mercredi 18 mai 2022

Le pensum d'exister

 

N'avoir pas vocation à être — et devoir cependant supporter tout ça.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Aux chiottes la science

 

Le monstre bipède, qui ne craint rien tant que l'incertitude, s'est peu à peu enivré de postulats, d'axiomes et de preuves. La « science » fait sa fierté en lui donnant l'illusion de pouvoir maîtriser son destin. Mais l'homme du nihil n'est pas dupe. La seule science qui lui agrée et dont il possède à fond les principes est la « térébrante thermodynamique du Rien ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Ô solitaire Puvis

 

Celui qui rêve de l'infini infundibuliforme est un « incinéré vivant ». Le réel est sa sépulture cinéraire, son ineffable cavurne.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Agueusie sélective

 

On peut lire dans les Analectes que Confucius, comme il écoutait l'exécution d'une pièce de musique ancienne (l'Hymne du couronnement de Chouenn), fut pris d'une émotion si intense « qu'il en oublia le goût de la viande pendant trois mois ». Qu'un émoi artistique puisse provoquer une perte momentanée du goût, cela peut encore se concevoir, mais pourquoi spécialement de la viande ? En vérité, ce que montre cette histoire d'agueusie sélective est que les voies du pachynihil sont impénétrables.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

L'ivresse de fouir

 

L'homme du nihil a mis au point une formule efficace pour supporter sans trop de peine l'écoulement du temps : il creuse des galeries. Pas dans le bois mort du vocable, non, mais dans la terre, comme une taupe ! Il fouit !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Cet emmanché de Godot

 

La patience est une qualité qui fait absolument défaut au nihilique. C'est pourtant celle dont il doit faire preuve jour après jour puisque sa vie se résume à une longue attente (de quoi ?) et qu'on n'y rencontre pas plus d'événements qu'il n'y a — en général — de beurre au prose.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Ô bonheur suprême ! Ô joie ineffable !


Dans ses meilleurs moments, la vie atteint à une sorte de sublimité porcine (un peu comme le masque mortuaire de Martin Luther, si l'on veut aller par là).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 17 mai 2022

Un olibrius

 

Plutôt que de « faire la teuf » et de « fumer de la weed » pour oublier qu'il est mortel, l'homme du nihil a choisi la solution — à vrai dire tout aussi inefficace — de s'enfoncer dans une tristesse de coléoptère.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Salop de temps

 

Rien n'invite tant à la mélancolie que de jeter un coup d'œil dans un miroir. Cette gueule  ! Il n'y a pas à dire, le temps est un beau salop... Pourtant, d'après Nonnos de Panopolis, le dieu Chronos naquit du néant, ce qui aurait dû lui conférer une certaine débonnaireté. Mais va te faire fiche  ! Puisque c'est ainsi : fuir les surfaces réfléchissantes comme la peste.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Mais à Calvi, si

 

Si le poëte Armand Robin avait pu voir l'homme du nihil après que celui-ci eut été frappé d'alopécie, il aurait sans doute dit que son crâne ne pouvait se comparer qu'à certains paysages dénudés du nord de l'Écosse.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Incompréhensible biscotte

 

Si l'on admet que comprendre consiste à « se faire une idée claire des causes, des conséquences, etc., qui se rattachent à telle chose et qui l'expliquent », alors il est vain d'espérer « comprendre » la moindre parcelle de réalité empirique, par exemple — mais oui — une biscotte confiturée — et ne parlons pas de l'encore plus hiéroglyphique « bigaradier ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

lundi 16 mai 2022

On-dit

 

Il paraît que quand le brouillard s'insinue dans une forêt, chaque arbre semble une prière figée. Mais c'est peut-être un « on-dit ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Un endroit à fuir

 

Il ne faut pas longtemps pour s'apercevoir que la réalité empirique manque furieusement d'attrait. Sans se prendre pour Nicolas Gogol, on peut dire qu'on s'y ennuie comme dans une gare en Russie.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Coup du chapeau

 

« Combien de fois, en pleine nuit, n'ai-je pas pris mon chapeau pour aller me tuer ! » écrit Cioran dans ses Cahiers. Comme si l'on ne pouvait pas se tuer chez soi, ou encore à l'extérieur mais tête nue ! Et l'on a envie de lui dire : « Non, vraiment, trouve autre chose, mon petit vieux. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

La grande énigme de la vie

 

Plus on les observe, plus on se dit que les gens, tous les gens sans exception, sont profondément et incurablement « malheuleux ». Mais alors ? Pourquoi ne se tuent-ils pas ? Est-ce qu'ils ont le « traczir » ? Ou peut-être essaient-ils de prouver quelque chose ? Mais quoi ?

