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samedi 8 septembre 2018

Le Travailleur


Le « Monsieur Baxter » d'Objectif Lune n'est pas un humaniste, c'est le moins que l'on puisse dire. Ce monstre froid au cerveau farci de statistiques, qui dirige le Centre de Recherches Atomiques de Sbrodj, incarne la pensée technicienne à l'état pur, qui « met aux prises une volonté agressive et une nature pensée comme matière inerte, simple objet de pénétration et d'information » 1. En comparaison, comme le docteur Rotule, quoique bourru, nous paraît bénin et sensible !

Vers la fin de sa vie, Baxter, du fait d'une carence en fibres, se trouvera momentanément incapable de « faire » et connaîtra enfin le sentiment intérieur de la présence du Rien. Il regrettera amèrement d'avoir consacré ses jours à des fusées, centrales atomiques et autres billevesées, mais il sera trop tard : comme l'a montré le philosophe Jankélévitch, le temps a en effet un caractère odieusement irréversible.


1. Edmond Chassagnol, Théorie du trop-plein, p. 209.

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

vendredi 7 septembre 2018

Frayeurs enfantines


« Pour l'enfant que j'étais, l'univers des cabinets, où j'avais coutume de lire les Aventures de Tintin, c'était le tumulte et l'incertitude, le royaume des périls sournois où des créatures molles, visqueuses — Rastapopoulos, les frères Loiseau, l'ingénieur Wolff —, se conjuguaient aux lames sourdes de ma mélancolie et au roulis de mon âme. » (Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain)

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

jeudi 6 septembre 2018

Vengeance haddockienne avortée


Smith est l'agent général à Reykjavik de la Golden Oil qui détient le monopole de la vente de mazout en Islande. Sa compagnie appartenant à l'infâme financier Bohlwinkel, il reçoit l'ordre de ne pas ravitailler l'Aurore afin de favoriser le Peary dans la course vers l'aérolithe.

Quand Smith refuse de lui vendre du fioul, le capitaine Haddock envisage un moment de lui ouvrir le ventre, d'en arracher les entrailles, d'y mettre de l'avoine et d'y faire manger les chevaux, comme firent les naturels d'Ascalon et d'Héliopolis à saint Cyrille, diacre, et aux autres martyrs sous Julien l'Apostat.

Heureusement, il n'est pas contraint d'en arriver à cette extrémité car sa rencontre avec le capitaine Chester lui permet de se procurer du carburant par la ruse. Le vil Smith ne saura jamais à quoi il a échappé !


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

mercredi 5 septembre 2018

Inquiétante étrangeté


Qui est ce sinistre vieillard bossu, à longue barbe blanche et petites lunettes rondes, portant lévite et bêret noirs, une canne dans une main et un plaid sous le bras, qui déambule sur le pont du paquebot Ville-de-Lyon et que les « gredins » Ramon Bada et Alonzo Perez soupçonnent être Tintin déguisé ? Le chef du gang auquel appartiennent le docteur Triboulet et son chauffeur ? Nous ne le saurons pas, mais une chose est sûre : il induit chez le lecteur un sentiment de terreur sourde que l'on pourrait comparer à l'inquiétante étrangeté (das Unheimliche en allemand), ce concept freudien théorisant la sensation de malaise qui étreint brutalement l'étant existant et qui lui fait percevoir toute chose comme radicalement étrangère, inconnue, absurde au point d'en être effrayante.

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

mardi 4 septembre 2018

Interlude

Femme fessue lisant le Monocle du colonel Sponsz de Hermann von Trobben

Ban du piccolo


Dans le Trésor de Rackham le Rouge, le capitaine Haddock reçoit, à la veille du départ du Sirius, une terrible nouvelle. Son médecin, le docteur Daumière, a diagnostiqué chez lui une « insuffisance fonctionnelle du foie » et lui interdit « toutes boissons alcoolisées (vin, bière, cidre, alcools, apéritifs, et cetera) ».

Cette prescription drastique va à l'encontre des préceptes de Pardule, évêque de Laon, qui recommande, pour dompter le Moi, l'absorption de « pivois » dès huit heures du matin.


Pauvre capitaine, condamné à subir passivement les gesticulations et les grimaces du « sinistre polichinelle », de l'« odieux Moi » !

