dimanche 12 décembre 2021

Un amer constat

 

Contrairement à la terre, la femme ment. Elle ment sans cesse, elle ment comme elle respire, avec autant d'impudence qu'un « médecin de plateau ». Cela inspire à l'étant existant des sentiments mélancoliques et même de l'horreur.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Épuisement

 

On passe sa vie à faire semblant, à faire comme si l'on trouvait un sens, même minime, à ce que l'on fait ; un intérêt, même infinitésimal, aux gens que l'on fréquente. Mais arrive un moment où faire semblant devient trop exténuant. On est mûr. Pour quoi ? Dites-le moi.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 11 décembre 2021

Façons de partir

 

La plupart des gens, quand sonne l'heure fatidique, ne se résignent à « décéder » qu'en enrageant, en grinçant des dents et en gémissant — « frendens gemensque », tel Hannibal obligé de quitter l'Italie. Le nihilique, au contraire, ne se tient pas de joie, impatient qu'il est de rejoindre le Grand Indéfini d'Anaximandre ou — s'il est de tendance néoplatonicienne — de réintégrer l'Un plotinien. — Et son exultation est aussi un pied de nez à tous les « vaccinés de l'existence ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 10 décembre 2021

Auto-dénigrement

 

L'homme du nihil ne hait rien tant que la comédie, l'escroquerie et le bluff, ces ingrédients essentiels du grand vaudeville de l'existence. Cette haine des faux-semblants, couplée à son besoin compulsif de déplaire, l'incite à se montrer toujours sous son plus mauvais jour, au risque d'effaroucher le pusillanime « monstre bipède ». Résultat : ce dernier n'est que trop enclin à le prendre au mot quand il se proclame un « jusqu'au-boutiste de l'infamie » — voulant simplement dire par là qu'il « persévère dans l'être ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 9 décembre 2021

Une infernale troïka

 

L'être humain est la proie de trois maladies chroniques et inguérissables : le besoin de nourriture, le besoin de sommeil et — des trois le plus facile à satisfaire pour peu qu'on ait accès à une droguerie ou à une jardinerie — le besoin de se détruire en ingérant du taupicide.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 8 décembre 2021

Tromperie patronymique

 

À une époque de sa pondéreuse existence, l'homme du nihil fit la connaissance d'un nommé Portejoie. Mais quelque chose dut aller de travers — il dut y avoir un « binz » — car cette rencontre n'y fit rien et il resta morose comme devant.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 7 décembre 2021

Descartes inutile et incertain

 

La raison — pure ou impure, n'importe — n'est d'aucune utilité à l'homme qui sent que la terre se dérobe sous ses pieds et qu'il tombe dans un gouffre sans fond. Seul peut le sauver, s'il a la foi suffisante, le vocable reginglette — mais ce procédé d'inspiration kierkegaardienne est « sans garantie du gouvernement ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 6 décembre 2021

Traumdeutung

 

« Cette nuit, j'ai rêvé que je précipitais la chroniqueuse Laurence Sailliet dans le Bosphore, enfermée dans un sac de cuir plein de vipères. Qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ? »
 
(Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain)

Haine du Moi

 

 
Un jour qu'il était « gonflé à bloc », le philosophe Blaise Pascal aurait affirmé que « le Moi est haïssable ». Dans ses Pensées, il dit aussi que « la vraie et unique vertu est de se haïr » et il appelle le Moi « un monstre gélatineux ». Comment expliquer cette haine du Moi ? Dans son Journal, Gragerfis évoque un « problème de cohabitation avec une belle-mère envahissante » — mais il ne nous apprend rien de plus.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

dimanche 5 décembre 2021

Incognoscible

 

La réalité du monde est presque aussi inconcevable que la méchanceté de certaine « mégère difforme au faciès d'hippopotame ». Tout cela — et le reste ! — dépasse l'entendement de l'homme du nihil. Alors faute de mieux, il suit l'exemple de Tertullien : il y croit « parce que c'est absurde ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 4 décembre 2021

