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jeudi 6 septembre 2018

Solitude et minéralité


Au dire de l'écrivain mondain Paul Valéry — mondain au sens vulgaire comme à celui du phénoménologue Eugen Fink —, « il y a deux sortes d'hommes — ceux qui se sentent hommes et ont besoin d'hommes — Et ceux qui se sentent — seuls, et non hommes — Car qui est vraiment seul, affirme-t-il, n'est pas homme mais pierre dure rotacée. »

Valéry oublie toutefois de mentionner que ces « pierres dures rotacées » sont aussi capables de se livrer, et plus souvent qu'à leur tour, à des divagations lagéniformes de dipsomaniaques angoissés.


(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

mercredi 5 septembre 2018

Évasion éphémère


Les vocalises auxquelles se livre ordinairement le suicidé philosophique avant de commettre son geste fatal — « Non, mes yeux ne te verront plus... » — ne sont qu'une illusion jetée sur la réalité de la mort, une évasion dont l'« exilé de l'infini » sait qu'elle est une fuite éphémère, motif baroque par excellence incluant l'instant où il convient de mettre un terme au bel canto : « Es ist Zeit ! », s'exclame-t-il en empoignant son revolver. 

En face du festif « homme de la Nature et de la Vérité », le suicidé philosophique est l'être mélancolique et tragique pour lequel l'haeccéité n'est pas une « aventure excitante » mais un supplice inscrit dans la durée, qui étend sa griffe de fer sur le passé, le présent, et aussi la mort.


(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

mardi 4 septembre 2018

Impossible sérénité


Comme il serait merveilleux de mourir en consentant à l'inéluctable finitude de la matière vivante, se dit parfois l'homme du nihil. Mais il s'en sait incapable. L'haeccéité lui en a trop fait voir. Il préfère se « faire sauter le caisson », et terminer sa fastidieuse existence par un geste qui exprime une dernière fois — et de façon ô combien détonante — son refus d'être un vulgaire « Dasein ».

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

lundi 3 septembre 2018

Une belle brochette de psychopathes


« À côté du nom de Jutique, j'ai arraché une énorme toile d'araignée, tout épaissie par la poussière et tendue à l'angle de la muraille. Sous cette toile il y avait quatre ou cinq noms parfaitement lisibles, parmi d'autres dont il ne reste rien qu'une tache sur le mur. — Doppelchor, 1815. — Banquine, 1818. — Robert Férillet, 1821. — Zimmerschmühl, 1823. J'ai lu ces noms, et de lugubres souvenirs me sont venus : Doppelchor, celui qui a coupé l'humanité en quartiers, et qui allait la nuit dans Paris jetant la tête dans une fontaine et le tronc dans un égout ; Banquine, celui qui a assassiné l'idéalisme allemand en s'acharnant tout spécialement sur Johann Gottlieb Fichte ; Robert Férillet, celui qui a tiré un coup de pistolet au Dasein au moment où celui-ci ouvrait une fenêtre ; Zimmerschmühl, ce médecin qui a empoisonné son Moi, et qui, le soignant dans cette dernière maladie qu'il lui avait faite, au lieu de remède lui redonnait du taupicide ; et auprès de ceux-là, Jutique, l'horrible fou qui tuait les enfants à coups d'idiome imagé sur la tête ! » (Victor Hugo, Les derniers jours d'un condamné à mort, 1829)

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Cloporte


Dans son roman Alectone, Edmond-Henri Crisinel — le « Nerval vaudois » — se livre à une analyse impitoyable du « mode d'être » de l'humain et montre qu'il peut prendre la forme la plus paradoxale, sinon la plus irrationnelle de la tragédie : celle où l'haeccéité paraît à la fois inévitablement subie et librement voulue, comme dans le théâtre antique et dans le chant du harpiste de Wilhelm Meister (au dire de Maurice Nédoncelle).

Dégoûté du brouillamini de l'existence et de la méchanceté des hommes, son héros, qui a inspiré des générations de suicidés philosophiques, finit par « faire le mort, comme un cloporte ».


(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

dimanche 2 septembre 2018

Interlude

Jeune fille asiatique lisant la Mélancolie bourboulienne de Léon Glapusz

Capharnaüm


Ses hontes, ses faiblesses, sa crainte clairvoyante de lui-même, l'homme du nihil les conserve dans un musée secret toujours gardé par un molosse aux babines saignantes — son Moi —, et ce musée renferme aussi « la pensée de la mort, les heures mélancoliques et le sombre jardin » 1. C'est là le lieu de toutes les ombres et de toutes les vagues certitudes que seule l'idée du Rien parvient à dissiper ou à déplacer dans l'âme du moment.