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

lundi 3 septembre 2018

Des célibataires endurcis


Selon toute apparence, les policiers Dupond et Dupont sont des « vieux gars » et on les imagine bien, à l'automne de leur vie, en route vers l'hospice de Gouyette pour y couler des jours paisibles. Mais les deux virtuoses du contrepet supporteront-ils l'ambiance austère qui règne dans cet hospice dirigé par des sœurs ? Et ces dernières pourront-elles se faire à leur humour absurde et pince-sans-rire ? Rien n'est moins sûr...

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

dimanche 2 septembre 2018

Un original


« L'Inde a une multitude de santons ou fakirs, c'est-à-dire de gens qui se sont retirés du monde, et elle en a de toutes les couleurs. Le nombre des fakirs mahométans qu'on y trouve s'élève à huit cent mille, et celui des païens à douze cent mille », nous dit le médecin, botaniste et philosophe suisse Johann Georg Zimmermann dans son livre De la solitude paru en 1756.

Le fakir Cipaçalouvishni est l'un de ces excentriques « santons ». Il semble défier la douleur. Rien ne lui fait peur : ni le verre brisé sur lequel il saute avec entrain, ni les lames aiguisées qui lui percent le corps, ni même la terrifiante haeccéité dont, comme tant d'autres, il doit porter le joug.


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

samedi 1 septembre 2018

Être utile


L'ingénieur Frank Wolff a l'apparence gluante du crapaud et tout en lui respire la veulerie. Il sait que les gens le tiennent pour un fourbe et il en souffre secrètement. Un jour, il tombe sur ce passage de l'Essai sur l'homicide de soi-même dit « à la Polonoise » par le Sieur Manoury 1 : « Je ne m'amuserai point, à l'exemple de l'auteur de l'Égide de Pallas, à prouver l'excellence de l'homicide de soi-même par son ancienneté ou par le rapport qu'il peut avoir avec quelques traits de l'histoire ancienne ; je me contenterai simplement de dire que c'est un passe-temps des plus récréatifs et des plus amusants. La découverte que l'on y fait tous les jours de nouvelles finesses prouve qu'il n'est point d'exercice plus étendu et plus intéressant que l'homicide de soi-même. »

Aussitôt, sa décision est prise : il mettra fin à sa pondéreuse existence en se jetant dans l'espace interstellaire.

Et c'est bien ce qu'il fait dans On a marché sur la Lune, à la stupéfaction de Tintin, du capitaine Haddock, du professeur Tournesol, et des détectives Dupond et Dupont !

Comme Archimède, Galilée, Newton, Papin et Volta, l'ingénieur Wolff n'aura pas été seulement un mélancolique, mais encore un être utile puisque sa mort permettra aux astronautes de disposer d'une réserve d'air suffisante pour rentrer sains et saufs à bon port.


1. Bruxelles, Le Francq, 1796.

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

vendredi 31 août 2018

Manie dissectrice des Chinois


Didi, le fils de  Wang Jen-Ghié, une fois atteint par une fléchette empoisonnée au radjaïdah, devient complètement « maboul » et tente à plusieurs reprises de couper la tête à Tintin au moyen d'un sabre. Au paroxysme de sa folie, il veut même décapiter ses propres parents !

Cette obsession dissectrice n'a rien d'exceptionnel en Chine. Le missionnaire jésuite Antoine Gaubil, dans son livre sur le Chou-king — un des livres sacrés des Chinois, qui renferme les fondements de leur ancienne histoire, ainsi que les principes de leur gouvernement et de leur morale — en témoigne : « Il est souvent fait mention dans le Chou-king des cinq supplices, dont on recommande l'emploi envers les criminels. Le premier, nommé Me, consistoit à faire des marques noires sur le front ; cela étoit nommé ke-ge. Le second nommé Y, étoit de couper le nez, exprimé par tsie-pi. Le troisième nommé Tiao, consistoit à couper les pieds et les jambes jusqu'aux genoux. Le quatrième nommé Kong, consistoit à couper les parties naturelles 1. Le cinquième nommé Ta-pi, étoit de donner la mort. »


