dimanche 5 juin 2022

Changement de braquet

 

Comme il en a assez d'être pris pour un « pauvre bougre » inoffensif, l'homme du nihil a décidé de se montrer plus contondant. Aux doubles-vécés, la reginglette ! Fini le zingibéracé ! Place à l'hystricognathe et au xéranthème xénothropique ! Et « sus à la chose sue, chausse-trape qui susurre au sot l'idée contrefaite du sublime » !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Naufragé !

 

La liste des objets que Robinson réussit à sauver du naufrage de son navire donne une idée du dénuement — métaphysique ! — de l'homme du nihil : deux fusils, une hache, trois sabres, une scie, trois fromages de Hollande, cinq pièces de viande de chèvre séchée... Nul volume de Heidegger ou de Gabriel Marcel !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Vaine agitation du Dasein

 

La prière orthodoxe qu'on récite aux enterrements est véridique : c'est en vain que s'agite l'étant existant. N'ayant pas lu Heidegger, elle ne dit pas exactement « l'étant existant », mais l'idée est là.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 4 juin 2022

Navet

 

L'influence du « romancier de l'absurde » Albert Camus, considérable en Occident dans les années cinquante, se répandit ensuite jusqu'en Chine comme en témoigne l'anecdote suivante. Un jeune disciple demande à un vieux moine camusien : « Qu'est-ce que la réalité empirique ? » Et le maître de répondre : « La réalité empirique est un navet de deux livres acheté au marché de Chaozhou. » La leçon à retenir est celle-ci : le monde est absurde, mais si vous ne vous accrochez pas à la réalité empirique, il vous en cuira.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Ironie du sort

 

Si quelque chose peut donner le sentiment du devoir accompli, c'est bien l'homicide de soi-même. Mais le « devoirant » ne peut en jouir pleinement vu qu'il est, comme on dit, « décédé ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Yaourt bulgare

 

Dans tout ce qui est lié de près ou de loin à l'homicide de soi-même, il y a quelque chose d'enveloppant et d'onctueux, quelque chose qui rappelle un peu le yaourt bulgare.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Conjecture

 

Si l'on pouvait vivre uniquement dans sa tête, sans aucun contact avec l'autrui du philosophe Levinas, la notion de normalité disparaîtrait et l'on n'aurait plus de raison de se faire du mouron — peut-être ?

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Un voyage éprouvant

 

Entrer mentalement dans une pomme, comme l'a fait en son temps Michaux, cela est admirable et riche d'enseignements — notamment en matière de morale — mais c'est une souffrance.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Trop c'est trop

 

Le jour où il lut dans une revue qu'il y avait trois cents sextillions d'étoiles dans l'univers, l'homme du nihil fut d'abord courroucé, puis il se mit au lit en signe d'abdication et de deuil.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Omission impardonnable

 

Écrire sur la catastrophe de la naissance sans citer Calderón et sans avoir lu La vie est un songe où il est question du « délit d'être né », cela, oui, cela est en effet une omission impardonnable.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 3 juin 2022

Homme invisible

 

À force de chercher l'obscurité, l'homme du nihil est devenu indiscernable, même aux yeux les mieux exercés. Ou alors, quand on le remarque, on le prend pour quelqu'un d'autre (par exemple pour Françoise Verny — c'est arrivé plus d'une fois).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Faute de mieux

 

L'homme du nihil a longtemps cherché sa place dans l'univers. N'ayant pu se faire agréer comme caillou, il s'efforça de devenir ce qui en était selon lui le plus proche : une « bouse de vaque » desséchée.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Un accident bête

 

Le 8 mai 1971, le « négateur universel » Émile Cioran coinçait son pouce dans une portière de voiture (involontairement, faut-il croire, car on ne se suicide pas de cette façon). Le 11 mai, il ne pouvait toujours pas écrire.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Vaudeville

 

À quoi bon « aller au spectacle » quand on a constamment sous les yeux celui de sa propre déchéance ? Cette pièce tragicomique est autrement plus prenante qu'un vaudeville avec Jacques Balutin (en réalité, c'est un vaudeville, mais sans Jacques Balutin — sauf si l'on est soi-même Jacques Balutin).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Étoupillant

 

Est dit étoupillant tout ce qui étoupille, autrement dit tout ce qui sert à garnir d'une petite mèche les pièces d'artillerie pour que le feu s'y communique. « Pour oublier l'odiosité de l'être, je décidai de boire quelques bouteilles étoupillantes de vin blanc. » (Jean Céré)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Accès de traczir

 

