dimanche 9 décembre 2018

Interlude

Jeune fille lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Vanitas vanitatum


Broyé, calciné, le suicidé philosophique achève sa matérielle existence dans une petite jatte appelée urne. Il est poudre désormais, scorie et pluie de cendres, emblème sobre qui montre le chemin de toutes choses et de toutes formes, image qui tarit l'ardeur de vivre et de « créer des concepts ».

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Puissance du vocable


Usant comme d'un gourdin du coruscant vocable reginglette, saccager les taillis palpébraux de la connaissance spéculative.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Eccentrique


18 août. — Au dire de Gragerfis, l'impératrice Catherine I re eut des manies fort singulières. Elle aimait les commotions violentes. Pendant le printemps et l'automne, elle se promenait toutes les nuits et buvait de moment en moment de fortes potions de vin de Hongrie.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

samedi 8 décembre 2018

Interlude

Jeune fille s'apprêtant à lire les Scènes de la vie de Heidegger de Jean-René Vif

Tête de chien


Les nodules qui composent ce que les philosophes appellent la « réalité empirique » sont boulets gris et rugueux, franchement rébarbatifs. Il faut les rompre pour connaître les spectacles qu'il leur arrive de receler : rien, le plus souvent, qu'une morne matière peu translucide ; mais parfois des tracés capricieux ; des veines parallèles dont les méandres évoquent de façon frappante une tête de chien couché.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Zérumbet zététique


Volontiers zététique comme le zérumbet, cette plante herbacée voisine du gingembre, connue au Cambodge sous le nom de phteu, dont les inflorescences coniques poussent à partir des rhizomes souterrains.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Ode au silure


9 août. — Ô silure ! Poisson solitaire, lucifuge, qui, comme le nihilique, vis d'ordinaire dans les zones les plus profondes de ton habitat ! Aristote et Pline ont parlé de toi. Tu te nourris d'autres espèces de poissons, de reptiles, de frai, etc. Comme tes nageoires sont courtes et ton corps pesant, tu ne peux pas t'emparer de ta proie à la nage. Tu es constamment, surtout pendant le jour, dans des trous, sous des pierres, des racines d'arbres, etc ; ton corps, de couleur obscure et toujours couvert de limon, n'épouvante pas les autres poissons ; tes longs barbillons, avec lesquels tu joues, sont pris par eux pour des vers ; ils s'en approchent donc sans crainte, et sont entrés dans ton énorme bouche avant qu'ils se soient doutés du danger. Tu vis aussi de frai que tu vas chercher la nuit sur les bords des rivières, et des cadavres de quadrupèdes ou d'oiseaux que le hasard amène auprès de toi. On cite même des enfants trouvés dans ton estomac. Vieux silure, tu es le symbole de l'identité : toujours égal à toi-même. Je te salue, vieux silure !

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune femme cherchant la Mathématique du néant de Włodzisław Szczur

Autre désespéré


La lourde masse déchiquetée d'un autre suicidé philosophique, retiré celui-là du lac Supérieur, paraît s'enorgueillir de pouvoir montrer, malgré son épaisseur, l'effilé, l'émacié propre au nihilique et qu'on ne constate jamais sur les sectateurs du Grand Tout. Il fait savoir qu'il fut porté à une terrible incandescence par l'idée du Rien, puis laissé à refroidir interminablement au fond d'eaux calmes, où une lente chimie, sans en émousser les aspérités, le recouvrit d'une patine polychrome.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Bouturage de polype


Pour celui qu'insupportent les herbacées absurdes du réel, couper et bouturer des polypes ne sont pas de vaines distractions.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Chasse au morse


21 juillet. ― Je tente de dissoudre la mélancolie qui m'accable en lisant le Dictionnaire théorique et pratique de chasse et de pêche, de Delisle de Moncel. Un passage retient particulièrement mon attention, celui qui traite de la chasse au morse. Voici ce qu'en dit l'auteur : « On préfère la chasse des morses à leur pêche, parce qu'elle est bien moins dangereuse : on choisit le temps de la basse mer pour les aborder : on marche alors de front vers ces animaux, pour leur couper la retraite : quand on en a tué quelques-uns, on fait une barrière de leurs cadavres, et on laisse quelques gens à l'affut pour assommer ceux qui restent. Quand ces animaux sont blessés, ils deviennent furieux, frappent de côté et d'autre avec leurs dents, brisent les armes des chasseurs, et dans le désespoir où ils se trouvent réduits, mettent leur tête entre leurs pattes et se laissent ainsi rouler dans l'eau. Si le hasard ou le besoin en a rassemblé un grand nombre, ils se secourent les uns les autres, vont à la mer, entourent les chaloupes, et cherchent à les renverser. Le morse, avant la navigation hardie des Européens, ne craignoit aucun ennemi, il avoit réussi à dompter jusqu'à l'ours du Groënland, qui semble le dominateur et le tyran du Nord. »

― Rien n'y fait. La mélancolie y est, elle y est toujours, encore aggravée par l'image de ces morses qui mettent leur tête entre leurs pattes et se laissent rouler dans l'eau.


(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

vendredi 7 décembre 2018

Océanographie du Rien


« Le mérou est une foutaise », disait le commandant Cousteau, lequel avait terminé ses études de biologie marine en s'adonnant au billard à trois bandes et à la lecture de Schopenhauer et de Raymond Doppelchor.