1. L'auteur nomme ainsi les génitoires.

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

jeudi 30 août 2018

Interlude

Jeune fille lisant le Monocle du colonel Sponsz de Hermann von Trobben

Illumination


En sortant de l'observatoire dirigé par le professeur Calys, Tintin se retrouve dans une rue inondée du fait d'une « conduite d'eau que le tremblement de terre a fait sauter ». Il tente de traverser l'énorme flaque en posant le pied sur des briques qui surnagent, mais dérape et s'étale, le postérieur dans l'eau. C'est alors qu'il a une illumination : « Tu vois cette brique, Milou ? — Bien sûr, que je la vois... — Regarde !... » Il laisse tomber la brique qui éclabousse son fidèle « compagnon à quatre pattes » et s'exclame : « Eurêka ! As-tu compris, mon vieux Milou ? Chien de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? »

Tintin vient, par une brusque entrevision de l'essentiel, de percer le mystère de l'aérolithe. Et sa prouesse nous rappelle celle de l'anatomiste gantois Jean Palfyn qui, en éternuant bruyamment, reconnut le premier la route que parcourt le mucus pour parvenir au nez, et celle du chimiste Kekulé von Stradonitz qui, en 1865, élucida la structure du benzène — un anneau de six atomes de carbone unis par des liaisons simples et doubles en alternance — en rêvant une nuit de l'ouroboros (le serpent gnostique qui se mord la queue) !

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

mercredi 29 août 2018

Dangers du mouvement


Le général Haranochi commande la V e armée japonaise qui a pénétré en Chine après l'attentat simulé par Mitsuhirato. Il est petit, trapu, porte une moustache et est extrêmement irascible. Le jour de son arrivée à Shanghai, où il vient en inspection, Tintin l'attaque, lui dérobe ses vêtements et prend sa place, ce qui lui permet de distribuer moult jours d'arrêt. Le malheureux général, qui se retrouve en caleçon, aurait mieux fait de rester à Tokyo !

Ici, Hergé semble vouloir nous avertir des dangers qui guettent l'individu « en situation de mobilité ». Madame Edmée de La Rochefoucauld l'avait fait avant lui dans son beau livre L'angoisse et les écrivains : « Traverser la rue. Rouler en automobile, appréhension constante. Crainte latente de l'accident, de la mort. Pierre Curie tué par un camion. Émile Verhaeren qui manque une marche dans le train de Rouen et glisse sous le wagon. Jean Follain renversé par un taxi place de la Concorde. À chaque instant dans la ville, sur la route, la mort menace, est à éviter. » — Oui, cela est vrai, sans contredit.

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

mardi 28 août 2018

Lama


Si le lama crache régulièrement à la figure du capitaine Haddock, ce n'est pas pour divertir une petite élite dont il n'a cure, ni pour amuser cette entité platonique adulée qu'on surnomme la Masse. Il ne croit pas à ces deux abstractions, chères au démagogue. Il crache pour lui, pour ses amis, et pour adoucir le cours du temps.

Autrement dit, il le fait pour les mêmes raisons qui poussent l'homme du nihil à pratiquer la dilacération du Moi.


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

lundi 27 août 2018

Une créature des ténèbres


Si Rastapopoulos est un médiocrement convaincant « génie du Mal », il n'en va pas de même du diabolique docteur Müller. Assisté de ses deux complices, l'exubérant Wronzoff à la barbe interminable et le chauffeur Ivan, ce presque sosie de Vladimir Oulianov s'applique à  démontrer que « rien de ce qui est inhumain ne lui est étranger ». Avec un sadisme consommé, il enferme ses ennemis dans l'asile d'aliénés qu'il dirige, pour leur fait subir le terrifiant « traitement B » qui les laisse à l'état de légume.

Avec le docteur Müller, Hergé a créé l'une des figures les plus inquiétantes et antipathiques de la littérature universelle, qui surpasse dans la frénésie maléfique le Dimanche de Chesterton, l'Andrew Lumley de John Buchan, et le Percival Bartlebooth de Georges Perec.

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

dimanche 26 août 2018

Un stylite moderne : Philippulus le prophète


Dans l'Étoile mystérieuse, pour faire descendre Philippulus le prophète du mât où il est juché, Tintin, en désespoir de cause, décide de se faire passer pour Dieu. Il empoigne un porte-voix et s'écrie : « Allo, allo ! Ici Dieu le Père !... Prophète Philippulus, je vous ordonne de redescendre sur terre ! Et faites attention : ne vous cassez pas la figure !... »

