mardi 4 décembre 2018

Interlude

Jeune fille lisant l'Océanographie du Rien de Raymond Doppelchor

Page de journal


27 janvier. — Promenade dans la campagne environnante. Au détour d'un chemin, j'avise un édicule fait de planches mal jointes. Ayant poussé sa porte branlante, je me retrouve dans des cabinets à l'ancienne mode, où règne une odeur agréable de vieux papier journal et d'excrément ranci. Dans un tel lieu, on éprouve un sentiment d'harmonie et de sainteté qu'aucune église, d'après mon expérience, n'est jamais parvenue à inspirer. On sent que le « Grand Œuvre » y est possible.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Une hypothèse suffocante


L'ignominie de cette conjecture — l'être — m'étourdit comme feraient les effluves morbifiques des jardins de La Canée.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Amulette inefficace


Contrairement à la pierre Corybas du Mont Mycène, l'idée du Rien ne préserve pas celui qui la porte des visions monstrueuses : le pachynihil se montre en effet impuissant à effacer tout à fait le « monstre bipède » — le fameux « autrui » du philosophe Levinas.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune fille lisant les Pensées rancies et cramoisies de J. Zimmerschmühl

Yponomeute toujours


L'yponomeute est un insecte lépidoptère qui attaque les arbres fruitiers (cerisiers, pommiers, pruniers). À la différence de l'homme du nihil — qui « exulte dans sa solitude circulaire » —, les chenilles des yponomeutes vivent en groupe dans des nids qu'elles tissent sur les branches.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Page de journal


28 septembre. — Lettre de von Trobben, qui visite actuellement les Ardennes. Il me dit avoir découvert, aux environs de La-Ferté-sur-Chiers, les restes d'une colonne ayant servi de perchoir à un ascète du VIe siècle, Saint Walfroy. Ce nom de La-Ferté-sur-Chiers rappelle à ma mémoire un autre nom insolite, celui de Messire Michel Saligot, « Seigneur de Monceaulx et de Montretout en Brye », que l'on trouve mentionné dans l'Histoire de l'Église de Meaux, par Michel Toussaint Du Plessis : « À cette cause le dit Saligot, qui est Seigneur du dit lieu de Monceaulx, à cette fin que ces pauvres Subjets et Habitans de sa dite terre puissent oyr Messe et prier Dieu à tout le moins le Dimenche... » — Et cetera, et cetera.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

lundi 3 décembre 2018

Tragédie lyrique


Étang de Soustons, deux heures de l'après-midi. On entend au lointain un son funèbre de trompettes mêlé de cris de douleur. Tout le monde est saisi d'un terrible pressentiment.

Alamire. Pleurez tous : je vous apporte une terrible nouvelle.

Irène. Eh bien ? Parle vite !

Antonine. Comme mon cœur bat !

Alamire. Voilà : rien n'a de sens. Dois-je le répéter ? Rien n'a de sens. — Pis encore : rien ne sert à rien.

Irène. Hélas !

Antonine. Quel coup !

Justinien. Si j'étais seul, je me jetterais instantanément à l'eau. Jamais je n'ai ressenti avec une telle violence le besoin de mettre un terme à tout ça.


(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune fille lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Une idée vorace


L'idée du Rien est carnivore. Les êtres dont la pachyméninge s'ouvrent à cette idée sarcophage sont dévorés par elle en quarante jours, les dents exceptées. Elle boulotte aussi les miroirs, les brosses, les vêtements et les chaussures de l'infortuné. C'est Thrasylle le Mendésien qui l'affirme.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Solipsisme (en manchettes)


Encellulé dans l'icosaèdre du Moi, où toute « réalité empirique » se dilue.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Tournis du mouton


23 décembre. — M. Davaine, dans son Traité des entozoaires et des maladies vermineuses de l'homme et des animaux domestiques parle en ces termes du tournis du mouton : « À mesure que la maladie fait des progrès, le tournoiement devient plus fréquent et de plus longue durée, jusqu'à ce que la paralysie des membres vienne y mettre un terme. De temps en temps l'animal éprouve des attaques convulsives pendant lesquelles la respiration est très difficile, stertoreuse, et la sensibilité généralement abolie. Enfin la vue se perd totalement, la pupille reste largement dilatée ; la mastication est lente et incomplète ; la marche, la station même deviennent difficiles et impossibles ; l'amaigrissement, qui s'est prononcé dès le début, fait des progrès rapides, et la bête succombe dans le marasme. »

— La lecture de ce passage me plonge moi-même dans un marasme épais.
Et je crains que mon sommeil ne soit visité par des moutons tournoyants, à la mastication lente et incomplète...