Vains trémoussements

 

Le monstre bipède se démène tel un forcené : il voyage, il a des aventures sentimentales, il fréquente des restaurants gastronomiques, il fait de la plongée sous-marine, et cetera dans le seul et unique but de se créer des souvenirs agréables et se donner à soi-même l'illusion qu'il n'a pas vécu en vain. Mais il a beau s'agiter, sa vie se résume tout de même à un monumental zéro comme celle de l'homme du nihil, certes, mais celui-ci du moins ne s'est pas donné le ridicule de sauter en parachute ou de se jeter d'un pont attaché à un élastique, et c'est avec une grande économie de moyens qu'il est parti de pas grand chose pour n'arriver à rien.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 3 décembre 2021

Épigramme

 

« Demain, dis-tu sans cesse, homme du nihil, demain tu vivras. Dis-moi, ce demain, homme du nihil, quand vient-il ? Ce demain est déjà aussi vieux que Priam et Nestor. Tu vivras demain ? Vivre aujourd'hui, homme du nihil, c'est déjà vivre trop tard.
— Oh, bon Dieu, ne me fais pas chier ! Je fais ce que je veux, merde ! »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 2 décembre 2021

Le talent d'être bref

 

Par l'homicide de soi-même, accorder sa vie à l'idéal de concision d'un Tacite ou d'un La Bruyère.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 1 décembre 2021

Morsure quotidienne

 

Rivarol dit avec justesse que le temps efface le souvenir des malheurs, jamais celui des fautes. Cet axiome se vérifie de façon éclatante dans le cas de la faute suprême : celle d'exister. Le remords d'« être au monde » ne nous poigne-t-il pas chaque jour plus cruel, à mesure que la vie passe ?

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 30 novembre 2021

Traumdeutung

 

« Cette nuit, j'ai rêvé que je précipitais le professeur Bruno Mégarbane dans une fosse remplie de matière fécale et de déchets organiques en décomposition. Qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire ? »
 
(Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain)

lundi 29 novembre 2021

Du balai, la raison pure !

 

Armé d'une tapette flexible à manche de hêtre et de sa conviction irréfragable que « rien n'est », l'homme du nihil s'efforce de mettre en déroute les « mouches molles du savoir » et les « lézards cubiques de la raison pure » (Jutique) qui sans arrêt le tarabustent et lui mordent le fondement (de l'historialité du Dasein).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

dimanche 28 novembre 2021

Banalité et facétiosité du Rien

 

Tant est banal le Rien qu'on le rencontre cent fois par jour sans y prêter attention. On le confond le plus souvent avec son cousin le quelque chose dont il emprunte les traits pour se divertir aux dépens du crédule « monstre bipède ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 27 novembre 2021

Non

 

L'homme du nihil est, selon Gragerfis, « l'homme qui dit non » : non à la réalité empirique, non au vouloir-vivre, non au destin, non au dadaïsme, non à Duvalier et au macoutisme, non à la vie et à l'instinct, non au Moi, non aux hygiénistes qui voudraient le vacciner contre l'inéluctable au risque de le transformer en cheval, en crocodile ou en femme à barbe. Et cependant qu'il dit non, il dit aussi l'alternative cruelle, à chaque instant, de la vie et de la mort, rejoignant curieusement le Baudelaire d'Un mangeur d'opium.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 26 novembre 2021

Dangers de l'aperception leibnizienne

 

« À leur arrivée dans la pachyméninge, les images de la réalité empirique subissent une filtration glomérulaire, après quoi elles entrent dans les tubules du conscient intérieur... et c'est le drame. » (Achille Bourdoulous, Intoxication par la réalité empirique : persistance d'une maladie oubliée, Thèse pour le diplôme d'État de docteur en médecine, Limoges, 1925)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 25 novembre 2021

Penser le non-être

 

