jeudi 1 juin 2023

Cassement existentiel

 

Dans la pièce de Sophocle, à propos de l'épée qu'il a reçue en cadeau d'Hector, Ajax parle de « douleur coupante ». C'est cette épée qu'il va utiliser pour se suicider, réalisant ainsi une sorte de « cassement existentiel » — puisqu'il se prend à lui-même sa propre vie. Ce « cassement » n'est pas sans rappeler celui de la Métamorphose des cloportes, sauf que le Rouquemoute utilise un chalumeau au lieu d'une épée, et que le « cassement » qu'il commet ne comporte aucune dimension existentielle (le truand n'est mû que par sa passion pour le lucre).
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

mercredi 31 mai 2023

Non-lecture d'Unamuno

 

Si le monstre bipède avait un minimum de « sentiment tragique de la vie », il ne vivrait pas comme il vit (c'est-à-dire comme un babiroussa). Il faut croire qu'il n'a pas lu Unamuno... Oui... ça doit être ça...
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Presque comme Sadegh

 

Le nihilique aime beaucoup Sadegh Hedayat. Il l'admire mais aussi il l'envie. Car lui aussi rêverait d'être l'auteur d'une littérature crépusculaire et insolite, marquée par la hantise du suicide. Lui aussi aimerait décrire les mœurs persanes avec humour et poésie. Et maintenant qu'il y pense, il a beaucoup de points communs avec Hedayat : comme l'écrivain iranien, il est hanté par ses démons ; il vit en marge de la société ; il porte un regard désespéré, teinté d'une ironie impitoyable, sur l'absurdité du monde et l'inguérissable folie de l'âme humaine... Mais là s'arrête la ressemblance. Car loin d'être un esprit libre dans la lignée d'Omar Khayyam, il est de Bezons !
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

D'égout et des couleurs

 

Tout le monde ne se tue pas de la même façon. Par exemple, Pierre Bérégovoy fit le choix de se suicider « au bord d'un canal où il était souvent venu goûter la paix et la beauté des choses ». Il ne se pendit pas à la grille d'un égout dans une ruelle sordide comme son presque homonyme le poëte Gérard de Nerval (il n'y a que quatorze lettres de différence).
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Castrorama

 

Chez Fidel Castro aussi, il y avait tout ce qu'il fallait : non seulement des outils et des matériaux mais des geôles et des chevalets de torture. Tant l'homme est un loup pour l'homme...
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

mardi 30 mai 2023

Une matinée du Grandiloque

 

Pour le « négateur universel » Émile Cioran, c'était chaque matin la même histoire : il commençait par se sentir mal à l'aise. Puis il regardait sa montre, il était déjà huit heures. Il embrassait tendrement Simone Boué et un taxi emportait cette dernière. « Tu t'en vas, mon cœur, parmi ces milliers de gens », soupirait-il in petto. Et il se faisait la réflexion que c'était une journée idéale pour marcher dans la forêt. Comme il aurait aimé, le négateur, aller se coucher seul dans les genêts ! Mais il avait des aphorismes à écrire, il ne pouvait pas y couper. Il fallait bien gagner sa croûte...
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

No stronger than dirt

 

On se croit, comme Ajax, plus fort que la saleté mais je t'en fous : en ce « monde de néant », la saleté finit toujours par l'emporter. Résultat des courses : à l'image du héros grec, on en a marre, on jette l'éponge, et on commet l'homicide de soi-même (sur une plage de Salamine ou ailleurs, suivant comme ça se trouve).
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Tour du Grand Chien

 

Le désolant Michel Foucault n'aurait jamais pensé qu'il effectuerait un jour, seul et à pied, le tour complet de la constellation du Grand Chien. Voilà ce que c'est, de « clamecer »... Mais bon Dieu ! Il aurait pourtant dû le savoir ! Il était « philosophe », non ?
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Littérature argentine

 

En plus d'être désagréable au possible, l'étant existant — le fameux « Dasein » des existentialistes — n'y connait pas grand chose en fait de littérature argentine. Aussi, quand il lit dans Borges les noms d'Hilario Ascasubi et d'Estanislao del Campo, il se dit : « Qui c'est ces mecs-là ? » Mais il trouve ces noms « marrants » alors ça va.
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

lundi 29 mai 2023

Déviation

 

Kafka a raison de dire que la vie est une perpétuelle déviation. Normalement, pour aller de la mairie de Bezons à la gare de Houilles, il faut compter une douzaine de minutes (en passant par la rue Albert 1er). Mais avec les travaux...
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Théâtre

 

Émile Cioran : Il y a quelques années, la compagnie Laurence Olivier a donné à Moscou Roméo et Juliette — c'est une pièce de Shakespeare, tu peux pas comprendre.
Eugène Ionesco : Ouais. Et ?
Émile Cioran : T'aurais vu la réaction des spectateurs, mon vieux ! C'était à ne pas croire. Une fraîcheur... Une ardeur... Une... Je ne sais pas, moi, une piété ! Non, je te jure. C'est pas en Occident qu'on verrait ça.
Eugène Ionesco : Purée !
 
Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Une baudelairienne bourrelle

 

Dans la Montagne magique, l'envoûtante madame Chauchat incarne la séduction érotique, mais sous une forme morbide dégénérée !
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

À la manière d'un cadavre

 

Le Rien, il ne faut pas lui obéir seulement quand ça vous chante mais tout le temps. Sinon, c'est un peu trop facile. Ils sont légion, les « nihiliques en peau de lapin » qui se gavent d'huîtres et de bigorneaux, mais le véritable nihilique, lui, est fidèle à la devise de Saint Ignace : « Perinde ac cadaver ».
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

dimanche 28 mai 2023

Langage huysmansien

 

Huysmans s'exprime d'une façon si comiquement maniérée que chaque fois qu'on le lit, on manque d'en uriner dans son « ben ». Petit extrait : « Mais, dit Durtal, pourquoi l’épervier est-il choisi de préférence aux autres volucres ? » (Joris-Karl Huysmans, Là-bas, Tresse & Stock, 1895, p. 396). — « Aux autres volucres » ! N'est-il pas bath, ce Huysmans ? N'est-il pas « aux pommes » ? 
 
Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Cri qui tue

 

Le kiaï, le mythique « cri qui tue » des maîtres d’arts martiaux, n’aurait pas uniquement pour effet de sidérer l’adversaire. En faisant circuler le chi — le souffle vital —, il serait aussi capable de rééquilibrer le corps ! Cela paraît « inc'oyable » mais c’est pourtant ce qu’affirme Jean-Paul Duchêne, enseignant de tai chi rompu aux techniques de circulation de l’énergie par la voix. Laissons-lui la parole. Ou plutôt non.
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Complétude de Mann

 

Thomas Mann est un romancier complet et ses personnages le sont également. Ainsi, chez Hans Castorp, il y a tout ce qu'il faut : fadeur, malléabilité, aspiration à des idéaux humanistes élevés, outils, matériaux... Euh... non. Pas les outils et les matériaux.
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Chez Carglass

 

« Bonjour.
— Bonjour, que puis-je faire pour vous ?
— J'ai une fêlure existentielle à la Scott Fitzgerald.
— Ah. Ça peut être très grave. Nous allons regarder ça. Ouvrez la bouche et dites “Aaaah”.
— Aaaah. »
 
Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

samedi 27 mai 2023

Révélation des choses de la viande

 

« En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : Je te loue, Léon Dessertine, de ce que tu as caché aux sages et aux intelligents les choses relatives au négoce de la viande, et de ce que tu les as révélées aux bredins. Oui, Léon Dessertine, je te loue de ce que tu l'as voulu ainsi. Toutes choses m'ont été données par mon Père, et personne ne connaît le Fils, si ce n'est le Père ; personne non plus ne connaît le Père, si ce n'est le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. Alors attention, hein ! » (Matthieu, 11:25)
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Surproduction conceptuelle

 

En 1957, Maurice Merleau-Ponty proposa à ses collègues philosophes un moratoire sur la création de concepts. Il trouvait que les amis de la sagesse produisaient chaque année un nombre effarant de concepts qui pour la plupart ne servaient à rien. « Arrêtons ces outrances qui nous font passer pour d'absurdes polichinelles », leur disait-il dans sa lettre. Faut-il le préciser ? Son appel fut ignoré et la production continua comme devant.
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Surcote de William le Pompeux

 

Être ou ne pas être. Mon royaume pour un cheval. Si vous nous piquez, est-ce que nous ne saignons pas. Voilà. C'est à peu près tout. Il n'y a pas de quoi en faire un fromage. Bon Dieu !
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Ô mort

 

Le chanteur Hank Williams, il lui arrivait de se sentir si seul qu'il aurait pu en pleurer. Et toi, ami lecteur ? As-tu déjà vu un rouge-gorge gémir et se lamenter quand les feuilles commencent à tomber (au début de l'automne, c'est-à-dire) ? Cela signifie que le petit volatile a perdu tout désir de poursuivre sa randonnée dans le désert de Gobi de l'existence. Ô mort !
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

vendredi 26 mai 2023

Un muchacho muy excelente

 

Le nihilique n'est pas un « jolly good fellow », alors ce n'est pas la peine de mentir en prétendant que (version anglaise) c'est ce que tout le monde dit ou que (version américaine) personne ne peut le nier. Il est un contempteur futile et pathétique de lui-même, voilà ce qu'il est. Mais en aucun cas un « jolly good fellow ».
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

On demande Philippe Cadet

 

Philippe Cadet est demandé au téléphone, Philippe Cadet.
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Banalité du mal

 

Heidegger : Hannah, écoute ça. On va dire que je suis Pasteur et toi tu es le berger Jupille, d'ac ? Attention, je vais te faire une injection dans le fiak.
Arendt : Non mais ça ne va pas la tête ?
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Travaux géographiques

 

Prenant exemple sur le Fortore, cette rivière au large lit pierreux, le nihilique sépare le Molise des Pouilles.
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

jeudi 25 mai 2023

Gros dada

 

S'il faut en croire Émile Cioran, le facteur Cheval ne savait pas qu'il était le facteur Cheval, mais ça ne l'empêchait pas de pousser de grands hennissements (quand il était particulièrement content d'une de ses constructions). Le « négateur universel » en tire la conclusion que l'homme est un être foncièrement gênant et qu'il vaut mieux ne pas être vu en sa compagnie.
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Histoire de Phil Ochs

 

C'est d'abord dans les rues de Greenwich Village (à la fin des années 60), puis dans les couloirs méandreux de la maladie mentale (au début des années 70), que Phil Ochs erra. En désespoir de cause, du disulfure de carbone fut alors injecté dans les racines, mais cette solution s'avéra extrêmement longue et coûteuse pour le viticulteur. Finalement, le 9 avril 1976, le pauvre Phil en eut assez et se pendit. Il avait trente-cinq ans.
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Après la mort

 

Le nihilique ne désire connaître ni la venelle de l'Enfer, ni la rue de Paradis. Le purgatoire, il veut bien y passer un moment, histoire de se purger de « l'être ». Mais c'est tout.
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

Dernières volontés

 

S'il meurt (mais ce n'est pas encore dit), le nihilique voudrait qu'on l'enterre dans une cave où il y a du bon vin. Si possible, il aimerait avoir les deux pieds contre la muraille et la tête sous le robinet. C'est noté, les croque-morts ?
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)