Pendant
son agonie, devenu fou, Swift répétait : « Je suis celui que je suis »
— et tout le monde rigolait. Par contre, quand plus tard ce sale petit
frimeur de Rimbaud a prétendu qu'il était un autre, tout le monde s'est
extasié. Qui niera après cela que l'être humain est un pot de pisse ?
Comme
le plombier de Pierre Perret, le nihilique fait son turbin dans les
salles de bain. Il faut dire que le Rien y est très présent : les « roubinets », tout ça... Capable de guérir tous les maux au moyen de son
petit chalumeau, il s'est fait une réputation de thaumaturge.
Pour
vous faire oublier les horreurs de l'existence et la vilenie du monstre
bipède, il n'y a rien de tel que la science mathématique. On calcule le
laplacien d'un champ vectoriel quelconque (le premier qui vous tombe
sous la main), et aussitôt on se sent mieux. Hélas, le soulagement n'est
que transitoire, et bientôt reviennent les idées noires, comme un
essaim de mouches dites « à merde » : mortalité de l'être mortel,
temporalité du temps, haeccéité...
Dans
le roman de Cervantes, Don Quichotte est tellement miraud qu'il croit
que Dulcinée est un prix de beauté alors qu'en fait c'est un trumeau,
autrement dit une grosse mocheté. Mais n'est-ce pas le cas de tout homme ? Qui pense et qui sent ? Être homme, n'est-ce pas s'éprendre de
grosses mochetés ? Oh, bon Dieu !
Si
ça se trouve, nous sommes venus à l'existence il y a cinq minutes, avec
des trous à nos chaussettes et les cheveux trop longs. C'est une idée
de Bertrand Russell, qui soutient que l'univers pourrait avoir été créé
ex nihilo jeudi dernier. Si ce qu'il dit est vrai, si l'espace-temps
peut être arbitrairement tronqué, il va nous falloir prendre rendez-vous
chez le coiffeur et faire raccommoder nos chaussettes ou en acheter de
nouvelles. Encore des emmerdes, autrement dit.
Même
quand on est seul — seul comme une pesse sous la pluie, seul comme
Franz Kafka —, on a quelques poteaux : Oblomov, Bartleby, Johan Nilsen
Nagel...
À
partir d'un certain âge, la femme est tellement décatie qu'elle
n'évoque plus une rose, un blanc flocon de neige ou du pain d'épice mais — c'est terrible à dire — la mort. Il faut alors fuir sa présence
si l'on ne veut pas tomber dans une grave dépression.
Est-il
vrai que l'univers réel — et non l'univers abstrait, générique —
forme un tout comportant des horloges, des bicyclettes et des écrivains
latino-américains ? C'est ce qu'a un jour affirmé Ernesto Sabato, mais
sans doute avait-il « tâté de la chopine ». Nous autres qui sommes sobres
savons qu'il n'y a rien.
Jeunes
ou vieux, ayant séjourné dans une cave pendant des années ou dans une
étable à vache, à peine sortis de l'imprimerie de
Saint-Sauveur-le-Vicomte où ils travaillent comme protes, peu importe :
les humains sont cons. Mais cons !...
Chaque
fois que Georges Perec lui rendait visite, le poëte Li Po se cachait
dans un placard, sous un lit ou derrière un paravent. Il n'aimait pas
les exercices de style et était en particulier allergique aux
palindromes. Et Perec chaque fois se demandait : « Il est où, ce con de
Li Po ? »
Berkeley : On peut démontrer que trois plus quatre égale sept, mais il est
impossible — je dis bien impossible — de démontrer l'existence de
cette table.
Quand
on lit du Hugo — Les Misérables, Les Contemplations, n'importe —,
on ressent une certaine gêne à lire des phrases agencées par un satyre.
Et pareil avec Flaubert. La salacité notoire de ces auteurs donne à leur
œuvre quelque chose de répugnant. Surtout, cette salacité nous fait
voir en eux des êtres peussédiques et même « fucking peussédiques », comme
le sont les maniaques de tout poil.
Décider
de traduire l'Edda prosaïque de Snorri Sturluson — puis finalement
laisser tomber car rien ne sert à rien (all is of no avail) et que de
toute façon on ne comprend que dalle au vieil islandais.
Pour
éviter les mauvaises influences sur le « conscient intérieur » du sujet
pensant, une idée serait, dans les bibliothèques, de remplacer les
livres par des os de brebis.
Celui
qui a compris qu'il allait mourir, il lui est difficile, même en étant
de bonne composition, de s'intéresser aux cubes du Corbusier ou aux
incohérences du dadaïsme. La bonne composition, comme toute chose
ici-bas, a ses limites.
Le
nihilique se fait tellement chier dans cette existence de merde que
pour passer le temps, il écoute le bruit doux de la pluie. Par terre et
sur les toits. Au début ça va, c'est agréable, mais ensuite il y a comme
une langueur qui pénètre son cœur et c'est un peu « malaisant ».
Avant
de faire les couillons et d'être expulsés du paradis terrestre, Adam et
Ève ne connaissaient pas le péché, ils ne connaissaient pas la honte
d'être « à loilpé » et — last but not least — ils ne connaissaient pas
Raoul (mais il faut dire que le film n'est sorti qu'en 1963).
C'est
après s'être cogné la tête contre un volet métallique que Jorge Luis
Borges entreprit d'écrire des contes fantastiques. Plus bizarre encore,
il se mit à tourner autour de soi-même telle une toupie démoniaque, au
grand désespoir de Virginia Ocampo, de sa sœur Silvina et du peintre Xul
Solar. D'après son ami Bioy Casares, « une balafre rancunière lui
sillonnait le cassis ».
Sadegh
Hedayat n'a pas fait que se suicider et chercher à se suicider, il a
aussi écrit plusieurs livres dont La Chouette aveugle qui raconte les
hallucinations d'un opiomane poursuivi par des images d'une vie
antérieure. S'il n'avait fait que se suicider, on ne parlerait plus de
lui. Idem pour le peintre Van Gogh, sauvé — si l'on peut dire — par
ses « tournesols » et ses « cyprès ».
« Oh,
bien sûr, ce n'est pas la Seine. Ce n'est pas non plus le bois de
Vincennes. Mais c'est bien joli tout de même, hein — le Rien. Pas
vrai, les pots de pisse ? Allez, aux fines herbes ! Arrivée d'air chaud ! »
Felice : Je sais pas, moi... Tu pourrais peut-être faire un roman teinté d'une
atmosphère cauchemardesque, où la bureaucratie aurait une prise de ouf
sur l'individu ? Qu'est-ce t'en penses ?
Malgré
ses dehors bourrus et son côté cynique, l'écrivain Charles Bukowski
était terriblement naïf : il croyait à la « poésie » ! Et plus
généralement au fait de « s'exprimer » ! Il « tapait à la machine » !
Les
gens... Chacun d'entre eux possède un Moi, à ce qu'il paraît. Et le
moins qu'on puisse dire est que ça ne les rend pas particulièrement
sympathiques. Ils ne le réalisent peut-être pas, mais leur Moi fait
d'eux de « sacrés pots de pisse ».
Une
règle d'or est de ne jamais méditer sur les risques de malentendus
entre les êtres quand on traîne sur une plage du Pays basque. C'est un
coup à perdre foi en le langage et à faire une crise de « traczir ».