dimanche 14 octobre 2018

Interlude

Jeunes filles lisant l'Océanographie du Rien de Raymond Doppelchor

Platonisme


Le platonisme est une théorie philosophique selon laquelle il existe des entités intelligibles en soi (crottin de Chavignol, gruère, picodon fermier, etc.), dont le contenu est indépendant de la contingence de l'expérience sensible. Cette théorie est une des réponses possibles, avec le nominalisme et le conceptualisme auxquels elle s'oppose, à la question du statut ontologique des spécialités fromagères.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Heautontimoroumenos


On ne pense jamais que contre soi-même. Cela est-il vrai ?

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Temporalité


En commettant l'homicide de soi-même, le suicidé philosophique évite l'erreur fondamentale de la pensée traditionnelle concernant la temporalité, qui est de traiter le temps conformément au modèle ontique. À cette approche objectivante et nivelante de la temporalité, il substitue une approche que l'on pourrait qualifier d'analogique, d'apophatique, ou encore de poliorcétique — quoiqu'elle n'implique pas nécessairement l'usage de lourdes machines de siège.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Devise du nihilique


« Tout ne puis, quelque chose ne daigne, rien suis » : telle est l'orgueilleuse devise, adaptée de celle des Rohan, de l'homme du nihil.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

Jeune femme lisant les Pensées rancies et cramoisies de J. Zimmerschmühl

Satisfaction (not) guaranteed


Le sens de l'existence n'est pas garanti par un warrant.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Acte découvrant


Il est plus important, si l'on veut commettre l'homicide de soi-même, de se procurer un revolver ou du poison, que de souscrire aux thèses particulières de la phénoménologie sur la hiérarchie des réductions ou la constitution des noèses transcendantales. C'est, semble-t-il, ce que confesse à demi-mot Heidegger quand il insiste sur l'acte découvrant qui incombe au Dasein, lequel a pour vocation de découvrir les choses — taupicide, corde de violoncelle, revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe — dans leur vérité.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Hypothèse


Peut-être, avant Plotin, l'homicide de soi-même est-il la seule doctrine qui, au contact de l'indianisme, ait entrevu la libération du sujet comme un anéantissement de l'esprit dans l'indéterminé.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Diététique du Père Ubu


Plutôt manger des choux-fleurs à la merdre que « concevoir une pensée ».

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Interlude

Jeune fille lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Des moyens


« Dans le suicide aigu, tous les moyens, tous les genres de mort sont égaux ; les malades saisissent avec une ruse souvent infernale toutes les circonstances favorables à leur suicide : une fenêtre, un escalier, un couteau, des ciseaux, la strangulation, la rivière, un flacon de taupicide, n'importe, pourvu qu'ils mettent fin à leur vie. Il n'en est pas de même dans le suicide chronique : les malades adoptent le genre de mort qu'ils doivent se donner, et s'y arrêtent après de mûres réflexions ; ils n'en veulent pas d'autres ; et encore s'ils sont décidés à se noyer, par exemple, c'est arrangés de telle façon, et dans tel endroit de la rivière, à tel moment du jour ou de la nuit, que s'exécutera leur dessein : le moindre dérangement à leur plan bien arrêté, suffit pour le faire différer, ou même pour en empêcher tout à fait l'exécution. » (Scipion Pinel, Traité de pathologie cérébrale ou des maladies du cerveau, Rouvier, Paris, 1844)

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Laboratoire d'idées


Dans l'homicide de soi-même, le suicidé philosophique se livre sans complaisance à l'analyse de ses faiblesses. Mais cet acte est aussi un extraordinaire laboratoire d'idées et de réflexions esthétiques !

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Décomposition


Non plus que Spinoza, je ne ris ni ne pleure. Je me décompose.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Haro sur l'haeccéité


Le suicidé philosophique, en détruisant son Moi, entend mettre à nu la plaie la plus hideuse de l'étant existant, la principale cause de tous les maux qui l'affligent et le déshonorent, et le conduit rapidement aux abîmes où se sont engloutis avant lui tous les philosophes, tous les mystiques et tous les poulpes de la mer Égée : l'haeccéité.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

samedi 13 octobre 2018

Interlude

Jeune femme lisant le Monocle du colonel Sponsz de Hermann von Trobben

Synthèse quintuple


Schleiermacher prétend que chez Fichte, l'usage immodéré de la « synthèse quintuple » 1 avait entraîné une folie érotique dont les accès s'allumaient à la vue d'une sœur hospitalière, d'une fille de basse-cour, et même d'une image grossière de femme. Il affirme que Fichte mourut en se livrant sans frein, comme un insensé qui se déchire, à la manie solitaire la plus salace. « Voilà ou mène l'idéalisme transcendantal chez des individus n'ayant rien à perdre au monde, ni sous le rapport de la fortune ni sous celui de la réputation, bien moins encore de la pudeur », note Gragerfis dans son Journal d'un cénobite mondain.