Bien que la « nécessité » chère aux idéalistes allemands nous y oblige, il est humainement impossible d'admettre que le merveilleux Émile Cioran, à la grandiloquence carpatique si attachante, a disparu corps et âme, qu'il est désormais « feu », qu'il s'est dispersé dans le Rien comme une vaine fumée. Et ce n'est, si l'on peut dire, « que » Cioran. Mais soi-même ! Soi-même ! S'imaginer mort (ou si l'on préfère « décédé ») ! Une vaine fumée ! — Oh, bon Dieu de bonsoir !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 2 juin 2022

Être « comme tout le monde »

 

Vivre comme un cloporte, ça peut toujours se faire (il suffit de faire « jore » qu'on possède un exosquelette rigide et segmenté, et de se blottir sous des pierres ou dans des endroits sombres). Mais réussir à faire semblant de trouver ça coquet, alors là, c'est une autre paire de manches.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Heimat

 

L'homme du nihil peut dire de Bezons ce qu'Akhmatova a dit de Leningrad : « Mon ombre reste sur tes murs. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Une bien bonne

 

« Nous, les vivants. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Le grand bluff du nihil

 

Il n'y a rien de tel que le Rien pour donner une apparence de profondeur à des ratiocinations puériles.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Inimaginable encore

 

Anachronisme mis à part, on n'imagine pas Raskolnikov, en route pour commettre son forfait, s'arrêter pour feuilleter la Phénoménologie de la perception de Maurice Merleau-Ponty. Et on ne se le représente pas non plus chercher l'inspiration dans La Méthode d'Edgar Morin (ce continuateur de Merleau-Ponty et de Foucault, en particulier pour ce qui concerne le rapport entre le pensé et l'impensé).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Paysages

 

Plutôt le néant horizontal de la Beauce gréseuse que ce promontoire guindé, l'existence.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Du courroux

 

Le courroux est un indice de vitalité. Quelqu'un qui n'est pas courroucé, c'est mauvais signe. C'est signe qu'il est comme qui dirait « décédé » — ce qui, à la réflexion, est peut-être préférable pour tout le monde.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 1 juin 2022

Danse macabre

 

Si telle personne vous intimide, souvenez-vous que sous son enveloppe de vêtements et de chair, elle n'est qu'un squelette. Oui, tous autant qu'ils sont, ces gens ne sont que des squelettes, autrement dit des assemblages d'os, et leurs faits et gestes sont des faits et gestes de squelette, de même que leurs paroles sont des paroles de squelette. En un sens, vous aussi, mais ce n'est pas la même chose — car eux l'ignorent tandis que vous, vous en avez toujours eu le sombre pressentiment.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Rapicolant

 

Est dit rapicolant ce qui revigore, redonne de la force physique, de la bonne humeur. « Après avoir envisagé de me retirer à la campagne et d'y vivre en hermite au milieu des bocages et des fleurs, je conçus l'idée, plus rapicolante encore, de me jeter dans un puits busé. » (Jean Céré)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

« Un monstre, une chimère, quelque chose d'incompréhensible »

 

L'homme est un être hybride composé pour moitié de vocables (gigot, luzerne, mésotron, capsule ontologique, etc), et pour l'autre moitié de conglomérats de cellules plus ou moins dégoûtants (le pancréas, la vésicule biliaire, l'appareil de Golgi, etc).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Supériorité du décédé

 

À première vue, un vivant est capable d'accomplir plus de choses qu'un mort. Il peut se gratter le prose, et il peut même commettre l'homicide de soi-même. Mais pour ce qui est de participer à l'Un plotinien, le mort est incomparablement mieux placé.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Un flop du Grandiloque

 

Le dimanche 17 janvier 1971, comme il se promenait du côté de Mortefontaine, le « négateur universel » Émile Cioran passa près d'une scierie et l'odeur du bois coupé lui plut infiniment. Il dit à Simone Boué qui l'accompagnait : « Dis donc, Momone. Si le cercueil sent aussi bon, on ne doit pas y être si mal. » Mais Simone rétorqua : « Tu déconnes, Mimile. Avec la mort, on perd l'odorat. » Le « négateur universel » dut admettre que son astuce ne valait rien mais décida néanmoins de la consigner le soir même dans le cahier où il notait toutes ses « pensées ». — That's all, pretty much !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Théorie du « jore »

 

Pour passer inaperçu et ne pas se faire enfermer chez les fous, il ne faut donner aucun signe qu'on trouve le « réel » bizarre. Il faut faire « jore » que tout nous paraît normal. Pourtant, et cela crève les yeux, tout, absolument tout dans le « réel » est bizarre, extrêmement bizarre — et même inquiétant.

(Fernand Delaunay, Glomérules)