif pour avancer dans l'intelligence des questions soulevées par Brentano » et qu'il relira, les années suivantes, de manière « incessante ». Fasciné par le « retour aux choses mêmes » que prône Husserl, Heidegger accorde désormais la plus grande importance aux racines, au terreau, à l'humus, au crottin de cheval, et il ne manque jamais de s'en procurer pour fumer son jardin existential. 

Au cours des expéditions en forêt qu'il fait pour se ravitailler, il trouve parfois des cadavres de mammifères (phalangers, marmoses, cayopollins) et tout lui est prétexte à étudier « l'étant », dont l'omniprésence l'obsède de plus en plus. Mais il peine encore à unifier les différentes acceptions de l'être identifiées par Aristote...

(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)