mardi 30 août 2022

Polka du terme

 

Le nihilique l'avoue sans honte : comme Émile Cioran, il s'est trémoussé (dans cet univers aberrant). Il s'est même tellement trémoussé que sa vie pourrait être comparée à une gavotte. Circonstance atténuante : c'était une « gavotte de l'anéantissement ».

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Pour puer de la gueule

 

On dit souvent que les gens « puent de la gueule ». C'est une exagération. Ils ne puent pas de la gueule parce qu'ils ne sont pas. Pour puer de la gueule, il faut être. — Ou bien ?

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Régénération

 

Il y a des gens, souvent des affidés du Grand Tout, qui boivent du « vin nu » pour se rapicoler ; et d'autres, comme le nihilique, qui se ressourcent dans le Rien, qui se vivifient dans l'inerte.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Non

 

La vie, on ne pourra pas dire qu'on l'a chevauchée comme un caprin, oh non !

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Truculent quadrige

 

Comme on sait, le quadrige est un char antique monté sur deux roues, attelé de quatre chevaux disposés de front. En général, le quadrige est terne et peu divertissant. Cependant, bien que le cas soit rare, il arrive qu'il se montre cocasse, haut en couleur, pittoresque et original, qu'il étonne et réjouisse par ses excès. On parle alors d'un « truculent quadrige ». Un tel équipage se prête idéalement à la vocifération et — si l'on est d'humeur idoine — au fou rire.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Pompe funèbre

 

Tout l'œuvre de Cioran est d'un cadavre, certes, mais d'un cadavre grandiloque !

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

lundi 29 août 2022

Gourdin non phrastique

 

La soif d'absolu qui tient l'homme est si intense que, pour l'éteindre, on est obligé d'assommer le zigoto à coup de gourdin. Et pas un gourdin phrastique, non, un vrai, un bon gros bâton solide. On choisira de préférence le cornouiller sanguin, un bois dense, noueux, très résistant, utilisé pour confectionner les manches de pioche ; ou à défaut le châtaignier, un bois robuste, souple, léger, qui absorbe très bien les chocs.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Moment métaphysique

 

On regarde un cadavre de mouche sur le sol et tout à coup on est frappé par le fait que la vie est finie quand la mort, elle, est infinie. — On vient de passer par un « moment métaphysique ».

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Schisme cotonneux

 

Le suicidé philosophique, en accomplissant son geste fatal, entend faire sécession d'avec le reste de l'humanité — « ces poux, ces cloportes, ces sarcophages anthropomorphes ». Hélas ! Son acte lui-même est « humain, trop humain », ce qui donne à sa dissidence une consistance spongieuse : c'est un schisme cotonneux.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Le sens du parfait en latin

 

Empoigner le vocable, un marteau, et s'en servir pour fracasser les tenants de la thèse aspectuelle, ces empaillés qui accordent une importance prééminente aux données de la morphologie. Défendre au contraire la thèse temporelle et donner la primauté aux faits d'emploi, à l'usage qui est fait des formes dans le discours, aux valeurs qui leur sont attachées dans les divers énoncés.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

dimanche 28 août 2022

Valeur de l'idée

 

Une idée a beau être brillante et gratinée, elle ne vaut pas grand chose si elle n'est pas en sus, comme celle du Rien, farcie d'une avoine transmutatrice.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Vos gueules, les pesses !

 

À celui que l'existence accable, les roucoulades nocturnes du rossignol comme celles diurnes du moineau font l'effet d'un bel canto esquilleux. « Tu es une nullité ! », semblent lui dire ces importuns volucres. — « Eh bien oui, j'en suis une, et alors ? »

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

L'appel du Dévonien

 

Nostalgie de ce monde antérieur à l'ineffable homme des cavernes, où ne pullulaient que les arthropodes et les amphibiens, dans d'immenses forêts de lycophytes, de sphénophytes, de progymnospermes et d'aimables ptéridospermales.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Coups de fourchette

 

Selon Basile Munteanu, le « négateur universel » Émile Cioran portait sans cesse des coups de fourchette à la gorge de l'être, au point que c'en était gênant pour les autres convives et qu'il se faisait rabrouer par Simone Boué (qui, possédant une maison à Dieppe, n'avait quant à elle rien contre l'être, bien au contraire).

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

samedi 27 août 2022

Rubéfaction du vulgaire

 

Le vulgaire est si chichiteux, il s'offense si facilement que l'on peut, par la simple mention du terme pachynihil, rubéfier son éternelle face de rat (ou de porc).

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Fenouil phrastique

 

Le vocable agit sur l'âme comme un vigoureux vilebrequin — cela est connu et n'a pas besoin d'être documenté —, mais aussi comme un emplâtre. Il apaise les angoisses périphériques et atténue la crépitation du temps. Un peu de poésie giclante, un peu de fenouil phrastique, et l'homme oublie pour un instant sa triste condition de « perdant de la mondialisation ». Un instant, il se croit vibratile... mais il est mortel, le scélérat ! Et tous les vocables du monde n'y changeront rien.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Spiritualisme effréné

 

La peine capitale pour l'ignoble matière ! Qu'une balle en pulvérise l'affreuse cervelle !