Voilà qui rappelle étrangement l'aventure de Saint Walfroy, le « stylite des Ardennes ». On trouve, dans le journal des sçavans pour l'année 1750, une brève relation de l'épopée solitaire de ce mystique : « Dans le temps même de Siméon le jeune, Vulfilaicus voulut, au rapport de Grégoire de Tours, pratiquer en Occident l'Institut des Stylites ; il avoit fait élever sur une montagne près de Trèves une colonne sur laquelle il monta, mais le climat ne permettoit pas un pareil établissement ; le Stylite, pendant un hyver, perdit les ongles des pieds par la rigueur du froid : les Évêques condamnèrent son entreprise et lui ordonnèrent de descendre. Un jour qu'il était absent, l'Évêque de Trèves fit abattre et mettre en pièces la colonne, Vulfilaicus en fut affligé, mais par respect pour l'Évêque il ne la fit point relever. »

Hergé connaissait-il, par son ami Giacometti, le destin de cet anachorète au si terrible tragique ? Nous ne pouvons ici que poser la question.


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

samedi 25 août 2018

Interlude

Jeune fille lisant le Monocle du colonel Sponsz de Hermann von Trobben

Mégère ou harpie ?


Au sujet de Peggy Alcazar, la tyrannique épouse du général, qui le réprimande publiquement lorsqu'il rentre en retard ou répand çà et là les cendres de son cigare, on ne sait si l'on doit parler de mégère ou de harpie. Voici ce que nous dit de ces deux créatures le zoologiste Coenraad Jacob Temminck 1 : « Pour la taille comme pour les dimensions, la mégère ressemble à la harpie, mais les tubes des narines sont moins proéminents que chez cette dernière ; celle-ci a une queue assez longue et libre, tandis que la mégère manque de tout vestige de queue. »

Pour en revenir à la très acariâtre Peggy, le mieux est sans doute de l'appeler simplement une virago. En tout état de cause, son mufle d'hippopotame et ses manières de gendarme sont à vous dégoûter à tout jamais du prétendu « beau sexe ». Par quelle perversion de l'esprit le général peut-il appeler un tel monstre « ma colombe » ?

On dirait que Hergé a créé Peggy Alcazar pour illustrer la thèse de Weininger : l'homme est le Tout, la femme le Néant ; l'homme incarne le spirituel, la femme le matériel dans son expression la plus mortifère et dégradante. Et pour couronner le tout, elle est « sous le joug du phallus » !


1. Dans ses Monographies de mammologie, Dufour & d'Ocagne, Paris, Leyde, 1827-41.

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

vendredi 24 août 2018

Yoko-geri


Dans un épisode mouvementé de L'Île Noire, Wronzoff, le complice du satanique docteur Müller, applique une clé de jambe à Tintin en lui disant, manière de le faire bisquer : « Ça, c'est du jiu-jitsu, mon petit ami ! » Tintin réplique alors par un yoko-geri : « Et ça, c'est de la savate ! »

Rappelons que le yoko-geri est l'un des coups les plus puissants des arts martiaux. Le témoignage du champion de karaté Joe Lewis le confirme : « Le side-kick est un coup mortel ! » Le principe est de s'efforcer de traverser la cible comme si l'on voulait que la jambe entre dans le corps de l'adversaire.


Le sinistre Wronzoff échappe à l'anéantissement, mais cette rencontre aura sur Tintin un impact considérable. Chez lui, la mort, qui jusque là n'était que le ferment d'un trouble nihilisme destructeur et d'un attrait morbide pour la souffrance, se voit rehaussée au rang d'idéal, de suprême geste de domination, de puissance et de liberté. Chaque épisode de ses aventures sera dorénavant un pas supplémentaire dans son approche définitive du néant.

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

mercredi 22 août 2018

Dégoût du monde


Dans L'Oreille cassée, Ridgewell est un explorateur qui a fui la civilisation. Pourquoi a-t-il choisi de partager la vie des primitifs Arumbayas qui vivent au cœur de la jungle amazonienne dans des cases en pisé ? Pour échapper à un Moi qu'il trouve ignoble ? Pour, moderne disciple de Rousseau, fraterniser avec les « bons sauvages » et, en adoptant leurs mœurs, retrouver une virginité perdue ? Mais alors, pourquoi leur apprendre les rudiments du golf ?

Ce qui est clair, c'est que Ridgewell porte en lui le dégoût du monde moderne vautré dans des environnements urbains constellés d'enseignes, de la volupté laquée des carrosseries et du louche anonymat de bureaux luxueux et fonctionnels. Comme le suicidé philosophique, il croit aux vertus du silence.


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)