1. Rappelons que la synthèse quintuple fichtéenne vise à unifier en les égalisant les points de vue de l'être substantiel et du soi fini.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Dján kacháï


En Inde, à Kebberpour-Na-Djhil, on voit un immense canon qui a 213 pouces de long, 66 de circonférence à la culasse et 18 à la bouche. Cinq anneaux (il y en avait originairement six) placés à des distances égales servaient autrefois à le mouvoir. Chacun a 24 pouces de diamètre, sur huit d'épaisseur. Les gens du pays, comptant sans doute sur un afflux de suicidés philosophiques pour « faire marcher le commerce », appellent ce canon dján kacháï ou le destructeur de la vie.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Clairvoyance


Avec la bonne foi docile de celui qui veut trouver, l'homme du nihil reconnaît la vraie clarté là où des esprits casaniers ou rétifs ont peine à voir autre chose que bizarrerie : dans l'idée même, et suave, du Rien.

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Volonté de puissance


L'homme, qui n'est d'abord qu'un germe informe, emploie toutes ses forces à créer et à perfectionner les instruments de cette puissance qui — croit-il — est appelée à dominer la parcelle de réalité empirique où il trémousse son Moi. Mais le moment de son apogée touche de près celui de sa décadence ; l'inanité de l'existence l'empoigne à la gorge, l'idéalisme allemand lui ôte toute espérance, et bientôt, une cuillerée de taupicide restitue sa dépouille à l'empire des lois de la nature inanimée.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

Jeune fille lisant l'Apothéose du décervellement de Francis Muflier

Moustérien stérile


La nature corrosive de l'idée du Rien a été confirmée par de nombreuses autopsies de suicidés philosophiques, dont la pachyméninge évoquait, selon les médecins légistes qui les ont pratiquées, un « niveau moustérien stérile » ne laissant apparaître que quelques restes de capra, de cervidés et de tortues, mais aucun vestige de « vouloir vivre ».

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Décadence


Le monde avait, sous les Romains, l'apparence d'un pittoresque port de mer, et l'on y trouvait alors d'excellentes huîtres vertes. Aujourd'hui, il est devenu un marais pestilentiel, rempli de joncs très élevés, de ronces, d'immondices, et d'anthropopithèques en survêtement. — Ô civilisation de l'infâme, du crétin triomphateur !

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Devoirs de l'homme du nihil


« L'homme du nihil, s'il veut être calme, il faut qu'il s'attache pleinement au Rien, qu'il y trouve toute sa suavité, toutes ses délectations et toutes ses joies. Si les divers fantômes de l'imagination, qui agite et qui amuse si souvent l'esprit, troublent sa sérénité ; si les occupations extérieures le divertissent quelque temps de la présence du Rien, il faut qu'il s'y remette avec ferveur et vitesse ; il faut qu'il rentre dans la lumière de la vérité qu'il sent au-dessus de son imagination, et qu'il élève aussitôt ses yeux vers l'astre noir du nihil, qui est la source de cette lumière et qui est son phare dans le ténébreux désert de Gobi de l'existence. » (Noël Courbon, Entretiens spirituels sur les principaux devoirs des personnes consacrées au Rien, Collombat, Paris, 1712)

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Manifeste


Rompant avec le logicisme et l'associationnisme de son temps, le suicidé philosophique refuse de voir dans l'homicide de soi-même un déchet de la rationalité, non plus qu'un « embryon » ou une survivance. Il y voit au contraire une ouverture sur l'infini infundibuliforme, et une restauration de la grandeur de son destin.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

Jeune fille lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Un légume coriace


En mâchant les tubercules du renoncement.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Un puissant corroborant


Telle est la puissance de l'idée du Rien que le mot « nihil » prononcé sans conviction par des lèvres tremblantes peut armer l'âme contre le vertige du doute et l'angoisse de l'haeccéité.

(Johanne Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Œuf


Ce n'est que peu à peu et insensiblement que l'idée du Rien étend son empire sur le « conscient intérieur ». Au début, elle ressemble à un œuf nouvellement pondu. Son enveloppe molle, muqueuse et transparente contient une substance verdâtre, granuleuse, qu'on peut justement comparer à celle qui forme le cicatricule et le germe de tous les œufs, mais plus particulièrement de ceux du homard. Peu à peu, le germe se développe, l'idée du Rien envahit tout le champ de la conscience, et l'on reste seul sur son cheval-vélo à parcourir la route cahoteuse de l'existence, précédé d'un énorme camion bâché de bleu portant l'inscription Bulgaria. La fin est proche.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)