mardi 24 mai 2022

Insaisissable vérité

 

À la question de Pilate « Qu'est-ce que la vérité ? », on ne peut donner qu'une réponse arbitraire, par exemple « une brioche » ou « un héron frénétique ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

La naissance et tout ce qui s'ensuit

 

Là où il n'y avait rien, il y a soudain quelque chose. Pas grand chose : une ébauche, un simple germe. Et il va morfler, le « germe ». Car il est long à traverser, le désert de Gobi de l'existence. Et on n'y rigole pas tous les jours. Mais c'est comme tout. Oui, c'est comme tout.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Éternel malentendu

 

Qu'il est pénible d'être traité comme un individu, comme une « personne humaine », alors qu'on se sent complètement en dehors de tout ça !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Happy to be here

 

Ce qui différencie fondamentalement l'homme du nihil du monstre bipède est que ce dernier ne se demande jamais ce qu'il fait là. Son existence lui semble aller de soi, il s'ébroue dans l'être avec volupté, il est partout chez lui, le salop !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Putasserie universelle

 

Chacun s'affiche, chacun fait la promotion éhontée de son Moi, chacun essaie de placer sa marchandise, si avariée soit-elle. Le seul à n'avoir rien à vendre, c'est l'homme du nihil. Tout au contraire, il cherche le silence et l'horreur des ténèbres. Oui : comme les chats de Baudelaire !
 
(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 23 mai 2022

Blessure secrète

 

C'est à bon droit qu'on peut se déclarer raté parce qu'on n'est pas en forme de roue. — Cette blessure secrète de n'être pas rotacé.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Le malheur des petits poissons

 

Si on lui demandait d'où il tient qu'il est « malheuleux », l'homme du nihil pourrait rétorquer, comme Zhuang Zi : « Je le sais du haut du pont ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Jusqu'au-boutisme rienesque

 

L'homme du nihil exècre les faux-semblants et les singeries. Il n'a donc jamais pu se résigner à avoir ce que le monstre bipède appelle une « vie ». À la place, il s'est constitué une vie à l'image du pachynihil : parfaitement vide. Ça lui plaît assez. — Enfin... ça va. Parfois c'est un peu dur, mais dans l'ensemble ça va.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Phantasme

 

L'homme du nihil ne pense pas qu'il y ait plaisir plus complet — si l'on excepte la dissolution du Moi dans le Grand Indéfini d'Anaximandre — que d'assister à la déconfiture d'une bourrelle qui vous a trahi avec un garagiste de La Bourboule (Puy-de-Dôme). Mais il est réaliste et se rend compte que ça n'arrive presque jamais, la vie étant, comme on le sait, « une grosse tourte de m... ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Tu quoque

 

Il semble que sur le tard, et bien qu'il se proclamât le plus grand sceptique de tous les temps, Cioran ait fini par croire à l'existence du monde et à la sienne propre. Ainsi, en avril 1969, dans une lettre à Marceline Desbordes-Valmore, il confesse sa manie de « ressasser l'inconcevable fait d'exister ». Il est donc lui aussi tombé dans le panneau !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Momies égyptiennes

 

Les gens qu'on a connus jeunes et qu'on retrouve après de longues années, on aimerait qu'ils montrent un peu plus de discrétion dans la décrépitude. Ce serait presque à croire qu'ils cherchent à vous offenser, les salops. Le temps qui passe, ça va, on a compris !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

dimanche 22 mai 2022

Fluctuations

 

L'homme du nihil se contredit, il se contredit sans cesse. Un jour il dit que « rien n'est », le lendemain il prétend que « tout pue ». Est-ce une façon de montrer son mépris pour la logique et les logiciens (depuis Aristote jusqu'à Łukasiewicz en passant par George Boole) ? Ou est-il simplement « un esprit pas encore formé, un imbécile » ?