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Orogenèse

 

Le temps passe, la vie s'écoule. On effectue des recherches minéralogiques et cristallographiques. On se consacre à des études pétrographiques sur les roches massives, les roches éruptives et les terrains cristallophylliens. On s'occupe de géologie régionale dans les Alpes, les Pyrénées, la Corse et l'Afrique du Nord. On réunit diverses observations tectoniques sur ces régions montagneuses, et on en déduit des conclusions générales intéressant l'orogenèse, c'est-à-dire l'étude des dislocations de l'écorce terrestre. Mais pour passionnante qu'elle soit, l'orogenèse échoue à détourner l'esprit de ce point fixe : le suicide, et arrive un moment où il faut passer à l'action. Adieu orogenèse ! Adieu Bourboule aimée, dont la tête hardie défie les hauteurs des cieux ! Adieu philosophie marcellienne !

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

vendredi 26 août 2022

Amphibologie

 

L'idée du Rien, dans sa pureté originelle, est amphibologique. Peut-être pas autant que le fameux « Que vêt parmi l'exil inutile le Cygne » de Mallarmé, mais tout de même, elle est entachée d'une certaine ambiguïté et ce n'est que dans l'homicide de soi-même qu'elle acquiert la netteté de l'œuvre d'art.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Mollusques marins

 

Il n'y a pas que l'huître, il y a aussi le pétoncle, pour incarner une opiniâtre idée du bon goût (c'est-à-dire pour refléter le Rien). En fait, tous les mollusques marins bivalves ont quelque chose de nihilique — à l'exception peut-être de la moule, trop solidement ancrée dans la réalité empirique par son faisceau de filaments appelé byssus.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Omphalos

 

Quand votre vie a été dévastée de fond en comble par une bourrelle, que vous vous sentez abandonné de Dieu et des hommes, et que vous souffrez de surcroît d'un cruel panaris, vous n'avez plus le choix qu'entre contempler la bouche d'un revolver et pleurer devant un sanctuaire presque incongru en forme d'omphalos.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Quintessence du jet

 

Cracher sur le monde est à la portée du premier venu. Mais pour avoir quelque efficacité, le crachat doit être une véritable quintessence du jet. Et seul le nihilique est maître dans cet art.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

jeudi 25 août 2022

To each his own

 

Quand on est médecin, on ne croit qu'aux glandes à sécrétion interne. Quand on est nihilique, on ne croit qu'au Rien. C'est ainsi.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Empyreume

 

La métempsychose et la résurrection seraient des mythes consolants si la vie avait un goût de revenez-y. Mais au contraire, elle a un goût atroce d'empyreume (causé par une certaine quantité de lie qui s'est attachée aux parois intérieures de l'alambic, et qui a été en partie décomposée par le calorique).

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Croyances

 

Le monstre bipède croit à la causalité, à la gravitation, à l'évolution, aux atomes, au libre arbitre, à l'année de naissance de Blek le Roc (1954), au progrès, à la Révolution française, mais il ne croit pas au pachynihil. Pourquoi ? Tout simplement parce que, contrairement au nihilique, il n'est pas habité par un sentiment catastrophique de la vie.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

« Le » mot

 

On aimerait s'épancher au seuil d'un seul vocable, dont tout le reste découlerait. Mais comment le trouver, ce vocable ? Une chose est sûre, il ne s'agit ni de reginglette, ni de lagéniforme, ni de zingibéracé, mots thaumaturgiques mais à partir desquels il paraît impossible d'opérer une déduction logique et systématique du réel. Alors ? Alors il faut chercher, encore et toujours... Et si nécessaire, on essaiera aussi les paires de mots (xéranthème xénotropique, etc.).

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

mercredi 24 août 2022

Purée mentale

 

Les expériences faites par la commission ont montré que la brosse de chiendent employée seule ne suffit pas toujours pour nettoyer la purée mentale qui glisse sur nos os. Quand cette purée est trop collante, trop gluante, il faut recourir à l'expédient suprême : l'homicide de soi-même.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Littérature

 

Sous les cirrus du texte, une citadelle inexpugnable : le rotond caillou.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

No place to feast

 

On voudrait mordre les fruits mûrs de l'existence, mais le « prisme » — ainsi que le béhavioriste Burrhus Frederic Skinner appelle la réalité empirique — n'est pas un endroit où festoyer (il est trop fétide). Il n'y a donc pas le choix, il faut festoyer hors du prisme. Seulement voilà : la perspective de festoyer dans le pachynihil engendre une angoisse sourde, antagoniste à l'idée même de festoiement. On ne festoiera donc nulle part, mais ce n'est pas très grave car des études récentes ont montré que les fruits mûrs de l'existence étaient vénéneux — alors...

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)