Affichage des articles dont le libellé est Nostalgie de l'infundibuliforme. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Nostalgie de l'infundibuliforme. Afficher tous les articles

lundi 24 septembre 2018

The Underground Man


L'homme du nihil est un être essentiellement souterrain. Les substances ferrugineuses dont il est teint ou pénétré sont la principale preuve de son long séjour dans l'intérieur de la terre.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

dimanche 23 septembre 2018

Force vive


Comme, du fait de l'inertie de la matière, la vitesse se conserve, et que la masse du corps en mouvement est une chose invariable, on voit que l'homme du nihil transporte avec lui sa force vive, et n'en perdra pas, pour ainsi dire, une goutte, tant que l'homicide de soi-même n'aura pas mis un terme à ses tribulations.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Interlude

Jeune fille lisant la Nostalgie de l'infundibuliforme de Robert Férillet

Indiscipliné


François de Neufchâteau a chanté les Vosges, comme Haller a célébré les Alpes, et comme Férillet eût chanté le Rien si sa brillante imagination se fût asservie aux lois sévères du mètre et de la rime.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

samedi 22 septembre 2018

Discipline


Le retour au Grand Rien suppose patience, modestie, humilité et maîtrise de soi, s'il faut en croire Marsile Ficin (De Vita Coelitus Comparanda) : « L'homicide de soi-même n'est pas le fait de celui qui mange trop ni de celui qui ne mange pas assez. Il n'est pas le fait de celui qui dort trop ni de celui qui fait de trop longues veilles. Il est le propre de l'homme qui est tempéré dans sa nourriture et sa récréation, qui est retenu dans toutes ses actions, qui a réglé son sommeil et ses veilles. L'homicide de soi-même met fin à toute peine. »

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Être spinal


Le monstre bipède — le fameux « autrui » du philosophe Levinas — n'est, comme l'a défini Virchow, qu'un « être spinal ». Son activité est purement réflexe. Elle se manifeste par une telle profusion de mouvements que l'observateur en attrape « du shimmy dans la vision ». Que ces réflexes soient conscients ou qu'ils éveillent un rudiment de conscience, en aucun cas ils ne représentent une activité volontaire ; ils n'expriment proprement que l'activité de l'espèce, ce qui a été acquis, organisé et fixé par l'hérédité. D'où vient le fait qu'autrui, au grand désespoir de l'homme du nihil qui n'en peut plus de voir sa trogne, ne se suicide jamais.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

vendredi 21 septembre 2018

Syndrome de l'imposteur


Ébloui par la prodigieuse aisance de l'« homme de la Nature et de la Vérité » dans presque tous les domaines de la vie, comment l'homme du nihil pourrait-il se voir autrement que comme un imposteur ? Inadapté congénital, il ne sera jamais à la hauteur des cracks de l'existence au milieu desquels une ironique fatalité l'a jeté. Le seul art où il excelle est la destruction de soi-même — mais là, il est imbattable.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Crypte intime


La mémoire de l'homme du nihil est une catacombe où s'entassent les spécimens de « monstruosité bipède » qui ont un jour croisé sa route. Il sont groupés là, membres tordus, têtes contournées, bouches béantes. Si la crypte n'était fermée au public, ces physionomies grimaçantes inspireraient au visiteur des sentiments mélancoliques et même de l'horreur. Callot, Goya sont dépassés. 

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

jeudi 20 septembre 2018

Aux grands maux...


Le suicidé philosophique, une fois résolu à faire taire son Moi, ne recule devant rien, pas même devant les pratiques les plus osées du phréno-mesmérisme 1. Mais rien n'y fait, le Moi y est, il y est toujours, et il faut faire appel au médiateur du Rien par excellence : le taupicide.

1. Cette doctrine prétend supprimer l'activité du cerveau frontal pour donner libre carrière à l'occiput.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Déchéance


Ainsi, un peu déshonoré de n'avoir pas mis à exécution ses menaces à l'endroit du Moi, le suicidé philosophique survécut-il, se jugeant méconnu et les hommes méchants. Il écrivait : « Je déteste la société, parce qu'on n'y croit pas à la bonté morale. » Et à la fin de sa vie : « Je ne vois plus, je n'entends plus, je ne me souviens plus ; je suis devenu complètement négatif. » Il perdit légèrement la tête, sur ses vieux jours, et disait à son valet de chambre : « Si le Grand Rien vient, vous lui direz que je n'y suis pas. »

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

mardi 18 septembre 2018

Une existence stérile


Quand l'homme du nihil se retourne sur sa vie, tout ce qu'il voit, c'est un monceau de matière excrémentitielle. Et tandis que dans la commune de Bron (Rhône), l'emploi de la matière fécale « permet aux terrains de porter chaque année les récoltes les plus épuisantes telles que du blé, du chanvre, de l'orge, des pommes de terre » 1, dans son cas, nul blé, nulle orge, nulle pomme de terre, rien n'a germé. Il en est si abattu que c'est à peine s'il trouve la force nécessaire pour continuer d'exister, et pour annoncer par des gémissements dignes du prophète Jérémie les souffrances qu'il éprouve d'un tel fiasco.

