dimanche 29 mai 2022

Pensée réfrigérante

 

Vous vous promenez de-ci de-là, vous baguenaudez dans l'être, et tout à coup, en traversant la rue Racine, vous vient à l'esprit la tombe de Celan.
 
(Fernand Delaunay, Glomérules)

Nostalgie de l'incréé

 

L'homme du nihil, c'est bien simple : plus il connaît la vie, plus il est sûr que sa vraie place est « au royaume muet des os en décomposition ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Portrait du nihilique

 

Après sa rencontre avec l'homme du nihil, André Frossard le caractérisa ainsi : « De profil, il fait penser à une bête du désert morte de dégoût. Son crâne, qui rappelle celui de l'hyène, est pourvu d'une large mâchoire qui semble idéalement adaptée à l'usage qu'il en fait, à savoir mordre le fondement de l'historialité du Dasein. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

L'unique vérité

 

L'unique vérité se trouve dans le silence — et surtout dans celui, infrangible, que procure le taupicide.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Être supérieur

 

En supposant même que Marie-France Ionesco fût réellement un être supérieur, quel besoin de le dire ? Est-ce que ça allège d'un centigramme notre misère existentielle, à nous autres, êtres inférieurs ? Oh, Cioran ! Ce que tu peux être horripilant, quand tu t'y mets !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Aux chiottes Darwin

 

Dans le Livre de la Genèse, remplacez Adam et Ève par des amibes ou des paramécies, et toute l'intrigue s'écroule (ces organismes unicellulaires n'auraient jamais été capables de distinguer l'arbre de la science du Bien et du Mal — sans parler du reste, la pomme, etc.). Et ainsi modifiée, la parabole peine grandement à expliquer pourquoi c'est le monstre bipède — et non l'amibe ou la paramécie, justement — qui est une créature maudite.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Humour noir

 

Appeler vie une succession de plaisanteries cruelles et de mauvais goût est en soi une plaisanterie cruelle et de mauvais goût.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

vendredi 27 mai 2022

Air de famille

 

La vie, par sa brutalité et l'effroi qu'elle inspire, n'est pas sans évoquer l'odieux Garofoli, le sinistre « padrone de la rue de Lourcine ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Ascétisme bien tempéré

On peut vivre comme un ascète sans pour autant rechercher Dieu, la pureté ou ce genre de chose. Ça peut se faire juste comme ça, par dégoût. Mais attention de s'accorder quand même quelques « petits verres », hein ? Sinon on risque, par ennui, de se mettre à rechercher Dieu, la pureté, etc., et là ça pourrait devenir franchement « malaisant ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Littérature et homicide de soi-même

 

Il n'est pas aisé d'exprimer quelque chose de profond avec des mots. Par contre, avec un revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe... Exemple : Jacques Rigaut.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Aux chiottes la conscience

 

Quelle que soit l'idée qu'on se fait de la vie, elle se termine de la même façon. Alors à quoi bon se faire une « idée de la vie » ? Autant vaudrait manger de la révérence parler merde.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Fraternisation

 

Comment les gens font-ils pour « fraterniser » ? Mais peut-être qu'ils ne « fraternisent » pas réellement ? Peut-être qu'ils font seulement « jore » ?... C'est ça ! Ils font « jore » ! Ah, les salops !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Anti-phrase

 

Les choses importantes, on n'en parle que de manière indirecte. Quand on a du tact, c'est-à-dire. Quand on n'est pas un « Grandiloque des Carpates ». Mais à vrai dire, quand on habite « sur les cimes du désespoir », le mieux est encore de se taire.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Only the lonely...