Pour mettre en échec l'horripilant Parménide, l'homme du nihil résolut, après avoir pensé le pilchard, de penser le non-pilchard. Mais tout ce qu'il parvint à évoquer fut... une boîte de petits pois dans laquelle se tenait, bien au chaud, le philosophe Jean-Paul Sartre. — Ô vanité des vanités ! Ô rictus bestial de l'existence !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 24 novembre 2021

L'amour (qu'ils disent)

 

Toute relation sentimentale se ramène à une plus ou moins habile tentative de « placement de produit ». Il y a toujours tromperie sur la marchandise, mais on s'en aperçoit trop tard, hélas, fasciné qu'on est par la « mijole », les « biberons Robert » et le fondement (de l'historialité du Dasein).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 23 novembre 2021

Tout ça pour ça

 

On passe sa vie à tenter de comprendre ce qu'est la vie, et quand on a enfin compris qu'il n'y avait rien à comprendre, on est, comme cela s'appelle, « décédé » (ou quasi). — C'est tout de même un peu fort de café !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 22 novembre 2021

Connaissance dangereuse

 

Celui qui a compris le sens profond du vocable reginglette, celui-là ne peut exercer aucun métier. Tout ce qu'il peut faire, c'est rester allongé, et gémir.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

dimanche 21 novembre 2021

Avertissement

 

Selon Gragerfis, l'homme du nihil aurait exprimé la volonté que le fourgon mortuaire — le « corbillard » — destiné à transporter sa dépouille à sa dernière demeure soit équipé d'un klaxon à cinq tons jouant la Cucaracha ou à défaut le Pont de la rivière Kwaï, ceci afin de « notifier aux masses assemblées la toute-puissance du pachynihil » !!!

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 20 novembre 2021

Eudémonologie

 

Pour ne pas être tenaillé par le regret, Sénèque — ou est-ce Gragerfis ? — recommande de ne voir en toute chose que le mauvais, et de faire de sa vie un désastre de tous les instants. Mais cela ne marche pas — car à niveau de désastre équivalent, on est toujours moins malheureux jeune que vieux, et le vieux malheureux ne saurait éviter d'avoir la nostalgie du jeune malheureux qu'un jour il fut.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 19 novembre 2021

Et in Arcadia ego

 

Quand le ciel bas et lourd de la postmodernité écoresponsable se fait par trop oppressant, l'homme du nihil se réfugie en pensée dans les années soixante-dix du vingtième siècle. Raymond Poulidor ! Bernard Golay ! Jean-Pierre Fourcade ! La vie avait du sens, alors ! — Ou bien ?...

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 18 novembre 2021

Cambistes

 

Enfant, le futur homme du nihil tremblait, à la fin de chaque journal télévisé, de « rejoindre François Donati à la Bourse de Paris ». Car celui-ci, non content de ressembler à un cadavre vivant, faisait régulièrement allusion à de mystérieux « cambistes » dont la simple mention plongeait le garçonnet dans une angoisse quasi kierkegaardienne. Il préférait le débonnaire René Tendron, dont la rondeur et la moustache en brosse à dents n'étaient pas sans évoquer l'onctueuse suavité du pachynihil.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 17 novembre 2021

Petits commerçants

 

Dans son Journal d'un cénobite mondain, Gragerfis raconte — mais peut-on croire tout ce qu'il dit ? — que l'homme du nihil, touché par la détresse des petits commerçants, adhéra un temps à la CIDUNATI de Gérard Nicoud. Mais très vite, les soi-disant « petits commerçants » se révélèrent de franches canailles et il les expédia « aux doubles-vécés » pour se consacrer exclusivement au Rien.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 16 novembre 2021

Intermède publicitaire

 

Un impact ? Une fissure ? Une fêlure à la Scott Fitzgerald ? Ça peut être très grave. Alors n'attendez pas : rendez-vous sur homicide-de-soi-même.fr. Mais n'oubliez pas le .fr, hein ? Sinon vous risqueriez, comme Edmond Husserl, de faire une « fausse queue ». Allez, au revoir — ou plutôt adieu.
 
(Fernand Delaunay, Glomérules)