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Mauvaises fréquentations

 

Il y a des hommes qui ont le goût du malheur. On les reconnaît facilement : ce sont ceux qui fréquentent les « personnes du sexe ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Pappus

 

Quand l'homme du nihil ne peut pas dormir, tourmenté qu'il est par la question de l'haeccéité, la temporalité du temps, la mortalité de l'être mortel, il pense au pappus, ce petit faisceau de poils qui surmonte certains akènes, notamment chez les astéracées, afin de permettre une dispersion optimale des graines par le vent.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Berouette et néant intime

 

« Car je ne tends qu'à connaître mon néant », écrit Blaise Pascal dans une lettre à Gragerfis. Le même Blaise Pascal que certains considèrent comme l'inventeur de la « berouette » ! Comment un homme qui ne tend qu'à connaître son néant aurait-il pu inventer un engin aussi agressivement pratique que la « berouette » ? Non, il faut se pincer !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Lourdeur teutonique

 

Persévérer dans l'être, c'est la facilité des lourdauds, des esprits pesants. De fait, les Allemands ne commettent presque jamais l'homicide de soi-même. Une exception : Kleist.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Dignité retrouvée

 

Chesterton l'avait déjà remarqué : « Le taupicide est la seule chose qui peut sauver un homme de la dégradante servitude d'avoir un Moi. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 20 mai 2022

Vision

 

Dans la nuit de l'hiver galope un grand homme blanc. C'est l'homme du nihil poursuivi par le vocable zingibéracé !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Mantra

 

Pour conjurer le chaos et dompter « l'imbécile rébellion des choses », on n'a rien fait de mieux que le vocable reginglette. Mais pour qu'il montre son efficace, vu l'obtuse résistance du « fétide et rébarbatif réel », il faut le répéter un grand nombre de fois — en soi-même si l'on ne veut pas passer pour « bizarre ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Paralogisme

 

Non seulement on n'est pas sincère quand on soutient que manger des « choux-fleurs à la merdre » est préférable à être, mais on n'est pas logique non plus, car pour manger des « choux-fleurs à la merdre », il faut d'abord être.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Lecture consolante

 

En lisant l'Ecclésiaste, on se pénètre de l'idée que tout est périssable, et c'est là une idée infiniment apaisante pour celui que martyrise une mégère difforme au faciès d'hippopotame. Oui, en vérité, telle est la leçon de l'Ecclésiaste : les mégères aussi sont périssables, et leur ressemblance éventuelle avec un hippopotame ne saurait les préserver de l'annihilation.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Conversations phatiques

 

Les gens ouvrent leur « boîte à fromage » — leur bouche, comme cela s'appelle — mais rien d'intéressant n'en sort. Ils se parlent, mais ils ne se disent rien. Et que pourraient-ils se dire ? La seule chose intelligente qu'on puisse dire à quelqu'un, c'est : « Frère, il faut mourir ». Mais personne ne le dit car c'est un coup à se faire mal voir.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Jambon

 

Les théologiens affirment que la tristesse est un péché contre l'espoir. Mais ça n'a jamais dissuadé personne d'être triste, à commencer par l'homme du nihil qui considère que de toute façon l'espoir est un salop qui ne tient jamais ses promesses et vous prend pour un « jambon ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 19 mai 2022

Maudits gêneurs

 

Le non-être est un état parfait. Et l'on comprend que celui qui en jouit n'en sorte que contraint et forcé, en maudissant ses géniteurs, la sage-femme et le philosophe Michel Serres (ce dernier uniquement par acquit de conscience et pour faire bonne mesure).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Un « mec balaise »

 

Être est à la portée de tout le monde. Ne pas être est déjà plus difficile. Mais passer sans cesse de l'un à l'autre comme fait l'homme du nihil, voilà le véritable « grand art ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Aux grands maux

 

Si l'on excepte le subterfuge quelque peu ridicule de la « moumoute » ainsi que les fastidieux « implants capillaires », il n'y a contre l'alopécie qu'un moyen de défense connu : l'homicide de soi-même.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Routine

 

On se lasse de tout, même de médire du réel — surtout quand on constate que ça ne lui fait ni chaud ni froid. Mais on continue quand même, « parce qu'il le vaut bien » — et que ça soulage un tant soit peu.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Hindouisme impossible

 

Malgré son bon vouloir et son désir de libérer son âme, par le moksha, du cycle des renaissances, il fut impossible à l'homme du nihil d'adhérer à une doctrine comportant des divinités au nom aussi absurdement grotesque que Prajapati.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Degré zéro de la sociabilité

 

Chaque fois qu'il exprime en public son sentiment de l'existence, l'homme du nihil passe pour un monstre ou un « azimuté » et fait le vide autour de lui. Mais il s'en moque, et même, selon ses propres termes, il s'en « tamponne le coquillard ». Si ces affreux en valaient la peine, il pourrait leur dire, citant Fu Shan : « Plutôt que d'être habile, gracieux, léger et convenu, je préfère être gauche, déplaisant, décousu, mais vrai. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)