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Précarité du Moi

 

Un imperceptible affolement dans les milliards de cellules qui peuplent le cerveau, et notre Moi nous échappe. Pour peu qu'un autre le remplace, nous voilà Napoléon ou le « pape François » !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

À la portée des caniches

 

Même une personne peu instruite est capable de comprendre que le Rien est synonyme de repos. En témoigne le succès, du haut en bas de l'« échelle sociale », de l'homicide de soi-même (par ingestion de taupicide ou autrement).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

dimanche 15 mai 2022

Rédemption par le taupicide

 

L'homme du nihil n'a jamais compris pourquoi l'Église condamne l'homicide de soi-même alors que tout laisse à penser que c'est Dieu lui-même qui a envoyé à l'homme le taupicide pour lui permettre de se racheter du péché d'exister.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Monotonie du Rien

 

Les jours du nihilique s'écoulent monotones comme une litanie de cailloux.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Bon débarras

 

Peut-être, à l'instant de « décéder », l'homme du nihil regrettera-t-il la douceur des soirs à Saint-Clément, quand les souffles légers portent l'odeur des foins et le parfum miellé des clématites. Mais il y a une chose de ce « monde de néant » qu'à coup sûr il ne regrettera pas : c'est l'homme (le « monstre bipède »).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Hypocrisie du monstre bipède

 

L'homme du nihil en a fait la remarque à maintes reprises : le monstre bipède est à la fois « faux comme un jeton » et « franc comme un âne qui recule ». Puisqu'il en est ainsi, pourquoi avoir pris la peine de donner un nom à cette qualité introuvable qui s'appelle la sincérité ?

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Les heureux et les damnés

 

On se console d'être un raté quand on songe que ceux qui ne le sont pas... le sont davantage encore — en un certain sens que l'on se gardera de préciser ici — et ne le savent même pas (les pauvres).

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Parler aux oiseaux

 

« Au Jardin des Plantes, j'ai regardé longuement un flamant rose qui, dans sa cage, allait et venait le long du mur, parcourant à quelques centimètres près la même distance, c'est-à-dire au maximum deux mètres. Ayant en horreur les volucres — et tout particulièrement ceux qui marchent de façon monotone —, je l'ai traité de “salop” mais il a continué comme si de rien n'était. Je l'ai alors traité de “nerf sciatique” et il a arrêté. » (Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain)

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Urine de vache

 

L'urine de vache était le seul remède dont les moines étaient autorisés à se servir dans les premières communautés bouddhiques. Et quand on y réfléchit, c'était juste et normal, car à part peut-être l'idée du Rien, il n'y a rien de mieux que l'urine de vache.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

samedi 14 mai 2022

Question de point de vue

 

Les chrétiens pensent que la souffrance a une signification, qu'elle vous rachète. Mais l'homme du nihil y voit plutôt une tête de chien couché.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Blague dans le coin

 

Si l'on demandait à l'homme du nihil pourquoi il ne s'est pas encore tué, il répondrait probablement que c'est par apathie, par horreur de l'action. Il pourrait ajouter, après Cioran, que n'ayant aucune raison de vivre, il n'en a pas plus de mourir. Mais il ne le fera pas, car contrairement au satiriste roumain, il déteste les « mots ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Avoir une vie

 

Il serait consolant, au moment de « décéder », de pouvoir se dire qu'on a tout de même eu, dans quelque mesure, une « vie ». Mais on peut s'agiter dans tous les sens, on peut écrire Guerre et Paix, découvrir le bacille de Koch ou descendre l'Indus et le Brahmapoutre en pirogue, rien n'y fait. Il est tout simplement impossible d'avoir une « vie ». Il n'y a pas plus de « vie » que de beurre dans le placard. Il n'y a que des cochonneries répugnantes de bêtise. Oh, bon Dieu !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Vers le Rien

 

Le 23 août à trois heures du matin, l'homme du nihil décide de mettre fin à sa pondéreuse existence. Il écrit : « Je puis assurer que l'initié le plus dévot à Cérès n'a jamais éprouvé un transport aussi vif que le mien... Je m'avance vers le Rien avec une espèce de plaisir qui m'ôte le pouvoir de la réflexion. » — Combien d'autres ont, par la suite, éprouvé la même émotion ! 1

1. C'est le cas par exemple de l'écrivain ex-dadaïste René Crevel.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Les glorieux

 

Tous les écrivains célèbres, jusqu'à un Cioran, jusqu'à un Thomas Bernhard, jusqu'à un Beckett, méritent le supplice du pal — ou tout au moins d'être sévèrement flagellés. Qu'ils aient pu rechercher la notoriété les discrédite à jamais et ôte toute valeur à leur œuvre. Faut-il être moralement déchu pour briguer les applaudissements du « monstre bipède » et pour préférer la gloire à l'obscurité !

(Fernand Delaunay, Glomérules)