1. Il n'y manque que la chaise percée du dalaï-lama !

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

samedi 1 septembre 2018

Nocivité de l'existentialisme heideggérien


Le 22 février 1989, l'écrivain hongrois Sándor Márai, 88 ans, appauvri et esseulé dans sa maison de San Diego (Californie), se tire une balle dans la tête. Au dire de Gragerfis (Journal d'un cénobite mondain), l'origine de ce suicide serait à rechercher dans le sentiment d'inconfort, d'« intranquillité », qui naît de la lecture des œuvres de Martin Heidegger, et en particulier du passage suivant : « Avec la mort, le Dasein a rendez-vous avec lui-même dans son pouvoir-être le plus propre, indépassable » (Être et temps, § 50).

Si vraiment cette explication est la bonne, ne serait-il pas urgent de tenter d'entraver la propagation de cette « philosophie » et, par ce moyen, l'apparition des phénomènes morbides auxquels elle donne naissance ?


(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

vendredi 31 août 2018

Vidé


Il arrive un moment où les voraces ectoplasmes — haeccéité, temporalité du temps, Moi, etc — qui grignotent sans trève la pachyméninge de l'homme du nihil ont entièrement épuisé sa substance mentale et ils ressemblent alors à ces « corbeaux allongés, apparemment repus, sur un lit cartilagineux de chevaux sacrifiés » qu'a chantés le poëte. Mais quant au malheureux, il est « bon pour le cabanon ».

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

jeudi 30 août 2018

Ordalie du taupicide


Il arrive un moment où l'homme du nihil s'interroge : ai-je assez expié ? C'est pour répondre à cette question qu'il se lance dans la talpicidium cohabitatio, se couchant avec son flacon de taupicide qu'il voit comme le symbole de la mort accueillante. Il se situe dans la même sensibilité que des saints comme Firmat ou Giraud de Salles qui, pour défier le tourment de l'haeccéité, livrèrent leur corps au feu. Chez l'homme du nihil, la cohabitation avec le taupicide a valeur d'ordalie, de preuve après l'épreuve ; mais aussi, d'expiation de la faute passée : celle de « s'être trémoussé, comme tout un chacun, dans un univers aberrant » (avec une vigueur tout de même très relative).

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Regrets tardifs


Le 26 janvier 1855, Gérard de Nerval qui, d'après ses amis Théophile Gautier et Arsène Houssaye, « en avait soupé de l'haeccéité » se pend aux barreaux d'une grille qui fermait un égout de la rue de la Vieille-Lanterne (voie aujourd'hui disparue, qui était parallèle au quai de Gesvres et aboutissait place du Châtelet).

Au moment du trépas, le poëte fait l'expérience du phénomène appelé dédoublement astral ou sortie du corps, et peut contempler pendant quelques instants son Moi défunt, expérience qu'il décrit ainsi dans son journal demeuré inédit : « Son visage immobile et qui semblait devenu tout petit, ses yeux fermés, ses mains maigres évoquant des serres de gerfaut moderato, toute cette chose si insupportablement funèbre, si inexplicablement douloureuse qu'est un cadavre, même un cadavre de chien ou de rat, oui, tout cela qui allait bientôt se diluer, tout cela fit que j'eus le cœur serré, comme si je venais de perdre, au lieu de mon odieux Moi, quelqu'un de très cher et de très beau... Sans savoir pourquoi, sans chercher à raisonner cette impression soudaine, rien que parce qu'il n'était plus, parce qu'il ne se livrait plus à ses horripilantes singeries, je découvris en lui d'émouvantes vertus et des beautés prodigieuses... Et je pleurai sur lui, je pleurai abondamment... ».


(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

mercredi 29 août 2018

Propriété merveilleuse de l'idée du Rien


Comme l'écrivain Blaise Cendrars, l'homme du nihil croit aux vertus vitales du désespoir et le pessimisme est pour lui médiocrité. Optimisme ? Non, plutôt confiance. Confiance en la radiance trouble de l'idée du Rien « qui procure au moulinet furtif de notre âme la matière vivante du réveil » (Marcel Jutique). — Mais à toutes fins utiles, il conserve dans les larges poches de sa redingote quelques bâtons de dynamite qu'il ne destine qu'à lui seul.

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

mardi 28 août 2018

Interlude

Jeunes filles folâtrant et lisant la Mélancolie bourboulienne de Léon Glapusz

Déréliction


Perdu parmi des millions de « monstres bipèdes » qui voient dans l'existence un genre de parc d'attractions, l'homme du nihil fait l'expérience unique d'une déréliction totale. Sa condition est inférieure à celle des choses, condamné qu'il est à une passivité complète dans son « cagibi rienesque », et à subir en sus ce crucifiement  que les ontologues nomment haeccéité. Le bourrellement que lui inflige son odieux Moi est absolu, puisqu'il paralyse toute fuite, interdit tout abandon de soi, toute apostasie au sens étymologique du terme et touche par là l'essence même du Dasein rappelé à son ultime identité : celle d'un cadavre vivant. 