(Edmond Chassagnol, Théorie du trop-plein)

Interlude

Sadiste lisant la Mélancolie bourboulienne de Léon Glapusz

Un désespéré


Pour attester les actions brutales, nous ferons choix des suicidés philosophiques, et d'abord de l'un d'eux, originaire de Nelson, au nord de la Nouvelle-Zélande. Tordu, désarticulé — l'apophyse odontoïde étant presque entièrement sortie de l'anneau —, il évoque une flamme comme on en voit effilochées par la brise du soir. Mais cette fois, une magie a saisi la flamme au moment de sa dispersion : la voici devenue solide et restée mince, image durable et véridique de la puissance du pachynihil.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Plus de grinçant !


Chaque existence est un poëme où retentit l'atroce ironie du Grand Tout.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Laimargue


15 août. — Le laimargue du Groenland est l'un des plus gros requins carnivores de la planète avec le requin blanc, et l'un des plus gros poissons de l'Arctique. Bathybenthique, on le trouve le plus souvent entre 200 et 400 mètres de fond. Muni de dents très effilées, c'est un prédateur foudroyant qui chasse le calmar, différents mammifères marins comme le phoque et le marsouin commun, et toutes sortes de poissons osseux (saumons, harengs) et cartilagineux (autres requins, raies). C'est aussi un charognard. Selon Gragerfis, il n'hésiterait pas à dévorer des bélougas, des narvals, des phoques et des restes d'animaux dont le chien et le cheval, englobant dans sa voracité solipèdes et fissipèdes.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune femme foulant aux pieds l'œuvre d'Étienne-Marcel Dussap

Écorchés vifs


Si les nihiliques présentent cet aspect scoriacé, c'est qu'ils ont été fondus en de terribles creusets souterrains. Ils semblent continuer de se hérisser et presque d'exploser : partout déchirés, partout agressifs et rebelles, ils fixent les sursauts d'une pensée courroucée, qui se bat, qui se rebiffe où et comme elle peut — celle du Rien

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Plus fort que de jouer au bouchon


« Je décide de bouger le bras, et effectivement je le bouge.
— Comment cela ? »


(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Paresse


28 janvier. — Paresse, chez les Romains, était une divinité allégorique, fille du Sommeil et de la Nuit. Elle fut métamorphosée en tortue pour avoir écouté les flatteries de Vulcain. Le limaçon et la tortue lui étaient consacrés. Je décide de placer ma journée sous son auspice.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

jeudi 6 décembre 2018

Interlude

Jeune fille lisant l'Appel du nihil de Martial Pollosson

L'être est !


Dans l'Île-de-France, au sein d'une carrière de sable, à mi-hauteur de la paroi, gisent des concrétions de grès siliceux. Elles ont l'apparence de paumes ou de palmes, de mains entrouvertes, de pétales froissés. Quand on ferme les yeux quelques secondes, puis qu'on les rouvre, elles sont toujours là. Les choses — la fameuse « réalité empirique » des philosophes — existent donc bel et bien ! Cela inspire à l'observateur des sentiments mélancoliques et même de l'horreur.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Protiste tératogène


Les protistes sont des organismes vivants unicellulaires, affins aux paramécies. Un protiste susceptible d'engendrer des monstres est dit tératogène.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Chien enragé


26 juillet. — Dans les Mémoires de l'Académie Royale des Sciences de l'année 1723, je trouve le curieux passage suivant : « Quand on a été mordu d'un chien, que l'on croit enragé, il arrive ordinairement que le chien est tué avant que l'on se soit assuré de son état, et la personne mordue demeure dans une cruelle incertitude. M. Petit le chirurgien a un expédient pour la terminer. Il frotte la gueule, les dents, les gencives du chien mort avec un morceau de viande cuite, qu'il présente ensuite à un chien vivant. S'il la refuse en criant et en hurlant, le mort étoit enragé, pourvu cependant qu'il n'y eût point de sang à sa gueule. Si la viande a été bien reçue et mangée, il n'y a rien à craindre. »

— Ne devrais-je pas essayer ce procédé sur mon Moi ?


(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune femme lisant les Exercices de lypémanie de Marcel Banquine

Ressemblance trompeuse


La vie quasi végétative que mène le nihilique, l'habitude qu'il a de rester sans bouger dans son « cagibi rienesque », l'ont souvent fait prendre pour une plante — en général une betterave potagère, Beta vulgaris subsp. vulgaris. Le profane s'y trompe à coup sûr et n'est désabusé qu'avec peine.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Incipit sans suite


« Un matin, au sortir d'un rêve agité, Grégoire Samsa rencontra un sien labadens. »

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Expériences sur le vide


25 juillet. — Commencé mes expériences avec un morceau de bœuf (le moment n'est pas encore venu de raccorder ma machine à un véritable philosophe). J'ai partagé ce morceau de viande pesant trois livres en trois parties égales. J'ai placé ces trois morceaux de viande dans le récipient communiquant avec la pompe à vide. De six heures en six heures, je retirais un des morceaux de viande, en sorte que le premier retiré n'avait eu que six heures de vide, le second en avait eu douze, et le troisième dix-huit. Les périodes de la dessication étaient nécessairement plus avancées, à raison du temps que chaque morceau avait été maintenu dans le récipient. Le premier morceau de viande n'avait perdu que deux onces (61 grammes) de son poids, le second en avait perdu trois et demie (106 grammes), et le troisième en avait perdu six (183 grammes). — Ces premiers résultats sont fort encourageants !

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)