samedi 16 décembre 2023

Forme de l'être

 

Pour Parménide, « l'être est semblable à une sphère bien arrondie, qui du centre à la circonférence serait partout égale et pareille ». Quand on lit ça, on se demande : pourquoi une sphère ? Pourquoi pas une tourte ou un « cigare japonais » ? C'est tout de même étrange, cette obsession pour les sphères !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

vendredi 15 décembre 2023

Demande à Badiou

 

« Sightseeing is the art of disappointment », disait Stevenson. Mais peut-être ne connaissait-il pas les bons endroits ? Il aurait dû demander à Alain Badiou. Ou à Nicolas Bouvier.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Colloque de Buenos-Aires

 

Borges : Cet exercice continuel, impossible à ajourner, qui s'appelle vivre.
Le nihilique : Bien dit, Roré. Continuel... impossible à ajourner... c'est bien ça. Tu l'as bien écrasé, Roré, ce Port-Salut de l'existence. 
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Comme la rose

 

Angelus Silesius : La rose est sans pourquoi ; elle fleurit parce qu'elle fleurit.
Le nihilique : Ça alors ! Comme mézigue ! Enfin... je ne fleuris pas des masses, mais pour le reste ça colle.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Comment chanter ses regrets quand on est guez et calvitié

 

Le nihilique n'a pas l'âme d'un poëte. Il dit ce qu'il a sur le cœur sans chercher à faire des phrases. Les belles phrases, il se les colle au prose. Il n'a pas l'intention de feuilleter les Grecs, aussi exemplaires soient-ils, ni de retracer les beaux traits d'un Horace, encore moins d'imiter d'un Pétrarque la grâce ou la voix d'un Ronsard pour chanter ses regrets (au premier rang desquels celui d'être né). Et si ça ne plaît pas au vulgum pecus, c'est le même prix.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

jeudi 14 décembre 2023

Déterminisme

 

Les stoïciens se trompent : il est bien le cas que les dieux interviennent en toute fissure du foie et en tout chant d'oiseau. Aucun détail ne leur paraît trop insignifiant ou indigne d'eux. Ils veulent tout contrôler, les salops ! En conséquence, le libre arbitre est un leurre (car ça coule par les côtés).
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Un beau roman

 

Précurseur de Michel Fugain, Parménide dit de l'être que « c'est un beau roman, c'est une belle histoire, c'est une romance d'aujourd'hui ». Le nihilique n'en croit rien et est d'avis qu'il faut avoir fumé de la « beuh » ou du « shit » pour dire des choses pareilles.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Boulet

 

Le Satan de Milton dit que quelque endroit où il se trouve, là est l'enfer. Puis il ajoute : « I myself am hell. » C'est aussi ce que pense tout « boulet à soi-même ».
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

L'année prochaine à Marienbad

 

Il n'est pas facile d'être une personne « nihilique ». C'est épuisant nerveusement. On culpabilise, on se demande si l'on est vraiment normal, et l'on envie les gens capables de dire oui (au monde, à la mer, aux forêts ; aux roses que l'hiver prépare en secret). On aimerait approuver au moins un petit quelque chose de la « réalité empirique », mais impossible. Tout cette combine pue trop. Tant pis. Ce sera pour la prochaine fois — peut-être...
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

mercredi 13 décembre 2023

Qui es-tu, James Joyce ?

 

Selon Borges, Joyce est un Irlandais enchevêtré et presque infini ; selon Férillet Robert, un Irlandais enchevêtré, infiniment ennuyeux et surestimé ; toujours selon Férillet Robert, un vrai lavement.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Bêtes

 

On descend dans la rue, et qu'est-ce qu'on voit ? Ici un porc ; là une fouine ; plus loin un chim-pan-zee... C'est l'île du docteur Moreau !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Littérature

 

Comme exemple d'oxymoron, il y a mieux qu'un soleil noir, il y a un écrivain sincère. Ils mentent tous comme des arracheurs de dents. Quand on pense qu'il y a encore des benêts pour lire leurs livres et croire leur baratin, c'est à désespérer de tout. Ô Char ! Et toi, Bobin ! Comme vous mériteriez de recevoir la chicote pour tous vos méfaits ! Margoulins !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Un truc à ne pas dire

 

Il est conseillé de taire que ce qu'on ne peut dire il faut le taire, car on ne peut absolument pas le dire, ce serait un coup à s'attirer des ennuis.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

mardi 12 décembre 2023

Immortalité de Zénon

 

Zénon d'Élée était immortel. Pour mourir, il aurait d'abord dû épuiser la moitié du laps de temps qui le séparait de sa mort, puis la moitié de la moitié restante, et cætera, ça n'en finit pas. Zénon vit ! Il est parmi nous !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Coup de tonnerre

 