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

lundi 27 août 2018

Mort et immortalité


Lucrèce et Épicure ne voient dans le Dasein qu'un agrégat d'atomes qui se dispersent au moment de la mort « comme une fumée », pour rentrer dans la masse duveteuse de l'univers. Pour ces insouciants Latins, tout cesse avec la vie, et la façon de se débarrasser du cadavre est indifférente, on peut même en faire une garniture de cheminée ou un porte-parapluie. Dans ses Pensées sur la mort et l'immortalité (1830), Ludwig Feuerbach va jusqu'à affirmer qu'à l'instar de l'homme du nihil, les Anciens n'étaient point convaincus que la mort fût un mal !

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

dimanche 26 août 2018

La connaissance impossible


Chez Kant, ce sont les principes a priori (c'est-à-dire antérieurs à l'expérience, conditions de l'expérience) qui fondent l'objectivité de la connaissance. Cette doctrine des catégories est ce que le « satyre de Königsberg » appelle la logique transcendantale (par opposition à la logique formelle qui se définit comme « la science des lois nécessaires de la pensée » et qui s'attache à la seule forme de la pensée vidée de tout contenu).

Kant montre que les conditions qui rendent la connaissance possible sont en même temps celles qui rendent possibles les objets de l'expérience. Parfois cependant, quand les objets sur laquelle elle est censée porter sont inconcevables, la connaissance est tout simplement impossible, et c'est ce qu'illustre le dialogue suivant, tiré du film Un Singe en hiver qui est une adaptation du roman éponyme d'Antoine Blondin : 


Suzanne Quentin

« Monsieur Fouquet ?... Vous connaissez La Bourboule ? 

Gabriel Fouquet

Ma foi, non.

Suzanne Quentin

Et bien, vous avez tort. C'est là que j'ai connu Albert. Il était en permission libérable. Il portait un blazer à rayures, et un canotier... avec ruban assorti. Bel homme, et il le savait [...] C'est drôle que vous ne connaissiez pas La Bourboule, un homme comme vous. »

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

samedi 25 août 2018

Connaissance de Balthus et de Bazaine


Pour échapper à son vide intérieur, l'« homme de la Nature et de la Vérité » feint de se passionner pour les tableaux de peinture et se vante d'avoir connu Balthus, d'avoir connu Bazaine... « J'ai connu Balthus, j'ai connu Bazaine... », dit-il, et l'homme du nihil reste coi devant tant de sottise satisfaite d'elle-même. Se vante-t-il, lui, « d'avoir connu Koyré, d'avoir connu Kojève » 1 ?

1. Il les a pourtant connus, à l'École pratique des hautes études, dans les années 30.

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Un dangereux rêveur


L'« ami de la sagesse » Emmanuel Levinas, profondément déçu par la philosophie occidentale qui, selon lui, n'avait jamais su penser l'Autre qu'à partir du Même (donc du Moi) et témoignait dans toutes ses œuvres de l'« insurmontable allergie » qu'inspire l'Autre en raison de ses mauvaises manières et de sa dilection pour les survêtements, décida — espérant ainsi se venger de Heidegger — de concevoir une « pensée » qui placerait l'Autre avant le Même. Il élabora un procédé assez rudimentaire qu'il baptisa l'Œuvre et qui consiste en un mouvement enveloppant du Même vers l'Autre, mouvement si généreux et gratuit qu'il va jusqu'à exiger l'ingratitude de son destinataire ! Hélas, Levinas mourut avant d'avoir vu son Œuvre se réaliser, ce qu'elle fit moins de deux décennies plus tard adornée du doux nom postmoderne de « vivre ensemble ».

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

vendredi 24 août 2018

Pour comprendre le monde


À la question de savoir quelle est la voie d'accès à l'intelligence métaphysique du monde, Raymond Doppelchor répond « l'idée du Rien ». Certes, en tant que représentation, le Rien est un simple phénomène — qui prend la forme, par exemple, du fameux « autrui » du philosophe Levinas, autrement dit d'un « monstre bipède » — mais, en tant qu'il est vécu intérieurement, il s'éprouve, il se ressent pour ainsi dire viscéralement. Il s'ensuit que le Rien ne s'enracine pas dans le phénomène et que seule l'expérience intuitive du Rien rend possible l'intelligence de la signification de ce qui est. « L'idée du Rien, dit encore Doppelchor, est la seule parmi toutes les idées possibles qui n'ait pas son origine dans le phénomène, dans une simple représentation intuitive, mais qui vienne du fond même de la conscience immédiate de l'individu, dans laquelle il se reconnaisse lui-même, dans son essence immédiate, sans aucune forme, même celle du sujet et de l'objet, attendu qu'ici le connaissant et le connu coïncident. » — On ne saurait mieux dire, vraiment !

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)