1. Bulletin agronomique et industriel, J.-B. Gaudelet, Le Puy, 1840.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Interlude

Jeune fille lisant la Nostalgie de l'infundibuliforme de Robert Férillet

lundi 17 septembre 2018

Affectation


Hormis peut-être l'haeccéité, l'homme du nihil ne sait rien de plus horripilant que les correspondances littéraires. On s'y pousse du col, on essaie de « faire écrivain », chaque phrase semble dire « voyez comme je suis original et profond ! » En un mot, on veut, comme l'ontologue Heidegger, « péter plus haut que son fondement de l'historialité du Dasein ». — « Avant-hier, je suis allé près de Saint-Michel de Brasparts — rappelez-vous — déjeuner avec Louis Guilloux, que le grand vent a failli suffoquer. Mais toujours vert, et cachant sous une gouaille protectrice une lourdeur sanglotante sur laquelle ne pas trop se pencher. » — « Je t'en foutrai, moi, dit l'homme du nihil, des "gouailles protectrices" et des "lourdeurs sanglotantes" ! »

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Aveuglement sceptique


D'après Jamblique, Pyrrhon disait qu'il n'y avait aucune différence entre vivre et être mort et, comme un mauvais plaisant lui demandait un jour : « Pourquoi donc ne meurs-tu pas », il répondit : « Parce que cela ne fait aucune différence ».

Ainsi, et aussi incroyable que cela puisse paraître, le fondateur du scepticisme ne connaissait pas — contrairement au sculpteur Giacometti — le si terrible tragique d'être ceci ou cela ! L'haecceité, il « s'assoyait dessus » ! Il faut se pincer !


(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

dimanche 16 septembre 2018

Un grandiose isolement


Parce qu'il trouve ses contemporains vomitifs, l'homme du nihil commerce exclusivement avec quelques grandes figures du passé, de celles qui ont laissé un nom dans les annales de l'homicide de soi-même : les Nerval, les Trakl, les Weininger, les Caraco, etc. Avec son temps, il ne communique pas — et personne ne se risque à franchir la pampa de dégoûtation au centre de laquelle il trône, guère plus engageante, il faut l'avouer, que « les espaces de sable autour des Bouddhas rupestres ou des statues de l'Égypte ».

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Comédie larmoyante


On croyait avoir perdu toutes ses illusions, et voilà-t-il pas qu'un matin, au sortir d'un rêve agité, on s'éveille transformé en une véritable vermine ! Le temps a fait son œuvre et l'on se découvre, avec son mufle raviné, sa bedaine et son crâne déplumé, un objet d'horreur pour soi-même et de rigolade pour l'omnitude, cette omnitude que l'on a toujours méprisée, mais dont le regard ! le regard !... Ou pis encore le non-regard, car on est devenu un « vieux schnoque », autrement dit un homme transparent comme les habitants de Thulé (d'après Hérodote) !...

Ô vanité des vanités ! Ô rictus bestial de l'existence !


(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

samedi 15 septembre 2018

Catachrèses pascaliennes


Ce gouffre que Pascal « avait avec lui se mouvant », ne serait-il pas une métaphore du Rien ? Et le choc que reçut le penseur clermontois quand la vérité « lui apparut si vive qu'il en fut comme effrayé », ne fait-il pas penser à un vase subitement exposé à un feu de réverbère ?

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

De Charybde en Scylla


À l'instar du lieutenant Pirogov qui, chez Gogol, oublie en mangeant des pâtés lorrains 1 la « dégelée » qu'il a reçue d'un mari trompé, le sectateur du Rien cherche l'apaisement de ses douleurs nihiliques dans la goûteuse et fort onctueuse musique de Schumann. Mais ce « perlimpinpin prismatique » (Jutique) s'avère aussi redoutable que le cratère funèbre du vide qu'il cherchait à fuir, et finit par l'engloutir tout entier !

1. Les pâtés lorrains renferment, dans une enveloppe de pâte feuilletée croustillante à souhait, une farce à base de porc mariné.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

vendredi 14 septembre 2018

Ascétisme et articulations ginglymoïdes


On dit — mais cela est-il vrai ? — que saint Colomban, anxieux de surclasser les ascètes de son temps, en arriva à faire 12 000 génuflexions par jour. Tout ce qu'il en retira, s'il faut en croire l'abbé Pétin 1, fut « une tuméfaction très-considérable du genou et des ligaments très-distendus ». La contraction des muscles fléchisseurs était si forte que la jambe formait avec la cuisse un angle droit, et restait invariablement fixée dans cette position !

1. Dictionnaire hagiographique, Paris, 1850.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Tête de cheval


Dans certains pays, jusqu'à une époque récente, la tête de cheval passait pour protéger l'espèce humaine. Ainsi, dans la région d'Arkhangelsk, on la plaçait sur le poêle, convaincu qu'elle allait éloigner les miasmes pestilents. Au solstice d'été, dans la Russie centrale, on jetait une tête de cheval sur un brasier ardent pour s'immuniser contre les maléfices des sorciers, ces « pernicieux fils de la nuit » (Gragerfis). Chez ces peuples, la tête de cheval représentait le soleil, vu comme une divinité bienfaisante, aux vertus salutaires.

L'écrivain Otto Weininger, en revanche, voyait quelque chose de sinistre et de profondément malsain dans ce morceau d'anatomie du « bourrineau ». Ne prétendait-il pas avoir constaté, chez plusieurs individus redoutant la folie, « une parenté morphologique avec la tête de cheval » !

L'ambivalence de cette tête de cheval confirme l'intuition décisive de l'homme du nihil, à savoir que « tout est une question de point de vue » et que la connaissance est un terrain mou, marécageux, et plein de roseaux.


(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)