 

« Quoi ? Know how I feel ?
— Oui. C'est ça. »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Ressource du solitaire

 

Il y a des gens, ils ont beau faire, la solitude leur colle à la peau. Ce n'est pas tellement qu'ils l'aiment. C'est plutôt elle qui les aime (la garce). Heureusement, il leur reste la ressource de lire du Henri Michaux (ou du Luc Pulflop, ou tout autre auteur de cet acabit) pour oublier que, comme le pauvre « Rémi Sans Famille », ils n'ont pas d'amis.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

jeudi 26 mai 2022

To do list

 

Ne se manifester en aucune manière, se comporter comme si l'on n'était pas vivant, adopter l'apparence d'une roche sédimentaire détritique, etc., etc.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Mots, maux

 

Le linguiste Chomsky pense que si tout à coup le mot panaris n'existait plus, il y aurait peut-être encore, ici ou là, des gens souffrant d'un panaris, mais ils n'y feraient pas attention ou à peine.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Rien ne vaut le coup (le Bouddha dixit)

 

S'il faut en croire Gragerfis, le Bouddha, un jour qu'il était « gonflé à bloc », aurait prononcé ces paroles devant ses disciples assemblés : « Aucun objet ne vaut qu'on le désire. Et quand je dis aucun, c'est aucun. Ça inclut la mijole et les biberons Robert. Verstanden ? You, damned rascals ! »

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Anecdote

 

Un jour, le dramaturge Samuel Beckett dit à son ami le « négateur universel » Émile Cioran : « Alors Mimile, il paraît que toi aussi tu te souviens des jours anciens et tu pleures ? » Cioran, horriblement gêné, ne sut que répondre et s'esquiva en faisant « jore » que Simone Boué l'avait appelé dans la cuisine pour goûter la soupe.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Mercredi des cendres

 

Le prêtre : Souviens-toi, homme, que tu es poussière, et que tu retourneras à la poussière.
L'homme du nihil : T'inquiète. J'y pense tout le temps.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mercredi 25 mai 2022

Être de Bezons

 

Au dire de Gragerfis, l'homme du nihil était déjà stupéfait d'être, mais surtout, il n'en revenait pas d'être de Bezons. Du reste, qu'un autre aussi puisse être de Bezons ne le plongeait pas dans un moindre étonnement. C'est simple, tous les Bezonnais l'affolaient.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Irréalité du salin

 

Dire à quelqu'un « passe-moi le sel », c'est déjà donner son sentiment sur l'être : on suppose implicitement que le sel existe et son interlocuteur aussi. Alors qu'en fait...

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Shimmy dans la vision

 

Dans cette vie, nous voyons les choses « de façon obscure et comme dans un miroir ». C'est saint Paul qui l'a dit — et il avait le nez creux pour ce genre de choses.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

La vérité enfin saisie

 

À force de pressurer son cerveau, l'homme du nihil est enfin parvenu à définir la vérité, répondant ainsi à la fameuse question de Pilate. La vérité, c'est tout simplement « ce qui vous fout dedans ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

mardi 24 mai 2022

Insaisissable vérité

 

À la question de Pilate « Qu'est-ce que la vérité ? », on ne peut donner qu'une réponse arbitraire, par exemple « une brioche » ou « un héron frénétique ».

(Fernand Delaunay, Glomérules)

La naissance et tout ce qui s'ensuit

 

Là où il n'y avait rien, il y a soudain quelque chose. Pas grand chose : une ébauche, un simple germe. Et il va morfler, le « germe ». Car il est long à traverser, le désert de Gobi de l'existence. Et on n'y rigole pas tous les jours. Mais c'est comme tout. Oui, c'est comme tout.

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Éternel malentendu

 

Qu'il est pénible d'être traité comme un individu, comme une « personne humaine », alors qu'on se sent complètement en dehors de tout ça !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Happy to be here

 

Ce qui différencie fondamentalement l'homme du nihil du monstre bipède est que ce dernier ne se demande jamais ce qu'il fait là. Son existence lui semble aller de soi, il s'ébroue dans l'être avec volupté, il est partout chez lui, le salop !

(Fernand Delaunay, Glomérules)

Putasserie universelle

 

Chacun s'affiche, chacun fait la promotion éhontée de son Moi, chacun essaie de placer sa marchandise, si avariée soit-elle. Le seul à n'avoir rien à vendre, c'est l'homme du nihil. Tout au contraire, il cherche le silence et l'horreur des ténèbres. Oui : comme les chats de Baudelaire !
 
(Fernand Delaunay, Glomérules)