Au début des années 40, Jorge Luis Borges assiste, en compagnie d'Adolfo Bioy Casares, à un combat de coqs dans le quartier Saavedra de Buenos-Aires. Il y voit des coqs qui, possédés d'une frénésie belliqueuse, « ne sont déjà plus des coqs, mais des sortes d'oiseaux écarlates et déplumés ». C'est un coup de tonnerre dans l'intelligentsia argentine.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Pterois volitans

 

Il est à regretter que le poisson-scorpion dont parle Nicolas Bouvier ne lui ait pas piqué le fiak, cela nous aurait débarrassé d'un auteur que sa manie du voyage rend particulièrement pénible. Ce poisson possède en effet des épines venimeuses dont la piqûre, extrêmement douloureuse, peut dans certains cas provoquer la — mais oui — mort.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Tous les chemins

 

Nicolas Bouvier était tout entier habité par un Moi voyageur. Finalement, après d'innombrables pérégrinations, il arriva au même endroit que les autres : le cimetière (dans son cas celui de Cologny, en Suisse).
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

lundi 11 décembre 2023

Rebiffement inopiné du cave

 

On croyait avoir de l'humilité à revendre, et voilà qu'on se découvre incapable de clamecer sans faire d'histoires !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Disparition phantasmée des gars du monde


Si tous les gars du monde voulaient bien arrêter de se faire chier mutuellement, le bonheur serait sinon pour demain du moins pour la semaine prochaine. Mais le mieux serait encore que tous les gars du monde disparaissent. Du balai ! Aux chiottes, les gars du monde ! Aux doubles-vécés !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Amor fati

 

Les ceusses qui acceptent de bonne grâce la maladie, la vieillesse, la mort, et d'être traités comme des paillassons par les personnes du sexe, ces ceusses doivent être des lecteurs de Hegel ou de Nietzsche, ce n'est pas possible autrement (en tout cas, chapeau).
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Métaphore philosophico-dentaire

 

Le sens de l'existence est aussi introuvable que le dentier de Jeander Cader (qu'il a perdu dans un accident de scooter au rond-point de Perros). Son dentier lui a littéralement sauté de la mâchoire. Il a été impossible de le retrouver, ce qui fait que maintenant, le pauvre Jeander ne peut manger que de la purée. Eh bien, pour le sens de l'existence, c'est pareil (nous nous comprenons et nous savons ce que nous savons).
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

dimanche 10 décembre 2023

Réduction au silence des négateurs

 

Quand on pense que Thomas Bernhard est mort, et à seulement cinquante-huit ans, on se dit que c'est horrible, que la mort pourrait au moins épargner les négateurs. Mais tout au contraire, elle semble s'acharner sur eux. Elle veut les faire taire, la garce ! Ils savent trop de quoi il retourne ! Saloperie, va ! Grosse vache !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Prix de la réussite

 

Les gens qui ont du succès finissent toujours par penser qu'ils ont mérité ce succès. Ils deviennent alors, irrémédiablement, des « conneaux ».
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Exploit des idéalistes

 

Les idéalistes allemands, Kant, Hegel, Fichte, et cætera, ont reconnu le caractère hallucinatoire de la « réalité empirique ». C'est ce qu'on appelle un bel exploit intellectuel, ou nous ne nous y connaissons pas.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Sournoiserie de l'absurde véritable

 

Les Beckett, Ionesco, Adamov et consorts ont voulu épater le bourgeois avec leur absurde, mais c'est un absurde de pacotille, entièrement théâtral. Le véritable absurde est beaucoup plus sournois. Il se niche au cœur d'un carré de romsteak, parfois même dans une simple assiette de pilchards.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

samedi 9 décembre 2023

Point trop n'en faut

 

On peut s'habituer à une douleur, à condition qu'elle ne soit pas trop aiguë. On peut même s'y attacher. Une deuxième douleur se présente, on se dit : « Après tout, pourquoi pas. » Mais à la troisième (les côtelettes), on trouve que ça commence à faire.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Temps béni de l'insouciance

 

De cette vie globalement répugnante, la seule partie à sauver est l'enfance. Enfant, on n'a pas encore découvert que « rien n'est », ce qui fait qu'on peut s'émerveiller de ceci et de cela. On prend le réel pour argent comptant. Et c'est aussi un temps rêvé pour faire le « golmon » (comme Maurice Blanchot). Le prix à payer est que plus tard, on devient un octogénaire qui pisse l'eau de partout, quand ce n'est pas un aubergiste ou un criminel de guerre.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Méthode du point

 

Pour dompter l'angoisse d'exister, le philosophe Edmond Chassagnol (Théorie du trop-plein) recommande de penser à un point mathématique. Hélas, ça ne marche pas, ou peu.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Meuh

 

Les bipèdes qui ne sont pas angoissés, nous ne les comprenons pas. Ils ont quelque chose du ruminant. Ils ne descendent pas du singe mais de la vache.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)