(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune femme posant devant les œuvres complètes de Hermann von Trobben

Ornement de la vie


L'idée du Rien se dresse sur les escarpements de la montagne Ling-nan, élégante et belle, bien qu'elle n'ait pas subi l'action du ciseau ou de la doloire. On l'emploie comme ornement et comme remède aux innombrables horreurs de l'existence. C'est une panacée. Elle guérit les ulcères malins, les fistules ; elle chasse les fantômes, les mauvais esprits. Elle éloigne les miasmes. Cette idée est chose merveilleuse.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Phatique


Tout discours parlant d'autre chose que du Rien relève de la fonction phatique du langage.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Yponomeute du fusain


20 décembre. — L'idée me vient qu'à certains égards, la pensée de l'homicide de soi-même est analogue à l'yponomeute du fusain. On trouve d'ailleurs confirmation de cette ressemblance dans le passage que M. Émile Blanchard, de l'Académie des Sciences, consacre à ce coléoptère dans sa Zoologie agricole.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

dimanche 2 décembre 2018

Interlude

Jeune femme lisant l'Apothéose du décervellement de Francis Muflier

Hiérogramme


Le suicidé philosophique, son geste fatal accompli, ressemble à un arthropode pris dans un épaississement minéral qu'il fut impuissant à combattre et qui l'immobilisa définitivement. À l'instar de ces trilobites que l'on trouve dans les carrières de marne, seul subsiste de lui un dessin immuable, figure de la sédition au seuil de l'éternelle nuit.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Calcin


Comme l'idée du Rien, les déchirements du calcin peuvent amener des explosions.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Page de journal


19 décembre. — Je lis dans le Journal de médecine et de chirurgie qu'un certain docteur Dupuy, appelé auprès d'une malade souffrant d'emphysème du cou, après avoir appliqué huit sangsues sur le point douloureux, fit poser de la glace en permanence sur la partie tuméfiée. « Sous l'influence exclusive de ce topique, un soulagement marqué se produisit en quelques heures. Le soir, le gonflement, de nature simplement emphysémateuse, présentait encore de la dureté, mais à un degré moindre ; la respiration était plus facile et la physionomie plus rassurée. On continua l'emploi de la glace à l'extérieur et celui de l'eau fraîche pour toute boisson. Ce seul traitement amena une résolution complète en moins de deux jours, après lesquels la respiration et la mastication s'opérèrent parfaitement. »

— Que ne donnerais-je pour avoir, moi aussi, une « respiration plus facile » et une « physionomie plus rassurée »... Dois-je donc envisager « l'emploi topique de la glace »?


(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune femme lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier (en feuilleton)

Un fertilisant indispensable


Sans l'engrais du pachynihil, l'opulent univers n'existerait pas : il n'y aurait qu'une boue monotone et craquelée, parsemée de redondantes accumulations de pierres dures rotacées, et foulée par des hardes innombrables de ces mammouths à défenses enroulées dont la pointe inoffensive est, ridiculement, au centre de la spirale qu'elles dessinent.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Le Sar dîne à l'huile


La sardine est un petit poisson du genre alose, semblable au hareng, mais plus petit : la pêche de la sardine constitue l'une des plus grandes ressources des pêcheurs bretons. La sardine atteint jusqu'à 25 centimètres de long ; on la pêche de juin à novembre. On la consomme fraîche ou conservée dans l'huile en boîtes de fer-blanc. Ainsi préparée, c'est un article de commerce très important.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Page de journal


18 décembre. — Rien. — Pas même le Rien, mais simplement « rien ».

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

samedi 1 décembre 2018

Interlude

Jeune fille lisant les Scènes de la vie de Heidegger de Jean-René Vif

Dépouillement


Ce n'est ni en Oklahoma ni dans le désert de Mauritanie mais plus prosaïquement aux « goguenots » que l'homme approche le plus de la simplicité. Il en atteint à l'occasion le point extrême, celui après quoi il n'est plus guère que le néant.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Aliénation (comme on dit)


Les grands espaces nécrosés du quotidien.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Pilchard


30 janvier. — En feuilletant de vieux numéros de la Revue britannique, je tombe par hasard sur un article intitulé La pêche du pilchard à Saint-Yves — il s'agit d'un village des Cornouailles. « Les pilchards, nous dit l'auteur, sont une des divisions du genre clupée, que M. Dumeril rangeait dans la famille des gymnopomes et M. Cuvier dans celle des malacoptérygiens abdominaux. Ils ont la tête déprimée, le corps couvert de grandes écailles minces qui se détachent aisément, l'angle supérieur des ouïes marqué d'une grande tache noire, l'iris gris-argent, la bouche petite et dénuée de dents, la mâchoire inférieure projetée au delà de la mâchoire supérieure, mais moins que le hareng, à qui ils ressemblent à plusieurs égards, bien que celui-ci soit moins rond et que ses écailles, plus petites, réfléchissent autrement la lumière. »

— La tête déprimée... La bouche petite et dénuée de dents... Le ventre et les côtes d'un blanc d'argent... J'ai la désagréable sensation de me reconnaître dans ce portrait au vitriol du clupanodon pilchardus.


(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune femme lisant la Mathématique du néant de Włodzisław Szczur